Correspondance Sand – Duras

Stéphan Mary

WeLoveWords et Konbini vous invitent à provoquer en duel deux personnalités "Pop" Les mettre en scène à travers une chronique, un dialogue, une interview. / Play la musique qui accompagne le texte

« La déception »



Sand :

Chère Marguerite, vous êtes vous déjà entendu dire "Je suis déçu(e) !" puis éprouver la sensation d'une mort lente, horrible, douloureuse.

Duras

Chère Georges, oui je connais cette douleur. Ressentir ce remord au pont de désirer disparaître. La faute vous entraîne dans un tourbillon de certitudes qui volent en éclat. C'est un territoire dans lequel vous avancez hagarde avec l'inscription "trop tard" collée recto verso dans le maillage des mots.

Sand

Dévider la pelote de la culpabilité au point d'en ressentir de la détresse. Etre tellement en empathie que vous vous déceviez vous-même.

Duras

Chère Georges. Plus j'avance dans mon roman et plus cette réflexion fait resurgir les mots entendus. Je les éprouve jusqu'à la moelle. Mais qu'en est-il lorsque votre personnage superpose réflexion et émotion puis retourne l'affirmation en déclarant péremptoire "Vous me décevez !" ?

Sand

Vous évoquez l'autre versant d'une souffrance insupportable. Vous me décevez ! Éprouver ce sentiment si particulier d'une peine intériorisée, assister à l'écroulement des fondations, regarder l'autre s'enfoncer à toute allure dans les sables mouvants de la justification, de l'excuse, vous implorant de le regarder, de l'écouter.

Duras

C'est bien là que se joue la perfidie car vous privilégiez votre propre tristesse. C'en est au point d'avoir dépassé la colère pour refuser de saisir la main tendue qui se noie dans les remous de la culpabilité. Etre douloureusement déçue !

Sand

Cette déception est si spécifique à la relation amicale ou amoureuse ! Souvent engendrée par la duperie, la déception se cache souvent là où on ne l'attend pas. Elle survient derrière un geste, un mot, un regard, une attitude. S'il est très difficile de se remettre d'un "Je suis déçue", "Vous me décevez" reste plus dur à vivre, signifiant l'illusion de ne jamais (s) être trompée.

Duras

Mais cette déception se révèle brutale, violente, envahissante. Elle s'amoindrit avec le temps mais reste une cicatrice visible de l'intérieur. Toutefois si cette mort de la confiance ne vous détruit pas, si autre chose est plus fort, alors cette déception pourra n'être considérée que comme un accident.

Sand

Le tout consiste à ne pas réitérer. Non pas uniquement le motif de la déception mais ne plus décevoir, jamais. Compliqué !

Duras

Hélas Georges, dans ce monde d'accélération je crains que nous ne devenions des éponges à déception ! Mon dernier roman « Le ravissement de Lov V Stein » va plus loin dans le non-dit de cette douleur si spécifique « Nue, nue sous ses cheveux noirs »

Sand

Ma chère Marguerite, je vous renvoie à mon œuvre « Consuelo La Comtesse de Rudolstadt » Enfin rassurez vous mon amie, nous ne sommes que des êtres humains donc un peu fragiles, un peu faux, un peu fourbes, souvent menteurs. Difficile de ne pas décevoir et pourtant … Difficile de faire autrement !

Duras

Duel entre entendre "Je suis déçu(e)" et dire "Vous me décevez" Duel ! Etre l'objet ou le sujet ! Il est évident que les deux sont perdants.

  • j'aime beaucoup ! D'autant plus que j'adore George Sand :)

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Weekendplansnewest

    mlleash

    • Merci :) Sand & Duras, deux des plus belles et nourrissantes mamelles de la littérature Française...

      · Il y a plus de 9 ans ·
      La main et la chaussure

      Stéphan Mary

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