COS: Atomes crochus

emr

Héroïne :

Sur un plateau administratif, Lucie Ackermann n’est pas une fille que l’on remarque facilement. L’archétype publicitaire de la cadre sup trentenaire sérieuse et motivée, voire ennuyeuse, lui colle un peu à la peau.

C’est pourtant une vision très partielle d’elle.

Pour commencer à entrevoir qui se cache derrière cette silhouette élancée, il faut toucher sa curiosité, recevoir et parfois subir son regard de louve. D’un vert de treillis militaire, ses beaux yeux en amande savent jouer toutes les partitions. Mais le concert est strictement privé. Sur invitation. Fille d’un banquier américain et d’une fonctionnaire onusienne française, élevée en Suisse, Lucie sait ne montrer que ce qu’elle veut.

Elle en est d’autant plus méconnaissable en tenue de soirée, juchée sur une paire d’escarpins, lorsqu’elle a décidé d’être vue et de laisser libre court à sa gestuelle harmonieuse. La consultante expérimentée sait transcender son sens de la persuasion en un charme ravageur auquel rien ne résiste, reléguant la faune la plus aguerrie d’un cocktail d’ambassade en mièvre figuration.

Ses cheveux ondulés châtain clair, ses traits fins et ses hanches généreuses sont un héritage maternel ; sa petite fossette posée au bout d’un menton volontaire est made in USA. Mais tout n’est pas qu’hérédité dans ce corps : ses jambes fines, ses fesses fermes, son ventre plat, Lucie les a modelés sur le glacier des Bossons, dans la sinueuse montée vers Les Rousses, dans les chemins de randonnées des Aravis…

Pas question de se laisser aller, d’autant que Lucie n’est plus une consultante tout à fait comme les autres. Tel un astre cachottier, elle montre toujours la même face pour mieux dissimuler sa moitié obscure. C’est à Chypre en 2007 que sa vie a basculé. Spécialisée en consulting bancaire dans un des big four, elle était alors chargée de la mise en place d’une plateforme de trading pour une banque très active au Moyen-Orient qui attisait la curiosité de la CIA.

Elle accepta de fournir des informations. Et découvrit l’envers du mot mission.

A cette époque-là, Lucie avait déjà commencé à s’ouvrir à d’autres disciplines, dont l’évaluation d’ONG et de projets au développement pour le compte de bailleurs de fonds. Une autre couverture intéressante pour l’Agence, qui oriente de plus en plus ses missions. Côté pile un rapport de consultant pour le client, côté face des mémos confidentiels destination Langley, Virginie.

Lucie a maintenant un statut d’indépendante, et ne travaille plus qu’en free lance. Son profil d’agent de terrain s’étoffe au fil des expériences, formations et entraînements. Si elle n’a pas encouru de risques physiques à ce jour, Lucie s’y prépare, en bonne professionnelle.

Consultante en Opérations et Systèmes bancaires, puis en Organisation et Stratégie, désormais Collectrice d’informations destinées à des Opérations Spéciales : la vie de Lucie semble tourner autour des trois lettres COS.

Synopsis :

C’est par une rencontre très confidentielle avec Sam Brezisky, le Chief Of Station de la CIA à Niamey, que Lucie entame son séjour au Niger, après quelques semaines au Mali et en Mauritanie.

Son ancien employeur a remporté l’appel d’offres lancé en Suisse par la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge. Mission : évaluer l’efficacité budgétaire de leurs actions en Afrique sahélienne. Et naturellement le solide CV de Lucie Ackermann, riveraine du Léman et titulaire du passeport rouge à croix blanche, s’est imposé pour mener la mission.

Pour la CIA, ce contrat est bon à exploiter : leur recrue francophone va se promener sous couverture irréprochable au coeur de zones stratégiques, généralement traitées par des moyens satellitaires.

Lucie s’est montrée moins enthousiaste. Elle craint que ses pérégrinations ne révèlent rien d’exploitable, et qu’au final tout se limite à la rédaction d’un copieux rapport à l’attention de la vénérable institution - un client réputé pointilleux.

Pour Sam Brezisky en revanche l’arrivée de Lucie tombe à point. Depuis plus de trois mois, on est sans nouvelles de David Bishop, un géologue américain embauché par Geology & Mining Services (GMS), une entreprise canadienne spécialisée dans l’évaluation de ressources minières. Sam est au départ resté perplexe : aucune rançon n’a été demandée, contrairement aux pratiques d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI). Un début d’explication est parvenu la semaine précédente, par l’intermédiaire d’un employé d’ambassade qui s’est rapproché de l’ex-compagne de Bishop : le géologue aurait mis à jour un trafic d’uranium à destination du port iranien de Bandar Abbas, via le Tchad et le Soudan.

Pour Sam, si l’information a fait l’effet d’un coup de tonnerre, elle doit encore être prise avec précaution : pas question de s’emballer, surtout après l’affaire du yellow cake nigérien de 2003, soi-disant à destination de l’Irak…

Longtemps chasse gardée des français, le Niger s’est désormais ouvert à l’ensemble de l’industrie mondiale de l’atome : des dizaines de permis d’exploration ont été attribués sur de vastes zones s’étendant entre Agadez et Arlit, dans le bassin de Tim-Mersoï. C’est précisément au cœur de cette zone qu’a disparu Bishop, sur une concession attribuée à la Perth Uranium, une compagnie australienne pour laquelle GMS explorait le sous-sol.

La Croix-Rouge y est traditionnellement active auprès des populations touarègues, et un centre pour les réfugiés vient d’être crée à Agadez : immigrés à destination de l’Europe dans un sens, populations fuyant les combats en Libye dans l’autre, les usagers infortunés ne manquent pas.

La couverture est sur mesure pour Lucie, qui découvre la saveur d’une vraie mission après de maigres rapports sur de supposées ONG anti-impérialistes.

Soif de profits des compagnies minières, intérêts vitaux de nations aux aguets, revendications sanitaires et économiques de populations locales : les vents du nord Niger transportent d’insondables imbroglios stratégiques.

Sa première soirée entre expatriés à Niamey donne le ton. Diplomates, hommes d’affaires, reporters et employés d’ONG s’y côtoient et s’observent : bienvenue au grand bal des menteurs, où Lucie donne parfaitement le change. En rentrant à son hôtel ce soir-là, elle a nettement l’impression que toute son enquête finira par la ramener à cette séquence a priori décontractée, à un ou plusieurs de ces aimables sourires.

La piste d’une fuite de minerai d’uranium par camion finit par se perdre dans le désert et lui ressembler : sans fin, trop vaste à explorer. La consultante reprend le dessus, en s’intéressant à la situation de la Perth Uranium, dont la valeur des actions s’est vertigineusement dépréciée depuis Fukoshima. De quoi rendre les rapports géologiques de GMS particulièrement sensibles.

N’en déplaise à Andréas, un de ses amants réguliers - et vrai germanophone en Birkenstock été comme hiver -, la résilience du secteur du nucléaire ne fait aucun doute aux yeux de Lucie. La catastrophe a seulement un peu rebattu les cartes, mais la sécurisation des approvisionnements reste la priorité numéro un des grands pays énergivores. Et d’après Sam, les Chinois sont sur les dents depuis quelques mois.

Assassinats, disparitions, fausses pistes, tirs de rafales automatiques, trahison ressentie jusque dans sa chair : ce séjour au Niger, c’est le parcours initiatique de Lucie. Finies les simples compilations d’informations, bienvenue dans la peau d’un agent de terrain : elle doit synthétiser, exploiter, décider, s’exposer.

Elle n’en reste pas moins elle-même, Lucie aux trois passeports, la citoyenne du monde qui ne verra plus jamais son prix du kilowatt du même œil.

C’est finalement sur de paisibles rivages de l’Océan Indien que se dénouera cette nébuleuse affaire. Et dans ce coin de paradis réputé pour ses sociétés écrans et sa pêche au gros, Lucie ne pourra rêver plus belle prise.

Scène érotique :

Lucie comprit qu’elle ne tirerait plus grand-chose de cet entretien. Simple employé d’ambassade sans histoires, Maxime agissait sur instruction du Consul Canadien – lequel était fortement « orienté » par Sam. Mais on sentait qu’il réprouvait la besogne.

La sonnerie de l’interphone le fit sursauter. Il se tourna vers l’écran de contrôle et devint blême : Amina venait de franchir d’un pas alerte l’entrée de la petite résidence sécurisée.

-       « C’est elle : la porte d’en bas était ouverte, elle doit déjà être dans l’escalier.

-       Calmez-vous et contentez-vous de vous comporter normalement », répondit Lucie.

La cigarette que venait d’écraser Maxime lui avait redonné un peu de contenance. Quant à Amina, affalée sur le canapé, jambes croisées sur la table basse, jupe à mi-cuisses et chemisier en désordre, elle avait manifestement pris ses aises.

Derrière la porte du bureau plongé dans l’obscurité, Lucie ne perdait rien de leur conversation. Elle pouvait même de temps à autre jeter un coup d’œil sans risquer d’être repérée. Ce qu’elle fit après une interruption du dialogue intrigante.

La longue et volumineuse chevelure d’Amina formait un épais rideau qui allait et venait lentement à la verticale du bassin de Maxime, ne laissant échapper qu’un gourmand murmure, humide et étouffé.

Malgré la gêne manifeste du jeune homme, leurs ébats montaient peu à peu en intensité. Le corps pâlot et sec de Maxime contrastait littéralement avec les formes plantureuses café au lait qui le chevauchaient harmonieusement.

Amina ne portait plus que sa jupe remontée au niveau de la taille, et une culotte mouillée de désir qui laissait complaisamment pénétrer la robuste virilité de sa monture - éloquente affirmation d’une flamme presque imperceptible sur le visage de l’intéressé. L’ampleur des oscillations du bassin de la cavalière engloutissait presque entièrement l’axe de chair raide et moite dans un mouvement elliptique qui semblait n’oublier aucune zone érogène de son ventre. Lorsqu’elle ajouta de subtiles contractions de son périnée à cette mécanique érotique, ses gémissements lascifs évoluèrent en spasmes orgasmiques, que seul le râle du plaisir enfin dévoilé de Maxime finit par couvrir, pendant qu’il venait longuement en elle.

Lucie lâcha un soupir frustré au même moment ; son sevrage devenait inhabituellement long. L’image du canard vibrant offert par ses copines avant son départ, qu’elle avait fini par oublier au fond de sa valise, vint souligner son jeun et sa fringale naissante. Et dire que George – c’est ainsi qu’elles l’avaient surnommé – avait été présenté comme un grigri de bonne fortune…

L’appartement avait retrouvé tout son calme. Lucie fut presque déçue de voir réapparaître Maxime totalement vêtu.

« Vous ne nous aviez pas tout dit. »

Gêné et sur la défensive, celui-ci répondit d’un ton agacé :

-       « Comprenez bien une chose : je roule dans vos combines foireuses à corps défendant.

-       J’ai plutôt vu un corps consentant, voire ardent », répliqua Lucie en le fusillant du regard, qui modéra aussitôt ses propos : « ce ne sont les combines de personne en particulier. De l’uranium en duty free, c’est le problème de tout le monde. »

Dans le taxi qui la ramenait vers son hôtel Lucie nota mentalement : contact fragile sous contrôle de la source. Pas de nouveaux éléments factuels. Elle ajouta sur sa to-do : me débarrasser de George, il me fout la scoumoune.

Scène d’action :

Lucie ne regrettait pas son ascension : l’alternance sans fin de plaines désertiques et de massifs rocheux dégageait une majesté envoûtante. Ce spectacle figé, à peine troublé par un lointain panache de poussière, méritait bien une esquisse. Mais dans le fouillis de son sac, sa main heurta son smartphone avant son carnet de dessin. Bien qu’au coeur d’une zone sans réseau, elle le consulta machinalement.

Martine, sa desperate housewife de voisine, lui avait écrit en début de matinée que l’entreprise de jardinage voulait savoir comment tailler leur haie commune.

« Le plus haut possible : ça évitera à mes convives de te voir jardiner à poil », répondit mentalement Lucie, pas habituée à se trouver hors connexion.

Soudain elle fut prise d’un doute : avait-elle bien allumé son téléphone satellitaire en entrant dans la zone blanche ? Elle vérifia aussitôt : non seulement il l’était, mais un message l’attendait. Lucie reconnut en un clin d’œil ce numéro, strictement réservé aux urgences. Son pouls s’accéléra.

Ne pressentant rien de bon, elle reprit sur le champ le chemin du Land Rover, sans même consulter le message. En direction de la piste qui descendait vers Teggida, le panache de poussière semblait se rapprocher. Sac en bandoulière, Lucie pressait le pas. Lorsqu’elle arriva enfin au pied du monticule rocheux, à proximité de la balise qui marquait le dernier forage effectué par l’équipe de Bishop, un bruit de tout terrain devint distinct. Ce fut en courant qu’elle parvint sur la petite étendue où était garé le 4X4, juste au moment où un pick-up Toyota débouchait à pleine vitesse.

Ibrahim, son chauffeur et garde du corps, s’effondra sous une pluie de balles avant même d’avoir atteint son AK 47.

L’effet de cette brusque irruption de violence cloua Lucie au sol, jambes chancelantes. Derrière une minuscule butte de terre craquelée, elle était certaine d’avoir été repérée. Elle retrouva d’un coup ses esprits au contact de l’objet le plus improbable que puisse accueillir un sac Balenciaga, même aux airs baroudeurs : un Glock, 9 mm.

Le pick-up s’était immobilisé à 30 mètres, deux de ses occupants avaient sauté au sol, fusils mitrailleurs en main, et s’avançaient vers elle sans grande précaution. Il est vrai que la proie paraissait sans défense. Après une longue expiration, Lucie se découvrit brusquement et tira à deux reprises : les deux djihadistes s’effondrèrent dans le sable. Ses trois balles suivantes perforèrent le pick-up, qui démarra en trombe. Lucie profita de ce répit pour sprinter jusqu’au Land Rover. Le demi-tour poussif du Toyota sur une aire sablonneuse lui laissa le temps de s’emparer de la Kalachnikov et des chargeurs d’Ibrahim, et de s’allonger en positon de tir. Et lorsque le véhicule ennemi lui fit à nouveau face, Lucie lui opposa le feu d’une section de marines.

Malgré l’étouffante torpeur de fin de journée et les nouvelles rassurantes de Lucie, Sam se sentait fébrile. Durieux, son homologue français, venait d’arriver à l’ambassade. Lorsqu’ils avaient intercepté le message d’AQMI, il n’avait eu d’autre choix que de le mettre dans le coup. Il ne disposait d’aucune équipe pouvant intervenir rapidement sur zone. Après un bref échange de banalités, l’officier français planta un regard amusé sur Sam.

« Tu sais que c’est aussi une de nos compatriotes, ta petite Lucie ? Et elle est rentrée sur le territoire sous passeport suisse. Multicarte, en somme… Et pas qu’humanitaire, à en juger des restes du grabuge… Il me semble que j’ai droit à une explication, Sam. »

  • Merci Saint James pour votre appréciation. Je viens de lire votre contribution et vous renvoie les compliments.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Avatar 500

    emr

  • Une des meilleures contribution à ce jour ! Scénario très documenté, profil réaliste (manque peut-être une petite touche sexy au personnage...), écriture remarquable. Bonne chance pour le concours !

    · Il y a presque 13 ans ·
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    saint-james

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