COSTA-RICA

Hervé Lénervé

Allez un petit conte pour la route !

Amérique Centrale, Costa Rica, des papillons bleus gros comme des oiseaux (Emblèmes du Pays), des animaux gentils comme des coatis, des toucans aux formes et aux couleurs d'un bestiaire à la Walt Disney, des forêts primaires en veux-tu, en voilà et partout l'espagnol qui sonne comme la langue de la Nature. Une bande de singes hurleurs qui ne démentent pas leur nom, dans des arbres si hauts à griffer le ciel, ils se chamaillent dans un raffut d'enfer. Moi, je les regarde. Je suis né ici et ne connais que ce quotidien, pour moi l'exotisme est ailleurs dans vos grandes villes, mégalopoles de technologies et synonymes de progrès. Mes rêves sont des songes de bitume et de gratte-ciels. Ici, nous n'avons plus d'armée, contrairement à nos voisins, le pays est en paix, pas de matière première à exploiter, pas de mine d'or ou de diamants à piller, seul les bananes et leurs dérivés à exporter, la CIA ne s'attarde pas sur nos plages, elle a autre chose à faire qu'à plonger dans la farniente. Je suis un petit Costaricain, autant dire personne, rien, et me voilà, moi l'insignifiant, à vouloir dominer le Monde. Pourquoi le Seigneur met-il des idées pareilles dans la tête d'un garçonnet sans avenir ? Aussi loin que ma mémoire me le permette, je crois avoir toujours eu cette ambition démesurée, inaccessible. On ne devient pas le maître du Monde très facilement, cela demande de l'entraînement, des sacrifices, des renonciations au laissé aller, bref beaucoup de boulot. Heureusement, je suis courageux, je ne baisse jamais les bras, je suis un battant, mais pour mon dessein il faut être plus que battant, il faut être combattant et là, non ! Je ne suis pas un guerrier.

 

Agé de treize ans, à présent, je rencontrais une Américaine de passage, elle avait vingt-deux ans et venait de se marier, le jeune couple visitait le Costa-Rica. Son mari était, à son opposé, effrayé par la Nature à son état brut, par le moindre insecte aussi inoffensif soit-il, autant dire que chez moi, il n'était pas à la noce pour son voyage de noce. Il restait la plupart du temps cloîtré dans sa luxueuse chambre d'hôtel pour touristes fortunés. Je travaillais dans cet établissement en tant que garçon à tout faire. La belle s'ennuyait du matin jusqu'au soir à siroter des cocktails et à se promener désœuvrée dans le parc domestiqué du complexe. Je la voyais souvent traîner son ennui, fine, belle, légère et riche. Je n'étais pas débordé par le travail aussi nous sympathisions immédiatement pendant que je l'accompagnais dans sa lassitude en lui parlant de ce qui existait en dehors de cette enceinte protégée. Elle m'écoutait enthousiasmée par mes récits d'animaux sauvages et de jungles impénétrables. Je crois qu'elle m'aimait bien, elle s'était attachée à ce jeune garçon qui avait déjà un corps d'adulte. Elle demanda au directeur de l'hôtel que je lui serve de guide pour découvrir autre chose que la piscine et la salle de fitness. « Le client est roi » et en tant que reine elle n'eut aucune difficulté à obtenir mes services à temps complet. J'étais, moi-même, aux anges d'accompagner  partout mon ange, car bien évidemment j'en étais fou amoureux, comment aurait-il pu en être autrement ? Elle était merveilleuse. Je connaissais mon Pays mieux que quiconque, je lui faisais visiter des lieux reculés, des endroits où aucun touriste ne s'aventurait, je ne suivais pas les sentiers balisés des circuits sécurisés. Avec moi, elle découvrit la vraie nature de la Nature. Je lui apprenais à manger des fourmis vivantes, je lui montrais des nids d'aras invisibles aux novices en montant aux géants jusqu'à la canopée pour elle, au septième ciel pour moi. Elle m'appelait son jeune Tarzan et moi je l'appelais Madame. Cela la faisait rire c'était nouveau pour elle d'être mariée. Elle était intrépide, plus je lui en montrais et plus elle voulait en voir, elle n'avait peur de rien, elle avait soif de vivre comme une sauvage et chez moi, il était encore possible de régresser à cet état premier, de se laisser aller à ce que nous avons dû être, il y a bien longtemps, avant la sophistication de nos temps modernes. Comme elle voulait vivre comme la première femme de l'humanité elle abandonna ses vêtements légers pour se sentir en entière harmonie avec l'environnement et nous parcourions nus comme des vers des terrains vierges de pas. Elle n'avait gardé que ses tennis, car elle n'avait pas comme moi la plante des pieds durcit à la randonnée. L'ocelot est le seul félin véritablement dangereux ici, généralement il n'attaque pas l'humain, mais les femelles poussées par la faim et le besoin de nourrir leurs progénitures peuvent à l'occasion s'en prendre aux égarés de notre espèce et comme nous l'étions tous deux égarés sur des sentiments interdits, une femelle téméraire nous prit en chasse. Je conservais seul accros à ma nudité une machette et je réussis à blesser l'animal qui renonça à prélever sur nous une part de son repas. Mon Eve se blottit tremblante d'effroi contre moi qui tremblait de joie. Nous fîmes l'amour comme l'amour se fait partout sur Terre et peut-être ailleurs, aussi. J'avais malgré mon jeune âge un corps d'athlète forgé par les circonstances de la vie au grand air.

La semaine qui suivit fut la plus grande aventure de ma vie,  ce fut mon Aventure, puis la belle s'envola pour rejoindre son pays lointain, comme toutes les belles s'envolent. Je n'eus jamais plus de nouvelle de mon Eve, je ne la revis jamais, je ne l'oubliais jamais.

 

Je ne la revis jamais ou presque, car maintenant que je suis un homme mur, installé avec femme et enfants dans une contrée perdue de mon Pays perdu, je regarde l'investiture du nouveau jeune Président des Etats-Unis d'Amérique. Il a fière allure, grand, brun, légèrement métissé, un charisme indéniable à ses côtés ses parents, de parfaits Américains, encore beaux, magnifiquement vêtus, à l'aise dans leur société de puissants. La caméra traîne nonchalamment sur les officiels et s'attarde un instant sur le visage de la mère de l'élu, cadrage serré elle fixe de ses yeux magnifiques, inoubliables l'objectif et lancent dans une langue que je suis le seul à comprendre : « Merci Pedro, je t'aime mon animal. »

Mon fils devint le maître du Monde

  • C'est déroutant ! ...

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Gaston

    daniel-m

    • Tous les chemins mènent à la Maison Blanche ! :o))

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

  • Au Costa Rica, font du bon café aussi.

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Philippe effect betty

    effect

    • Oui ! A Cuba aussi, mais ça fait loin pour boire son café du matin ! :o))

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

  • Si je peux me permettre, à l'avenir, il te faudra aérer le texte. Pas pour moi, je ne lis jamais en diagonale :)

    · Il y a plus de 5 ans ·
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    Mario Pippo

    • C’est vrai que j’aurais pu ouvrir une fenêtre. Ça pue le renfermé ! :o))

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • J'ai cru, un moment, que c'était la naphtaline :)

      · Il y a plus de 5 ans ·
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      Mario Pippo

    • C’est vrai que j’en mets dans mes armoires informatiques. :o))

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

  • Quel joli conte, je l'ai lu d'un trait. Comme tu sais être romantique quand tu le veux Hervé, et ton talent n'en est que plus attrayant. A la fin, je me suis bien naturellement doutée que Pedro avait semé sa graine...

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Une petite graine pour un gamin, mai un grand placement pour un rêve par procuration générationnelle. :o))

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • Yes !!

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • Oui, c'est très plaisant...

    · Il y a plus de 5 ans ·
    W

    marielesmots

  • Un voyage fort sympathique, emouvant aussi, très joliment écrit, avec une petie note d'humour bien dosée. ..merci Hervé

    · Il y a plus de 5 ans ·
    W

    marielesmots

    • J’aime bien écrire des contes, même si l’exercice me contraint à moins délirer qu’à mon habitude. Merci à toi, Marie ! :o))

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

  • Le conte est bon.

    · Il y a plus de 5 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

    • Je ne sais pas, je l’ai écrit sans le lire. :o))

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

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