Cour d'un miracle

valjean

D’abord il y a elle, elle mangeuse d’ombres, luciole de son obscurité,

Son sourire est aimant, son regard magnétique, il y est attiré, tel un papillon de nuit par un bulbe incandescent.

Puis il y a lui, pauvre hère, handicapé de la vie, le visage grêlé de souffrances, le pas claudiquant d’infortune,

Depuis toujours, de lui les regards se détournent, révulsés ou simplement effrayés.

Il est Quasimodo, il ne croit plus en Esmeralda, et de toute façon si elle existait, il ne l’aborderait pas : la fin de l’histoire est trop tragique.

Dimanche dernier, alors qu’il déposait son bulletin dans l’urne, il l’a croisé sortant de l’école, elle lui a souri, lui que même sa mère repoussait, elle n’a pas été effrayée par ce visage à moitié rongé et suintant, elle n’a pas esquissé eu une moue de gêne en le voyant péniblement progresser, appuyé sur sa béquille trop courte, non elle lui a vraiment souri.

Ce jour là il a découvert qu’il avait un cœur, que cet organe n’était pas simplement cette chose battant sous ses côtes décharnées, après qu’il eut grimpé ses 5 étages sans ascenseur.

Alors ce 30 mai, vers 21 heures quand la nuit lui donne une apparence présentable, il sort, attiré par les bruits de la cour, l’orchestre improvisé de la fête des voisins.

Dans la foule étonnamment dense, coupant un gâteau, elle est là, elle sent même immédiatement sa présence, il se sent envahi d’elle, il devine sa gorge tourmentée, et ses yeux papillons s’agitent.

Elle esquisse un sourire, il dessine une fuite, le gobelet plastique qu’il tient de sa main valide se fend, laissant s’échapper le liquide qui dessine dans sa chute une rigole serpentine sur ses habits et goutte à goutte sur le sol.

Il veut disparaître mais comment ?

La musique crache son venin métallique, il sent ses yeux braise se darder dans les siens, il est envoûté.

Alors l’être zombie veut s’approcher d’elle, il tente de se frayer un chemin de son pas d’infirme, évitant les danseurs, elle l’attend, la bouche légèrement ouverte, le regard vaporeux.

Il n’entend plus rien, il progresse sur le sol moite, encouragé par son désir à elle, et s’asphyxie, à travers ce rideau d’ombres humaines.

Il la rejoint, il tente de lui parler, de sa bouche s’échappe un râle de silence.

Il se sent soudain happé par la chenille dansante, sa canne tombe, il se raccroche à ses épaules, dont il sent toute la finesse de la peau, et le parfum qui s’en dégage, brassé par sa chevelure rousse.

La chenille s’arrête brusquement, elle se retourne, il vacille, s’accroche à elle, tétanisé par la beauté de ses yeux bleu flamme.

Elle se sert contre lui, tous les pores de sa peau si sensible de n’avoir jamais été aimée s’éveillent, sa bouche se rapproche, effleure la sienne, glisse sur son menton, s’attarde sur sa gorge, s’entrouve.

Au début, il a un peu mal, mais il ferme les yeux, tout son corps vibre sous les doigts aussi doux que les coussinets de son chat, le seul être qui lui ait apporté un peu de chaleur, jusqu’à sa mort, il y a un an.

Quand il rouvre ses yeux, il s’aperçoit que les danseurs font cercle autour d’eux, le regard bienveillant, il glisse dans un semi sommeil, alors qu’elle se nourrit de son sang.

 Il ose enfin sourire, il a trouvé une famille.

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