Les "fous"

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Les troubles psychiques, ça n'a que des inconvénients.

Et vous aurez beau vous battre, vous débattre, ça n'aura jamais autant d'impact que si votre maladie était visible, acceptée par les mœurs, considérée comme légitime.

Dans ce monde civilisé où 42% des Français associent encore la maladie mentale à la folie, on ne vous prendra pas au sérieux, car votre souffrance est imaginaire, c'est dans votre tête : visiblement vous êtes trop con pour le réaliser. Arrêtez d'être mal et pensez un peu à ceux qui souffrent vraiment, les cancéreux, les incurables, par exemple.


(Retour rapide, lecture.)


Un groupe, dans la première clinique où j'étais allée.

Un groupe sur je ne sais plus quel thème, un groupe entre paumés de la vie.

Et il y avait ce petit homme, d'une cinquantaine d'années, les cheveux grisonnants, de petites lunettes. Ce petit homme qui répétait sans cesse, peut-être parce que lui aussi trouvait cela incompréhensible et aberrant, qu'il avait vaincu le cancer, gardé la tête haute, mais que la dépression qu'il subissait alors était en train de soigneusement le tuer.

«J'ai vaincu le cancer, mais je crois que la dépression va gagner.»

Ça faisait mal de le voir dire ça d'une voix frêle, à chaque fois, répéter et répéter encore cette phrase, sentir sa douleur dans la pièce, et ne rien pouvoir faire d'autre que de lui accorder un sourire triste.

Vous voulez savoir ce qu'il est devenu, ce petit homme émouvant ? Je vous le raconterai plus tard.


(Retour à l'instant, bip.)


Seulement, allez dire aux gens qui ne comprennent ou ne veulent comprendre que vous souffrez, même si c'est différent. Allez leur expliquer quelque chose qui, sous prétexte qu'il ne se voit pas, n'existe pas.

Qu'une crise de panique nocturne avec idées noires reste la même chose qu'une attaque quelconque : vous risquez céder à l'impulsion dans votre crise, et vous retrouver pendu à une poignée de porte parce qu'alors, vous n'aurez rien trouvé de mieux pour faire cesser l'enfer, l'angoisse ayant été trop forte pour que vous gardiez la tête froide. Ah, pardon. C'est vrai. Ceux qui vont plutôt bien, et qui prônent combien les maladies mentales ne sont que pure illusion, n'ont pas la capacité de comprendre ce genre de chose. Paniquer, c'est pas bien grave, hein.

Il n'empêche, les troubles mentaux concernent une personne sur cinq. Méfiez-vous. On ne sait jamais sur qui ça va tomber...


En douce, vous rêvez. Vous les imaginer, ces criards,  soudainement goûter à cette saveur âcre dans la bouche, le corps qui capitule d'angoisses en paniques, le désintérêt incompréhensible, le dégoût, et cette douleur dont on ne peut parler, parce qu'aucun mot ne peut définir l'impalpable. Vous les imaginez, eux, qui savent tout sur tout, soudainement réaliser que la vie n'est plus possible avec cette broyeuse, et que peut-être la mort serait un moyen de faire taire la douleur.


D'entre vos souffrances, jamais vous n'aurez droit à quelque compassion, à quelques phrases qui pourtant vous aideraient à croire que vous vous en sortirez : «tu es courageux», «on est avec toi». Pas plus de boite de chocolats.

On considérera vos problèmes comme moindres comparés à d'autres, sans cesse, encore et encore. Et vous culpabiliserez davantage, sans savoir pourquoi, vous vous sentirez à l'écart, de côté, cinglé, irrécupérable, bouffé par la honte.

Face aux regards, aux discours, vous déciderez de vous isoler. Vous ruminerez encore plus, cherchant ce qui cloche chez vous. Vous baisserez le visage face aux soupirs de vos proches, leur lassitude légitime.

Progressivement, vous commencerez à vous demander si lutter pour des personnes qui sont fatiguées de vous voir mal est une bonne chose, si vous ne devriez pas vous écouter, pour une fois, et passer l'arme à gauche.


C'est désolant de voir qu'en cette époque de progrès variés, le regard sur les maladies mentales n'évolue pas.

Et pourtant, la croissance des troubles variés est bien là. Peut-être que votre fille, votre fils, votre cousin en sera atteint. Et vous ferez quoi, alors ? Vous lui direz de se bouger le cul, tandis qu'il ou elle sombrera ? Vous en voudrez-vous en cas de suicide, de n'avoir jamais accepté le fait que peut-être, la souffrance était réelle ?

J'aimerais vous y voir.

Je ne comprends pas plus ce besoin qu'on certaines personnes de crier haut et fort combien les malades mentaux sont juste idiots ou faibles.

Que cela apporte-il ?

Y'a-t-il en eux une noirceur qu'ils n'assument pas ?

Veulent-ils se prouver qu'ils resteront forts ?


D'ailleurs, si les troubles mentaux sont un tel plaisir, pourquoi tant de suicides ?

En votre for intérieur, vous espérerez presque que ceux qui vous disent que c'est "lâche" de faire ça choppent une petite ou grosse dépression. Juste comme ça. Pour en reparler, quand ils seront dévorés par le mal-être et commenceront eux aussi à doucement réfléchir à cette poutre dans le salon...


Comme cette amie que vous aviez, et qui n'avait de cesse de vous insulter lorsque vous étiez au fond du trou : c'est de ta faute, t'as qu'à te bouger, tu le fais exprès ! Vous avez cessé de l'écouter. Vous l'avez sentie s'éloigner, et cela vous importait alors peu.

Et la voilà qui revient un beau matin, les yeux rougis, tête baissée, murmures d'excuses en sous-entendus. Elle est paumée. Sous antidépresseurs. Elle vient chercher de l'aide auprès de vous, parce que vous en connaissez un rayon sur le sujet, elle regrette de vous avoir dit "tout ce qu'elle dit". Vous auriez presque envie de la laisser là, et lui dire qu'après tout, suffit de se bouger et faire preuve de volonté. Mais vous ne connaissez que trop bien ce qu'elle traverse. Et un soutien vous réconcilie.Un soutien ô combien vital, ô combien rassurant. Car l'union fera toujours la force, malgré tout.


Les gens ne se suicident pas par plaisir.

Mourir est un acte terriblement dur, l'instinct de survie étant vif au creux de chacun. Ceux qui parlent de lâcheté ne savent rien du courage immense qu'il faut pour se tuer.

Ni de la douleur sourde qui mène à cette décision.

Car alors, bouffé par cette chose interne et violente, seule la mort peut apparait capable de délivrer. Elle vous broie. Matin, midi, soir, nuit, sans pause, sans vacances, sans coma, ni morphine. Car non, il n'y a pas de pause, quand on souffre d'un trouble psychique, non, vous resterez conscients de la douleur tout le temps, même dans vos nuits, dans vos cauchemars.

Pour qu'un être humain décide de son plein gré de mourir, c'est qu'il faut une bonne dose de souffrance en lui.

Et je continuerai de penser que tous les suicidés du monde auront été bien plus courageux que ceux qui parlent et parlent sans rien connaître de leur sujet, persuadés de détenir la vérité ultime.


Un jour, les médecins vous expliqueront que votre souci est un handicap reconnu. Vous vous garderez bien de répéter cela. La culpabilité, encore.

Vous savez que cette chose est en train de réduire votre vie à néant, mais l'idée du handicap vous est difficile, et il vous faut de longs mois pour accepter à moitié cette idée.

Et comme diraient les autres, handicapé de quoi ?

Tu marches, non ?


Tant d'incompréhension, tant de préjugés.

Peut-être, un jour, parviendra-t-on à informer la population sur la vérité des troubles mentaux, leur cause, leurs conséquences, leurs dangers, le fait que personne n'est à l'abri. Enfin, si la population veut bien écouter. Car là reste le problème de fond, personne ne s'écoute, chacun à un avis sur tout, et tout le monde juge. C'est bien plus facile, après tout.


Parfois, ça ira mieux, d'autres fois nettement moins.

On continuera de s'énerver ou de soupirer face à vos appels au secours, la seule option avant de crever. Dans le bocal, vous coulez sous les regards condescendants. On s'amusera à appuyer sur votre tête, en vous répétant que vous l'avez bien choisi.

Les larmes couleront, la nuit ou sous la douche, pour ne pas qu'on râle de voir vos yeux humides.

Coupable !

Lors des crises d'angoisses, vous vous demandez comment fait votre corps pour survivre. Tant d'assauts, le cœur ne devrait-il pas finir par lâcher ?

C'est si violent, une angoisse, une panique.

Le corps lâche et implose, tremble, bat, frémit. Lorsque la crise s'atténue, vous êtes aux abois, épuisé. Comme si vous veniez de galoper sur des kilomètres. 

Et vous n'avez plus qu'à serrer les dents, encore.

Vous n'avez pas le droit d'être mal. Vous avez signé en venant au monde, vous avez signé : je n'ai pas le droit de souffrir, je serai heureux, parce que seul le bonheur est autorisé. Si ma maladie est considérée comme légitime, alors je souffrirai, et on m'offrira des chocolats. Autrement, j'accepte de sourire et de vivre.


Pourquoi le mal de vivre dérange-t-il autant ? Vous êtes bien, heureux ? Alors vivez, mais ne venez pas juger les autres sans aucune connaissance.

Va-t-on discourir d'un livre que l'on n'a pas lu ? Je crois que non. Mais je peux me tromper, hein...


Vous vous permettez de rêvasser, parfois. Parce que vous avez trop regardé Dr House. Vous vous dites, ça se trouve, c'est physique, y'a quelque chose qui bloque, ou ne fonctionne plus, vous vous dites, ça se trouve, il suffirait de m'opérer, et je retrouvais goût à la vie. Et les autres arrêteront de m'en vouloir. Et je pourrai retrouver la terre ferme, loin de l'océan sans fond, ses vagues et son courant.


Autour de votre carcasse, on s'habitue, et vous resterez cette personne triste et bizarre dont on ne cherche plus à comprendre ce qui cloche. Cette personne triste dont on n'a jamais compris pourquoi un jour, elle s'est jetée sous un TGV.


Une haine viscérale vous dévorera. Et vous deviendrez cruels. Vous vous sentirez seul, avec cette maladie invisible et que personne ne prend au sérieux, vous vous sentirez rejeté, jugé sans preuves, annihilé par les réflexions.

Vous repenserez doucement au petit homme qui avait vaincu le cancer, mais qui n'a su lutter contre la dépression. Celui qui répétait et répétait tout le temps ce fait, parce qu'il ne comprenait pas. Lui aussi, on lui avait toujours dit que la dépression, c'est rien. Alors vaincre le cancer et se sentir dévoré par la dépression, c'était le monde à l'envers.

Ce petit homme qui a baissé les bras pour employer les dires de ceux qui savent tout. Il est mort en silence, dans un recoin, parce qu'il ne voyait plus d'issue. Vous voulez des détails ? C'est le froid qui l'a tué. Un soir d'hiver, il est sorti, habillé d'un tee-shirt. Il s'est assit sous un arbre, dans un parc. Il est mort d'hypothermie.

Etait-il faible, cet homme ?

Est-ce de la faiblesse, que de serrer les dents quand le froid vous ronge les os, mais rester là, sans aller se réchauffer, jusqu'à ce que le corps cède ?

Manquait-il de volonté ?


De mon côté, je continue de penser à lui, de temps à autres. Parce qu'il était émouvant, à vif, écorché, qu'on aurait aimé avoir une solution à lui offrir. Personne dans sa famille ne lui a tendu la main. La cancer, oui, là, tous l'avaient soutenu, okay. Mais la solitude de la dépression l'avait catapulté dans cette clinique, un peu comme pour se débarrasser de lui.


Repose en paix.


  • Une claque humaine et vraie. Merci pour ce témoignage. Solidaire ! :) <3

    · Il y a plus de 8 ans ·
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    mark-olantern

  • Ouaw ! Quel texte ! Émouvant ! Ça me rappel un peu mon parcours..

    · Il y a presque 10 ans ·
    0018e3bca9665b172215ee42ff1aa96e

    nevrosee

    • Oui, ça se sent en te lisant. Ce n'est pas évident. :/ Courage à toi, à bientôt

      · Il y a presque 10 ans ·
      Zt245dd

      redstars

    • Merci, du courage il en faut !
      Par ailleurs j'ai trouvé votre analyse des gens très vraie.

      · Il y a presque 10 ans ·
      0018e3bca9665b172215ee42ff1aa96e

      nevrosee

  • Poignant.

    · Il y a environ 10 ans ·
    Courte

    lilii

  • J'ai lu à toute vitesse,, pressée de te lire Non parce que ce que tu dis me dérange, mais parce que ton texte m'aide à mieux comprendre cette terrible maladie.
    En ce qui me concerne, je n'ai jamais considéré la dépression comme une maladie "inférieure" aux autres. Je la comparerai à une sorte de voix démoniaque (c'est juste une expression, rien de religieux ici) qui vous entraîne inéluctablement vers les ténèbres. Ou à un cancer justement, mais un cancer qui ronge l'âme, l'esprit, l'espoir. Sans doute faut-il avoir connu cela(soit soi même, soit à travers un proche : et heureusement, il existe aussi des gens capables d'empathie et de compassion pour ces malades) pour comprendre. Toutefois, ton texte contribue à cette compréhension.

    · Il y a environ 10 ans ·
    Couv2

    veroniquethery

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