Dans la tête de Steve Jobs

Nanaah

Ma participation au concours :Dans la tête de Steve Jobs

Un morceau de papier vient de tomber sur le seuil de ma porte. Sur cette feuille allongée par terre est écrit un nom que je connais bien : Steve Jobs.

Voilà bien dix ans que je ne lui ai plus parlé. A l'époque, j'étais encore une simple journaliste en herbe prête à découvrir le monde et ses stars. Je l'avais croisé dans une sombre ruelle. Ma caméra à la main, j'hurlais son nom pour demander une interview. Il s'est sauvé aussi vite que possible. Moi j'étais plantée là, transpercée par la pluie. J'ai fini par me dire qu'il était réellement parti, qu'il me laisserait ici. Mais les fans de mon magazine nommé ActuStars n'aimeraient pas que j'oublie ce personnage si important ! Je grelottais tellement sous cette abominable pluie, mais, après avoir frotté l'objectif de ma caméra, je m'aperçus qu'une ombre se dessinait à l'autre bout de la ruelle. Prenant mon courage à deux mains, ne sachant pas si la personne que j'espérais trouver serait là, à attendre dans le noir que j'arrive, je courus vers elle, et manqua de perdre mon précieux bloc-notes. Il était là. Steve se tenait là. Il m'observa un  instant avant de me dire :

« Venez chez moi, au chaud. Nous pourrons discuter calmement. »

Et c'est ainsi que j'ai pu remplir trois pages entières sur lui.

  

Mais maintenant, ce n'est plus pareil. On n'entend plus personne parler de lui. Nous l'avons tous oublié. C'est comme les chanteurs, un jour ils sont trop connus et ne produisent plus de chansons, alors ils sont remplacés par des stars plus nulles qu'eux.  Mais moi, j'ai continué à chercher vainement des informations et anecdotes sur lui. Même les blagues les moins tordantes parlant de lui feraient l'affaire. J'espérais juste qu'il refasse surface. Car cette personne était mon modèle.

Revenons à nos moutons. Je ramassai le papier déchiré. La pluie avait refait surface, comme ce jour-là.

En résumé de sa longue lettre, il voulait simplement que je passe chez lui pour une interview. Avant, cette convocation m'aurait fait plaisir, mais désormais Steve n'était qu'une personne qui a appartenu à la longue histoire des stars perdues.

Je m'étais libérée un mercredi. Arrivée devant la grande porte en bois, je sentais mon ventre se nouer. Pourquoi diable voulait-il un reportage ? Il n'avait rien fait de miraculeux pour mériter ça.

 Je toquai. Il m'a ouvert et a souri. Je m'étais installée dans un grand fauteuil  noir .Du thé reposait sur la table en verre, et des cookies accompagnaient cette boisson. Mon bloc-notes sur mes genoux, un biscuit en bouche, j'avais allumé ma caméra et commencé le reportage. Je commençais par poser des questions basiques ; vous allez bien ? Comment fonctionne votre vie ? Est-ce bien d'être suivi par des journalistes à longueur de journée ? 

Puis, vers la fin de l'interview, on a commencé à cerner le projet.

« -Alors, Steve, ça fait longtemps que nous n'avions pas entendu votre nom à la télévision. Que s'est-il passé ? »

Il m'a regardé avec deux sentiments différents mélangés. Il y avait d'abord la peur que la surprise soit révélée avant qu'il ne le souhaite. Ensuite vient le regard des petits. Vous savez, quand votre enfant vous observe et vous dit « Je ne peux pas te dire ça, c'est un secret ».

Il a toussé, prit un biscuit et m'en a proposé une tasse de thé que j'ai acceptée.

«- Je travaillais depuis belle lurette sur un nouvel objet. L'IPhone se fait bien vieux, tout comme le Mac.

- Quel genre d'objet ?

-Il n'a pas encore de nom, mais je vous l'assure, ce sera un produit fantastique. Un petit appareil en forme de télécommande de toutes les couleurs et à personnaliser qui sert à tout ! Vous ne trouvez plus les clefs de votre voiture ?Hop !Un petit clique sur le bouton sur lequel est dessiné une auto et votre véhicule vous est ouvert !Vous n'avez pas eu le temps de regarder la météo ?Appuyez sur le nuage  gris et une petite télévision s'ouvrira devant vos yeux, vous indiquant si il y a du soleil, ou au contraire, si la pluie viendra bouleverser votre journée !Et je ne vous ai pas tout dit.

Il y aura aussi un bouton qui déclenchera une caméra vous montrant où se trouvent vos enfants, un autre pour passer une commande à la boulangerie. Nous n'avons plus qu'à créer des coques de toutes les couleurs et tous les styles pour ce magnifique objet !

-Vous avez une idée du nom ?Une suggestion ?

-Nous pensons à un nom du genre AideAndCo, mais les jeunes d'aujourd'hui ne diraient pas « Eh, t'as vu, j'ai le nouveau AideAndCo trop classe ! »Et mes collaborateurs espéraient  StarsLess, pour que nous le surnommions Less. Et vous, pouvez-vous voter ?

-Moi, je préfère aussi le nom que vos coéquipiers ont voulus. »

C'est ainsi que son oeuvre fut révélée au grand jour par moi-même. Steve, ayant organisé un grand repas festival pour expliquer son tout dernier produit, avait l'air confiant. Moi, assise parmi les autres journalistes ,je contemplais la nourriture, affamée. Je n'osais pas me servir avant les autres. Mais quand un homme se leva ,prit une poignée de frites et l'engloutit d'une bouchée, j'en fit de même.
Un verre d'eau à la main, j'écoutais le discours distraitement. Tout ce qu'il disait, il me l'avait répété lors de l'interview, quelques jours auparavant.

« Moi, Steve Jobs, je déclare que le produit nommé StarsLess est enfin en vente. Grâce à lui, vous bénéficierez d'une aide ultra sophistiquée. Une voiture en panne, besoin d'un quelconque objet en urgence ? StarsLess est là pour vous ! Et vos enfants, dans tout ça ? Eux aussi ont une aide spéciale ; un échec à l'école ? Des cours de rattrapages n'attendent qu'eux ! Oh, vous avez oubliez de prendre des sous pour votre dîner, à l'école ? Cette télécommande peut retirer des billets de votre compte pour les transférer dans votre poche !N'est-ce pas fantastique ? »
Les gens, étonnés, se regardaient. J'avais peur pour cet homme que son projet ne plaisait pas. Mais il suffit que j'applaudisse une fois pour que les personnes présentes soient convaincues. 

Steve regarda la foule en souriant, le même sourire qu'il a eu lorsque je l'ai interviewé il y a dix ans, quand il m'a annoncé qu'il allait inventer l'IPhone. Il a exactement le même visage, même si des cheveux gris et des rides envahissent peu à peu sa face. Il est vieux, mais toujours imaginatif, car en dix ans, personne n'aurait su refaire surface aussi théâtralement que lui.


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