Dans l'oeil d'un cheval

Florence Garel

 Il était seul dans l’enclos. Il était vieux et fatigué. Il attendait que quelqu’un vienne le voir. Elleffran était un magnifique cheval. Il vivait dans cet enclos depuis trois ans. Il aperçut un petit garçon qui venait vers lui.  Il hennit, ravi de voir un nouveau visage. Plus personne ne venait lui rendre visite. « Regarde, Papa », cria Matt. « Il est beau ce cheval ! ». Un homme accourut. « Ne le touche pas. Il pourrait te mordre ». S’il avait pu, Elleffran aurait ri. Il était le plus gentil cheval du monde, Surtout avec les enfants. « Ce n’est pas vrai ».

Matt tendit la main. Elleffran fut ravi et laissa le petit garçon le caresser. « Viens, Matt », lui dit son père. « Non, je veux rester avec ce cheval. » Elleffran fut content. Ce petit garçon était bien sympathique. Il évoquait pour lui une petite fille qu’il avait connue auparavant. C’était une très bonne cavalière. Elle avait dix ans à cette époque. Elle s’appelait Mathilde. Ils avaient été les meilleurs amis du monde. Il pouvait se rappeller son odeur.

Elleffran se souvint de tout ce qu'il avait vécu. Matt vit ses souvenirs dans son œil. Il regarda. Soudain, l’œil fut la seule chose que vit le petit garçon. Matt plongea dans le passé d’Elleffran. C’était dans une colonie de vacances où on apprenait à des enfants à faire du cheval. Elleffran faisait parti des candidats. Il était bien jeune alors. Il regardait ces petites filles et ces petites garçons et se demandait qui parmi eux lui serait octroyé. Ses yeux s’arrêtèrent sur Mathilde.  Pourvu que se soit elle. Elleffran se tenait tranquille. Il n’aimait pas trop avoir ce mors dans les dents qu’on lui mettait. Mais il ne le montrait pas. Mathilde s’approcha. L’instructrice aida la petite fille à monter. Elle se jugea essayant de se tenir droite. Elle avait réussi à grimper du premier coup. Elle prit les reines d’une main ferme. Elleffran sentit qu’elle était en confiance.

Ce fut un succès. Elleffran n’était pas difficile si on se montrait compréhensif. Il lui était arrivé dans d’autres circonstances de faire la forte tête.  Elle l’avait remonté plusieurs fois. C’était toujours lui qu’elle prenait. « Tu ne voudrais pas en monter un autre ? », lui demandait l’instructrice en souriant. « Non, je veux Elleffran ». Il hennissait pour montrer qu’il était d’accord. Et puis, un jour, Mathilde était partie. C’était la fin des vacances. Elle était retournée vivre avec ses  parents. Elleffran en aurait pleuré de dépit si les chevaux pouvaient verser des larmes. Les jours étaient passés. Elleffran avait oublié Mathilde et était resté un bon cheval qu’on montait. Les enfants l’aimaient et le trouvaient doux. Mais il n’avait plus jamais retrouvé le même plaisir qu’avec Mathilde. Elle lui manquait. Mais il était choyé et nourri. Les gens de la colonie prenaient bien soin de leurs chevaux.

Mais un jour un camion arriva. La colonie devait vendre ses chevaux. Elleffran ne compris pas ce qui se passait. On le fit sortir de son box. Ils étaient deux et avaient un air déplaisant. Elleffran se cabra. Il ne voulait aller nulle part avec ces deux-là. L’un d’eux lui passa une corde autours du cou pour l’obliger à avancer. Elleffran secoua sa crinière. Il n’irait pas. Un des hommes sorti sa cravache et la lui montra. Ellefran ne fut pas impressionné. L’homme commença à le frapper. Ellefran eut un mouvement de surprise. Mais un des animateurs, Martin, s’approcha de l’homme et prit son bras pour l’empêcher de continuer. « Pas de ça. Mon petit gars ! ». Le type lui jeta un regard chargé de haine. La directrice de la colonie s’approcha de lui. « Elleffran, tu dois suivre ses hommes ». Comprenant qu’il avait perdu, Elleffran cessa de lutter.

Les deux hommes l’emmenèrent. Il monta dans le camion. D’autres chevaux qu’Elleffran connaissaient étaient déjà à l’intérieur. Elleffran fut fier et triste en même temps de voir qu’il était le seul à avoie essayé de tenir tête à ces méchants hommes. Même Rougeard n’avait rien tenté. Il avait toujours été le plus fougueux.  Il paraissait avoir perdu d’un coup toute sa vigueur. Où était la flamme qui pétillait dans ses yeux ? Elle s’était éteinte. Elleffran sentit alors quelque chose de nouveau qui lui monta à la gorge : la peur. Plus que ce camion, ces hommes et tout le reste ce fut le regard de Rougeard qui fit naître en lui la terreur. Mais c’était trop tard, le camion venait d’être refermé derrière lui.

Elleffran se sentit prisonnier. Il avait chaud. On transpirait là-dedans. Il n’y avait pas d’espace. Il faisait sombre. Le trajet fut très long. Elleffran avait soif. Finalement, au bout de trois jours, ils s’arrêtèrent. Il se retrouva…dans un cirque. Un homme arriva et discuta avec le conducteur. Les chevaux furent déchargés. Elleffran regarda autour de lui, complètement hébété.  Il fut emmené dans une roulotte. Un autre homme arriva. Ce devait être le palefrenier. Il prit trois chevaux dont Elleffran. Les autres remontèrent dans le camion. Ellefran eut de la peine pour eux. Il fut emmené dans une roulotte.

Là, il fut parqué avec les autres chevaux. Dehors, il pouvait entendre des voix. Elleffran ne savait pas ce qu’ils allaient faire de lui.  Un homme entra. Il le prit avec un licou. Il l’emmena vers une grande piste. Ellefran ne comprenait pas ce que cet homme voulait de lui. On lui installa un étrange harnachement. Pourquoi est-ce qu’ils le déguisaient ainsi?  Ils lui firent faire des exercices pénibles pendant plusieurs heures. C’étaient des gestes qu’il n’était pas habilité à faire. Elleffran dû les répéter plus d’une dizaine de fois. Au bout de deux heures, il fut exténué et affamé. Un des hommes lui donna une tape sur l’encolure. « Tu sera Geronimo, désormais ». Ils le ramenèrent dans la roulotte où ils l’y laissèrent.

Le lendemain, on les fit sortir. Des gens étaient venus pour voir les animaux du cirque. Il y avait pleins d’enfants. Elleffran sentit une bouffée de nostalgie. Ils lui rappelaient ces temps plus heureux dans la colonie de vacance. Ils ne savaient pas ce qui se passait vraiment dans ce cirque. S’ils avaient la moindre idée de la manière dont lui et ses congénères étaient traités, ils ne voudraient plus jamais mettre les pieds dans un cirque. Et il repensa à la petite Mathilde. Une petite fille s’approcha de lui et vint le caresser. C’était elle. Mathilde. « Papa, Maman ! », appela-t-elle. « Venez voir ! ». Ces derniers approchèrent. Ellefran regarda  les parents de Mathilde. Il aurait voulu les rencontrer ailleurs et en d’autres circonstances. Il eut honte.  « Qui y a-t-il, ma chérie ?» , demanda la mère. « Ce cheval, je le connais. C’est celui de la colonie. C’est Elleffran. », répondit Mathilde.

Le directeur arriva. «  Je vois qu tu attache une grande attention à Geronimo ». Mathilde fronça les sourcils. « Il ne s’appelle pas Geronimo, mais Elleffran. Ce n’est pas un cheval de cirque. ». Son père intervient. « Il faut excuser ma fille », fit-il. « Elle aime beaucoup les chevaux. Il y avait dans une colonie où elle passait ses vacances un cheval qui ressemblait à celui-là. » . Mathilde regarda son père, étonnée. « Qu’est-ce que tu raconte, Papa.  C’est lui. C’est Elleffran ». Son père ignora son intervention. « Je suis vraiment désolé. Nous allons vous laisser. Ma fille voulait voir les chevaux. Les vôtres sont superbes ». Il prit Mathilde par la main et ils s’éloignèrent.

Elleffran les regarda partir. Il se sentit très malheureux. Il se mit à hennir comme s’il leur criait de revenir. Mathilde tourna la tête vers lui. Mais son père l’entraîna. Bientôt, ils ne furent plus que trois silhouettes. D’autres curieux arrivèrent et s’agglutinèrent autours de lui. « Il est beau ». « Comment et-ce qu’il s’appelle ? ». « Je peux le caresser?». « J’aimerais monter sur son dos ».  «C’est Geronimo ». « Geronimo ! ». Elleffran commença à se sentir nerveux. Ils étaient trop nombreux. Il voulait qu’ils le laissent tranquille. Il n’était pas une bête de foire. Il n’aimait pas être ainsi le centre d’autant d’attention.

Mais le directeur ne s’en préoccupait pas, bien trop occupé à pavoiser et à vanter les mérites de son cirque. « Geronimo ! Geronimo ! », « Geronimo ! ». Elleffran eut soudain la sensation d’étouffer. Il prit son élan et bondit. Surpris, les gens s’écartèrent. Certains furent renversés. « Attention, il s’enfuit ! », cria quelqu’un. « Attrapez-le ! ». Elleffran galopa sans demander son reste. Il ne voulait plus qu’une chose être libre. Il avait été la proie des hommes pendant trop longtemps.  Il piqua un galop et s’en alla à tire d’aile. Il avait hâte de quitter cet endroit, de fuir ces hommes qui avaient cru  pouvoir l’exhiber comme un spectacle aux yeux de tous et en faire leur marionnette.

Ils lui avaient volé jusqu’à son identité, lui donnant un nom qui n’était pas le sien. Ils ne s’intéressaient pas à son bien-être.  Ellefran n’eut aucun regret pour les autres chevaux. Ils avaient la possibilité de s’enfuir eux aussi. C’était à eux de choisir. Il était content d’avoir revu Mathilde. C’était grâce à elle qu’il avait compris qu’il devait partir. Il s’enfuit loin de cette ville. Il galopa encore jusqu’à la nuit. Là, il chercha un endroit où passer la nuit. Il était fourbu et ses sabots lui faisaient mal. Il arriva jusqu’à une petite ferme. Les lumières étaient allumées. Avec un peu de chance l’écurie était ouverte. Soudain, il vit une silhouette. Elleffran s’arrêta. « Qui est là ? », demanda une voix. Elleffran se montra. « Tien, un cheval. Comment es-tu arrivé ici? ». C’était un homme. Ellefran n’avait jamais eu peur des inconnus. Cet homme-là lui inspira confiance.

Il n’était pas comme ceux du cirque. Ellefran voulait la liberté. Mais il venait de découvrir quelque chose. Il était incapable de se débrouiller sans l’aide des hommes pour pouvoir se nourrir. Il avait besoin d’un endroit où dormir et que quelqu’un prenne soin de lui.  L’homme s’approcha. « Tu t’es perdu, hein ? ». La porte de la maison s’ouvrit soudain. « John, qu’est-ce que c’est ? ». L’homme se retourna. « Ce n’est rien, ma chérie. Un cheval qui s’est égaré. ». La femme s’approcha. Il a l’air épuisé. Nos devrions aller le mettre dans l’écurie, John ».

L’homme  fut d’accord. « Tu as raison, Terry. Je vais l’y emmener. » Ellefran comprit qu’il devait le suivre, ce qu’il fit sans ce faire prier. Il s’installa sur un lit de paille. Terry lui apporta de l’avoine et de l’eau fraîche. « Je ne sais pas d’où vient ce cheval, John. Mais c’est une chance de l’avoir avec nous. » Elle déposa une écuelle d’eau et un peu d’avoine près d’Elleffran. Il pourra nous permettre de nous déplacer plus facilement. « Surtout que Jacots et Sam deviennent trop vieux, maintenant. ». John et Terry se regardèrent. C’était décidé. Ils allaient le garder. Puis ils quittèrent l’écurie. Ellefran s’avoua qu’il n’était pas fâché de sa nouvelle situation. Il s’endormit.

Il fut réveillé par un étrange cri. C’était le coq de la ferme qui saluait le soleil levant. Ellefran ouvrit les yeux. La porte de l’écurie s’ouvrit. John entra. « Salut, mon grand. », l’interpella-t-il. « Bien dormi? ». Ellefran agita la tête pour dire oui. Il se mit sur son séant.  John lui donna de quoi boire et manger. Puis il lui passa un licou et le conduisit hors de l’écurie. Ils firent leur première promenade matinale ensembles.  Ils rentrèrent vers midi.  L’après-midi, John et Terry lui firent visiter la ferme. Ils avaient l’air fiers. Elleffran pouvait voir que tous les animaux qui y vivaient étaient bien traités.  Il ne faisait pas exception. John ne lui mettait pas de mors dans la bouche, ni de selle sur le dos. Il n’avait pas de cravache. Il parlait tout simplement.

Ellefran aimait le son de sa voix. Il ne rechignait pas. S’il devait l’accompagner quelque part, Elleffran le faisait avec plaisir. Les jours, les mois, puis les années s’écoulèrent dans cette vie douce et paisible. Parfois, John et Terry venaient à l’écurie. Ils prenaient le temps de parler et de caresser chaque cheval. Ellefran se sentait bien. Il était heureux. Il aurait voulu passer le reste de ses jours dans cette ferme. Mais, ce bonheur prit fin de manière brutale. C’était une nuit. Ellefran se réveilla soudain. Il entendait des cris. John entra dans l’écurie. Il fit sortir les chevaux. « Viens vite », cria-t-il à Ellefran. Ce dernier sentit qu’un évènement terrible venait d’arriver.

Il se mit sur ses jambes et sortit. John et Terry faisaient sortir tous les animaux. Ellefran comprit pourquoi. Le feu. La ferme était en train de brûler. John et Terry firent monter tous les animaux dans une charette. Ellefran comprit soudain ce qui allait arriver. Ils revinrent au matin. C’était un désastre. Il ne restait que des ruines. Le feu s’était propagé partout. « John, qu’allons-nous devenir ? », demanda Terry. « Nous allons vendre nos animaux et nous irons nous installer ailleurs.

Elleffran comprit que c’était terminé. Ils allaient se débarrasser de lui. « Je ne crois pas que notre cheval pourra tirer la charrette jusqu’à la foire de Demerville. Il est vigoureux mais c’est un bien trop long trajet. Nous emprunterons la voiture de Samuel Witchon. Je suis sûr qu’il acceptera de nous rendre ce service ». Elleffran ne le sut jamais. Il s’éloignait en trottant.  S’il l’avait put, il aurait pleuré.  Il ne voulait pas d’adieu. Mais ça ne pouvait pas se finir comme ça. Des questions tourbillonnaient dans sa tête. Qui avait mis le feu et pour quoi ?  Ce n’était pas un accident. Une personne mal intentionnée avait  allumé cet incendie. Elleffran passa près d’une autre ferme. Ils entendirent des voix. Elles lui étaient familières. Deux gaillards marchaient en riant à grands éclats.

Ils étaient déjà venus à la ferme de John et Terry. Elleffran ne les aimaient pas. Ils passèrent devant lui. Leurs voix portèrent jusqu’à ses oreilles. « Qu’est-ce qu’on leur a mis à ces deux-là. !

_Bien fait pour eux. Ils auraient dû nous obéir.

_J’ai hâte de voir ce qui reste de leur ferme.

_Moi aussi.

_Ils doivent être bien embêtés, maintenant.

_On les avait prévenu plusieurs fois. Ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.

Elleffran écouta ce qu’ils disaient. Ils parlaient de John et Terry. C’étaient eux qui avaient mis le feu à la ferme. Elleffran n’hésita pas. Il galopa de toutes ses forces vers eux. Il leur envoya quelques bons coups de sabots. Les deux gars s’enfuirent. Elleffran poussa un hennissement de triomphe.  Il ne reverrait certainement jamais John et Terry mais il les avait vengés. Soudain, il s’en voulut de partir ainsi comme un voleur. Ils l’avaient recueilli puis s’était occupé de lui pendant toutes ces années sans chercher à savoir d’où il venait. Il leur était très attaché. Il se sentait lâche de partir comme. Elleffran revint sur ses pas. Il les chercha.

Alors qu’il ne pensait plus les trouver, il entendit leur voix. Ils le cherchaient eux aussi. Ils furent heureux de le voir. Elleffran accourut vers eux. Mais la joie des retrouvailles fit place à la tristesse. John et  Terry avaient compris que leur compagnon allait s’en aller. Ils le caressèrent et lui parlèrent. Elleffran se sentit malheureux en les voyant pleurer tous les deux. Mais il devait partir. Ce qu’il fit, le cœur bien lourd.

Voilà ce que Mat vit dans son œil. Il leva la main et caressa le bout du nez d’Elleffran. Puis il s’en alla retrouver son père qui l’attendait.

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