Danse sur le pont

valerie-lemelin


Encore une chaude journée, comme je les aime. Je sens la chaleur réchauffer mon visage et tout mon corps pendant que je somnole au soleil. Les yeux fermés, je respire l'air réchauffé et sec ; il a une odeur de frites mélangée à celle des beignets. Je distingue aussi des saucisses et aussi ce machin éclaté jaune qu'on dévorent dans des sacs papiers. Ça sent bon, mais la vue de ces petits nuages jaunâtres graisseux me répugne. Je ne sais pas comment ils font pour avaler ces choses. J'ai essayé une fois et ça m'a resté pris dans les dents pendant des heures. Au loin, j'entends les bruyants cris des mouettes (toujours en quête de nourriture on dirait) et celui plus apaisant des vagues. C'est un bizarre de mélange. Parfois j'aimerais tellement leur fermer le bec de ces volatiles pour pouvoir profiter un de plus des clapotis de l'eau. 


Puis, j'entends ses pas à l'autre bout du petit pont. Je reconnais toujours le bruit de ses chaussures sur le bois tendre puisqu'elle a une démarche bien à elle. J'ouvre les yeux et lève la tête. Elle me gratifie de son sourire quotidien (qui me va droit au coeur) et je sens l'excitation monté en moi. Je me lève et va à sa rencontre. Elle me donne un baiser et nous retournons au centre du ponton ensemble. 


Je n'ai d'oeil que pour elle. Le soleil fait dorer un peu plus ses cheveux qui sentent bon le miel contrastant avec l'odeur de transpiration qu'elle dégage. Elle dépose son sac près de moi. Je connais la suite : elle attache ses cheveux, fait des petits sauts sur place, se cambre à droite puis à gauche, va toucher ses pieds du bout des doigts et relaxe son cou. Puis elle bouge. Gracieuse. Habile. Légère. Les bras en arrière, elle agrippe la rampe, se courbe tout doucement et se lève sur le bout des orteils. On dirait que son corps est possédé par une musique inaudible. Je vois ce spectacle tous les jours et je ne n'en démord pas, c'est le moment que je préfère. J'essaie de l'imiter dans ses pirouettes impossibles pour finalement finir sur le dos sous le doux son de son rire. Elle semble apprécier ma présence et l'attention que je lui donne. Car je dois avouer qu'il n'y a pas beaucoup de gens qui semblent la remarquer. Ils passent tous devant elle sans un regard, le pas pressé ou les deux yeux collé sur cette étrange objet lumineux entre leurs mains.

Moi je ne suis pas comme eux. 

Moi je vois. 

Moi je sens. 

Moi, j'ai tout le temps du monde.  

Après tout, je ne suis qu'un simple chien errant. 

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