De nuit

boul2neige

Il est loin du monde des vivants, enfoui dans l’ombre du divan.

La bouche grogne, la tête cogne, ses rêves borgnes s’enfuyant. Le réveil gronde, farouche, entêtant, fouillant de ses ondes la couche de cet homme en ces temps de noirceur.

Il effleure de ses yeux les murs blancs qui se meuvent tant bien que mal sous l’effet languissant de limbes filandreux, clairs et vieillissants.

Sa langue pesante, claque, assourdissante, traque, incessante, la clameur d’un liquide, lui réclame de l’eau. Il lui faut un sceau, un puit, un geyser, une cascade, mes ses doigts blafards qui se baladent, hagards, ne trouvent qu'en bout de table un fond de verre malade.

Il fait chaud.

Lourd.

ça le rend sourd.

ça lui pèse, ça le prend, ça l'oppresse, ça le trempe de sa sueur, dans ses tempes ça le tord, ça s'étend, hardcore, encore cette tare qui le veut mort, qui le voit mûr pour un départ direct dans le mur.  

On est au beau milieu de la nuit, l'heure où la lune est dans son lit, où le temps si long s'enlise, s'ennuie, dans les sables de la torpeur. 

L'heure des fables, l'heure des peurs, l'heure des amants qui s'enlacent, l'heure des âmes mortes qui languissent, l'heure où les fous sont sans laisse, où les filous sont en vice, où les ivrognes sont en liesse, quand les coeurs recherchent sans cesse leur quête de sensation en guise de tentation.

Et pourtant, il le sait, il le sent, il est seul et il aime ça.

Il se laisse aller, se délasse avec délice, l’obscurité le déleste des regards lisses qui le listent, le classent, l’oppressent dans des cases qui le vissent. Là, il est libre, sans stress, il vibre sans cesse, il irradie, il vit.

Mais le mal brûlant reprend son emprise, il s'éprend d'une douche et calme la crise. L'eau siffle, le silence se brise et les braises de l'air qui le giflaient maintenant crissent sous le jet.

Désormais il est prêt, très pro, frais, prêt tôt,  

Il s’habille de son travail. L’unique raison de son réveil.    

Il sort dans la rue et dégaine son arme : un manche avec au bout des tresses de crin tentaculaires.

Rien de spectaculaire.

Il est balayeur.  

D'ordures bien sûr mais aussi de sueur, d'amer, de colère, de péchés et d'erreurs. 

Il chasse les monceaux d’errances, de pensées rances, les resucées de ressassées, n’épargne que la douceur des caresses empressées. Il fait dériver l'opprobre dans l'eau propre, nous allège des déchets âpres de nos âmes défaites, happe dans une benne béante les regrets, les souillures et les coeurs qui saignent.  

Son balai délie le rideau de la nuit, peint l'aurore et fait battre la sève de la ville.  

 Il nettoie ce que chacun a laissé à sa porte, désillusions lassées, liste des amours mortes, pour que chacun se dresse et s'abreuve de soleil, apaisé et serein à l'aube de son réveil.

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