Départ immédiat
fuko-san
« Vous partez à Pattaya ! » Qui ça moi * ? Je me retournai vers Arnaud, le jeune stagiaire. Il n’y avait personne d’autre dans la pièce, que lui et moi. Nous deux à Pattaya ? Réunion de rédaction dans une demi-heure, répliqua le Boss, en s’éloignant vite fait. D’abord, c’est où Pattaya ?, maugréa Arnaud. Faut donc tout lui dire à ce garçon ! Décidément, ils n’apprennent plus rien à l‘Ecole de journalisme. Un clic sur Wiki et le voilà mis au parfum. Il rougit. Lieu de débauche bien connu des touristes allemands en quête de chair fraiche. Pas tous pédophiles et pas uniquement allemands, on peut élargir le spectre.
Je savais naturellement que Pattaya était une station balnéaire hautement réputée pour la qualité de ses massages thaïlandais. Ce que je ne savais pas, c’est pourquoi je devais m’y rendre. Surtout en compagnie de ce nigaud d’Arnaud. Il y a deux mois, je ne dis pas, je n’aurais pas caché ma joie. Avec Maélyne, c’eut été un plaisir, une aubaine, que dis-je, une joie de lui apprendre les rudiments du métier. La façon si particulière que j’ai d’enquêter sur le terrain, de traquer l’indice, de trouver le bon indic. Comment je découpais les dépêches et je recoupais mes sources, avec application, tous les soirs au bar. Elève attentive, elle écoutait le sourcil levé en signe de respect, tous les bons conseils que je pouvais lui donner sur la longueur de ses paragraphes. Alors que là, vraiment ! Que faire de cet échalas qui fronçait le nez comme si je sentais la cigarette froide ? Toujours rivé sur sa tablette, pas sûr qu’il lise, ni qu’il écrive. Incapable de prendre son téléphone autrement que pour twitter, ni d’articuler autrement qu’en monosyllabes. J’avais hérité de la perle des stagiaires du mois d’avril.
La réunion de rédaction fut expéditive comme à chaque fois. Sauf que cette fois, il était question de moi, alors que d’habitude, le Boss me fait confiance en me disant de faire comme d’habitude, c’est-à-dire m’occuper du stagiaire et des faits divers. Depuis vingt-deux ans, je suis devenu l’expert attitré de la rubrique société, qui me permet d’explorer les paysages urbains ou semi-urbains de l’Ile de France sans jamais m’éloigner. C’est très pratique. Ma femme ne se plaint pas, je ne suis jamais loin. Je découche au plus une fois par mois, pour une mission en province que j’appelle récurrente et qui s’appelle Isabelle. Comme elle est ambitieuse, ma femme qui s’appelle Annabelle me demande régulièrement si je ne devrais pas faire des enquêtes de plus longue durée. Mais je n’en vois pas l’utilité. Pas pour le moment. Alors, quand je vais lui annoncer que je pars quinze jours ! C’est une folie. Un reportage de deux semaines pour deux personnes en Thaïlande, ou ils sont fous, ou ils ont des sous à la rédaction ! Et puis, qu’ils m’aient choisi moi, c’est normal, vu mon expérience de terrain, des bas fonds et des faux bas. Mais l’autre ?
La mission a été clairement précisée. « Vous allez vous immerger ! » Là, j’ai commencé à comprendre. L’autre, Arnaud, m’avait dit l’autre jour qu’il était moniteur de plongée. En même temps, je ne vois pas pourquoi il fallait aller plonger si loin. Il y a des coraux très beaux en Méditerranée, en Mer rouge, aux Caraïbes. Ou même plus beaux encore sur la barrière de corail, qui s’abîme paraît-il, ce qui mériterait bien une petite enquête. Mais en Thaïlande ? Quelques récifs sans intérêt, quelques reliefs sans doute. « Vous allez vous fondre dans la foule des touristes », a crû bon de préciser le Boss. Arnaud a aussitôt rangé son masque et ses palmes, j’ai repris ma plume et ravalé mes frasques. On allait bosser et pas s’amuser.
Chérie, tu ne devineras jamais ! Je pars en reportage ! A l’étranger ! Pour quinze jours ! Je ne te crois pas, dit-elle méfiante. C’est trop beau pour être vrai ! Quelle chance vraiment … tu as, ajouta-t-elle. Je la sentais un peu jalouse, bien sûr. Inquiète aussi de savoir avec qui je partais. Mais quand je lui ai annoncé que c’était avec ce grand nigaud d’Arnaud, elle a paru soulagée. Je ne risquais rien. Rien qu’une insolation sur la plage à le guetter tandis qu’il irait se baigner avec les touristes. Inutile de prendre des pataugas, me dit-elle en préparant la valise. Tu n’iras pas te perdre dans la jungle, j’imagine ? Absolument, je vais voyager léger. On part ce soir. Déjà ? C’est précipité, comme départ, s’étonna-t-elle. Il y a des émeutes ? Un raz de marée annoncé ? Un tsunami en phase d’atterrissage ? Il y a un festival de musique, un tournoi de golf féminin, un concours de boxe thaï ? Elle me posait plein de questions auxquelles je ne pouvais pas répondre. Ma chérie, réfléchis voyons, c’est pour ça que j’y vais, pour voir sur place ce qui se passe et te dire quoi.
Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. Le Boss avait été très direct : « Vous verrez bien et vous nous raconterez ». C’est le fonctionnement même d’un bon journaliste et l’occasion rêvée pour Arnaud d’apprendre enfin à décliner le qui - quand – où - comment - pourquoi des choses. Cette mission devait lui permettre d’affiner son esprit critique et son sens de l’observation. C’était sûrement la raison pour laquelle il avait été choisi. Pour que je puisse lui transmettre au mieux mes compétences et mon expérience. Rien de tel qu’une mise en situation. Une immersion, c’était bien le mot. Finalement, je partais pleinement rassuré. Le Boss avait été très clair « en votre absence, je m’occupe de tout ! »
* C'est certainement la cigogne qui est venue m'apporter cette idée-là !
Ca m'amusait d'essayer.
@ Valjean, c'est vrai que je pourrais imaginer une suite, légère, facile ... tout comme le présent est plus facile aussi ! A mon sens, il donnerait moins de profondeur au récit. Mais je vais y songer, tester, me lancer. C'est l'été, après tout, on peut s'amuser ! Merci d'être passé.
· Il y a plus de 11 ans ·fuko-san
Très drôle avec une chute qui appelle une suite... Je me demande si le présent n'aurait pas plus donné de force au texte ?
· Il y a plus de 11 ans ·valjean
Oui, j'aime bien aussi ce nouveau style ! une facette de plus !
· Il y a plus de 11 ans ·lyselotte
Tu veux dire que ça me correspond ? Un doute m'habite ...
· Il y a plus de 11 ans ·Et puis, j'ai dit que je n'irai pas à Pattaya pour les raisons évoquées par ailleurs ;-)
fuko-san
ok je te suis ... j'attends la suite de cette expérience pattayesque dans ton nouveau style ... qui te va pas si mal !
· Il y a plus de 11 ans ·woody