Deus Sex Machina

Maël Donoso

DEUS SEX MACHINA

SYNOPSIS

« Deus Sex Machina » est une variation/anticipation sur le thème des sites de rencontre et des réseaux sociaux.

« Que feriez-vous si vous possédiez tout l’amour du monde ? » Tel est le leitmotiv du livre, comédie romantique qui met en scène Arthur, simple citoyen aux désirs révolutionnaires, dans un futur proche où la plupart des relations amoureuses passent par un réseau de rencontre mondial, « Glove ». Très sophistiqué, ce réseau donne à ses utilisateurs tous les conseils utiles pour séduire leurs partenaires : qui draguer, comment s’habiller, où dîner, où danser… Il en résulte une société hollywoodienne où le flirt est accéléré et préscénarisé jusqu’à l’absurde. Dernier gadget technologique à la mode, des oreillettes connectées à Glove guident en permanence les gens lors de leurs rendez-vous galants, leur suggérant les dialogues et les attitudes les plus adéquates. La vie parisienne, comme dans le reste du monde informatisé, devient ainsi un soap opera géant.

Le livre est l’histoire de la révolte et de la renaissance d’Arthur. Persuadé que l’humanité ne pourra pas survivre à cette bacchanale permanente, celui-ci essaie d’élaborer une stratégie pour contourner Glove. Mais étant lui-même capturé dans ce monde de flirt permanent, il a du mal à trouver du temps pour rédiger ses notes, et encore plus de mal à s’extraire du système. Lorsqu’il essaie de s’affranchir des règles de cette société d’amour artificiel, il traverse des situations cocasses qui lui rappellent que le flirt « naturel », sans guidage informatique, n’est pas si facile. D’une ténacité limitée, et peu désireux de se passer d’aventures amoureuses, il rechute régulièrement dans l’utilisation de Glove.

Arthur lutte pourtant, et essaie de séduire de jeunes femmes sans appliquer les conseils du tout-puissant réseau informatique. Les échecs et les claques s’enchaînent, sa cote de popularité chute. Contre toute attente, il termine finalement au lit avec Hélène, une fille un peu cinglée avec laquelle Glove ne lui prédit aucune affinité. Il s’avère qu’Hélène est liée avec un groupe de geeks marginaux et anarchistes, tous plus loufoques les uns que les autres. Sans trop le vouloir, Arthur se fait embarquer dans une expédition maritime déjantée destinée à localiser les serveurs informatiques centraux de Glove, les disques durs qui contiennent « tout l’amour du monde », et dont on sait simplement qu’ils flottent quelque part dans l’Atlantique.

L’équipage geek révolutionnaire embarque à bord d’un navire clandestin. Obligés de cohabiter dans une cabine pendant de longs jours, Arthur et Hélène, guère habitués à des relations de longue durée, ont toutes les occasions de se disputer. Dans un monde de flirts éclairs et d’aventures sans lendemain, ils redécouvrent les scènes de ménage et doivent s’y faire. Leur expédition initiatique les amène finalement aux serveurs, ce qui leur permet de pirater Glove et de changer entièrement le système. Partout sur la planète, les oreillettes technologiques, au lieu de guider les flirts avec des dialogues précuisinés, font réciter à leurs utilisateurs des répliques de romans, de théâtre et de poésie. Le monde entier est sous le choc et personne ne comprend cette subite mutation, mais à la suite de cette révolution, les héros réussissent à sauvegarder la beauté du dialogue amoureux. À la monotonie informatisée, ils opposent l’art et les beaux mots, et parviennent finalement à sauver l’amour.

DÉBUT

J’ouvre un document vierge et commence à écrire :

« Que feriez-vous si vous possédiez tout l’amour du monde ? Réponse : foutre ledit monde en l’air. Aussi con que ça puisse sembler, il est aujourd’hui évident que d’ici quelques années, à moins d’un sursaut salvateur, l’humanité dans son ensemble finira littéralement étouffée par l’amour. La fin du monde sous la forme d’une partouze planétaire : j’imagine des cavalières de l’apocalypse en sous-vêtements de dentelle rouge. La seule manière d’arrêter le processus serait de démonter un à un les serveurs centraux qui, à l’heure actuelle, doivent dériver quelque part dans l’Atlantique nord, bien fixés sur leurs balises flottantes. Mais plus personne n’a le courage de se lancer dans ce genre d’expédition : les eaux de l’Atlantique nord, ça caille. Donc nous allons bêtement contre le mur. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Je vais tenter de raconter les évènements tels que je les ai vécus. Comme tous les gens de ma génération, l’un des moments les plus importants de ma vie a été le franchissement du « point G ». Pas la peine de prendre un air salace : il y a longtemps que le « point G » ne désigne plus l’hypothétique cible du plaisir féminin, mais le moment où la technologie Google est apparue sur Internet. J’écris ces lignes dans l’espoir un peu fou qu’une fois l’humanité actuelle décimée par son holocauste d’amour, une génération nouvelle puisse prendre le relai, et reconstruire un autre monde sur les ruines de notre civilisation perdue. Beaucoup d’archives seront probablement détruites, je vais donc essayer de retracer, très vite, les éléments les plus importants. Google était autrefois le moteur de recherche le plus puissant d’Internet. Après s’être accaparé la majeure partie de l’information brute mondiale, il a développé des outils pour prendre le contrôle des échanges électroniques (Gmail), du partage de documents (Gdocument), de l’actualité (Gnews), de la géographie (Gmap), et ainsi de suite. Racheté par un puissant consortium international, composé en majorité de sociétés financières qui ont rapidement évincé les gentils geeks des origines, Google a changé de nom pour devenir le groupe « G », et sa politique de développement est devenue beaucoup plus agressive.

La première décision du groupe G a été de prendre entièrement possession du marché des sites de rencontre à travers son outil « Glove ». Si les réseaux sociaux comme Facebook ont pu, durant un temps, prendre des allures de contre-pouvoir, ils se sont trouvés finalement totalement dépassés par les évènements. Très minimalistes, les fonctionnalités des réseaux sociaux proposaient souvent un simple choix, laissé à la discrétion de l’utilisateur, entre plusieurs options : « célibataire », « en couple », « c’est compliqué », etc. Glove n’a eu aucun mal à les supplanter entièrement, et à s’imposer comme l’outil indispensable du désir, du plaisir et des relations amoureuses. Tout ça a pris de telles proportions, qu’aujourd’hui… »

Mélissa se réveille et se tourne vers moi, ses cheveux blonds ébouriffés cachant une partie de son visage. Les yeux mi-clos, elle sourit largement en ma direction et se couche sur mon torse. Je déplace un peu mon ordinateur pour lui laisser de la place. « Coucou, dit-elle, euh… » « Arthur. » « Oui, c’est ça. Coucou Arthur chéri. Ah, j’ai passé une très très très bonne nuit. Tout était parfait, le film hier soir, le vin, la musique, tout. » Elle ajoute, d’un air taquin : « Je crois que je vais encore calibrer ma pondération Glove en positif entre toi et moi. » Dans notre monde de tarés, ce genre de phrase est désormais ce qu’il y a de plus proche d’une déclaration d’amour. Je lui souris donc tendrement. Elle regarde mon fichier texte. « Qu’est-ce que tu écris ? » minaude-t-elle en se lovant dans mes bras. « C’est pour le boulot », dis-je en fermant rapidement le document et en lui donnant un baiser sur le front.

Elle se redresse, masse ses épaules d’un geste sensuel. « Je peux te chiper ta machine un moment ? » demande-t-elle. Je la laisse faire et machinalement, elle ouvre le navigateur Internet. Ma webcam reconnaît sa pupille et accède directement à son compte Glove. « Regarde ! fait-elle avec une petite moue joyeuse. Sylvain sort d’une relation de trois jours avec Samantha, et ça ne s’est pas bien passé. Il lui a mis la note ‘acceptable’, tu te rends compte ! Il aurait mieux fait de se casser une jambe ! Tu m’étonnes, t’as qu’à regarder le graphe de compa, c’est clair qu’ils peuvent pas aller bien ensemble. Du coup il est dispo ce soir, je crois que je vais liker son statut et lui envoyer une propo. Tiens, voilà qui est fait. Glove, petit chou, à toi de jouer. » La fenêtre de résultats apparaît, et Glove affiche les conditions de la rencontre calculées comme optimales. Rendez-vous aux Champs-Élysées, dîner épicé dans un restaurant thaïlandais, bar rock dans le Quartier Latin. Éviter les mojitos et les olives noires. Porter une minijupe beige, un top noir, des hauts talons, de petites boucles d’oreille, pas trop de vernis à ongle. Se parfumer avec Grâce. Et ainsi de suite, et ainsi de suite. La messagerie de Glove émet un petit bruit joyeux. « Il a accepté ma propo ! » dit-elle en agitant les bras comme une gamine. Satisfaite, elle bâille, se recouche de son côté et se rendort.

Je regarde sa silhouette et sa peau bronzée, et m’attarde sur les contours de sa poitrine et de ses fesses. Autrefois, si je me rappelle bien (mais ça fait longtemps), il fallait jouer des pieds et des mains, offrir des fleurs, attendre et quasiment se tuer pour mettre une fille dans son lit. Aujourd’hui, grâce à Glove, j’enchaîne soir après soir des aventures avec des partenaires plus magnifiques les unes que les autres. Il n’y a presque plus de moches : la chirurgie esthétique est bon marché, tant pour les hommes que pour les femmes, et Glove nous conseille sur les opérations à entreprendre. Le monde est-il devenu plus beau, ou plus beauf ? Je me penche contre le cou de Mélissa. Elle sent Glorieuse, mon parfum préféré d’après la base de données de Glove. Sans savoir pourquoi, je trouve ça déprimant.

Bon, et moi dans tout ça ? Merde, sans le faire exprès je suis passé sur mon propre compte Glove, et je suis en train de regarder des profils de filles. C’est terrible, ça devient un automatisme. Je checke les graphes de compatibilité, de « compa » comme disent les gens branchés (mais qui n’est plus branché ?). Sonia, jeune et méridionale, sublime et printanière. La modélisation de son visage est ravissante : foutues représentations réalistes en trois dimensions. Il n’empêche, elle apparaît en premier sur la liste, et je ne peux pas lui donner tort. Comment diable cette machine sait-elle de quelle fille je pourrai avoir envie aujourd’hui ? Bien sûr, je connais la réponse : graphes croisés de préférences, historiques des flirts et des notations associées, algorithmes de désir et de séduction, chaînes de Markov et ainsi de suite. Fuck la technologie. Ou fuck Sonia ? Allez, pour aujourd’hui, fuck Sonia : je lui envoie une propo, elle accepte immédiatement, nous convenons du rendez-vous de ce soir, sur les quais de la Seine. Dans seize heures, excités par une soirée parfaite, nous arracherons nos vêtements et ferons trembler le sommier, elle dessous et moi dessus, ou l’inverse, selon ce que Glove nous aura recommandé. Ce sera une explosion de sexe flamboyant, des râles de plaisir inimaginable, une farandole de positions érotiques savamment calculées. Elle hurlera : « O ! A ! O ! », et en mon for intérieur, j’interpréterai ses cris comme l’acronyme de : « Orgasme Assisté par Ordinateur ».

Paris, le 26 janvier 2011

  • j'aime ton écriture ! c'est excellent

    · Il y a environ 13 ans ·
    Iphone 19novembre2011 013 orig

    Manou Damaye

  • C'est un genre de comédie romantique un peu spécial, je reconnais. :)
    Mais ce n'est pas un roman déjà écrit, j'ai bel et bien fait le scénario pour ce concours. J'aime bien mélanger des styles différents, SF et soap opera par exemple. Quitte à faire "mauvais genre" - mais c'est le but, il paraît.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Plume 195

    Maël Donoso

  • Ton synopsis est le meilleur que j'ai lu sur la page du concours, mais je ne pense pas qu'on soit véritablement face une comédie romantique. C'est un roman que tu as déjà écris ? :-)

    · Il y a plus de 13 ans ·
    P1040234 orig

    Anthony Nw

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