Deux jours

Mathilde Sellami

  Deux jours. Deux jours que nous sommes enfermés dans  cet appartement dans la peur et l’angoisse qu’ils arrivent.

  Tout a commencé samedi soir.  J’étais dans mon petit appartement en centre-ville et je me préparais pour sortir.

  Je venais tout juste de me maquiller, lorsque la sonnerie de la porte d’entrée a retenti. C’était Alex, Julie et Claire, le trio infernal. Je les ai invités à entrer et je leur ai servi un verre.

-          Alors c’est quoi le programme ce soir ? On va toujours en boîte ? M’a demandé Alex.

-          Et bien Marc vient nous prendre en voiture d’ici une dizaine de minutes et après on file au Palacio. Ai-je répondu.

  Quelques minutes plus tard, le chauffeur de la soirée nous attendait en bas de l’immeuble. Nous étions déjà bien alcoolisés lorsque nous sommes arrivés à l’établissement où nous avons encore enchainé les verres.

  Il était trois heures du matin lorsque nous sommes sortis et j’étais dans un état euphorique. Un homme qui s’appelait Damien  et que je trouvais charmant, m’avait demandé mon numéro de téléphone  et il était prévu que l’on se revoit très vite.

  C’est Marc qui a repris le volant, il était un peu moins alcoolisé que le reste de la bande. Moi j’ai pris place à l’avant sur le siège passager. Comme il faisait chaud, malgré l’heure très matinale, il y avait du monde dans les rues.  Nous étions à quelques minutes de mon immeuble lorsque nous avons vu des personnes, l’air affolé, courir dans le sens opposé au notre.

-          En voilà encore qui se font courser par les flics. A dit Alex.

  Mais les flics n’étaient nulle part et je n’entendais aucun bruit de sirène. Et c’est là que je l’ai vu, en plein milieu de la route, un homme tête baissé.

-          Attention. Ai-je crié.

  Marc a donné un grand coup de volant vers la droite et nous avons atterris dans un lampadaire. Les airbags se sont déclenchés. Quelques secondes se sont écoulées avant que je ne comprenne ce qui s’était passé. Les coussins ont commencé à se dégonfler et j’ai jeté un œil à côté de moi. Marc avait une méchante blessure à la tête et le sang coulait sur son visage, mais il était conscient.

-          Tout le monde est ok ? A-t-il demandé.

-          O..

  Nous n’avons pas eu le temps de répondre. La vitre côté conducteur s’est brisée et deux puissantes mains ont extirpé Marc à l’extérieur de la voiture. Il a commencé à pousser des hurlements. J’étais tétanisée je ne comprenais pas ce qui se passait. Les autres ont été plus réactifs que moi et sont sortis de la voiture. Mon ami continuait de hurler, j’entendais des bruits ignobles de craquement, je ne comprenais pas… Tout à coup, Alex a ouvert ma portière.

-          Putain Lisa, bouge-toi.

  Il a défait ma ceinture et m’a violement décollée de mon siège. J’ai alors aperçu Julie et Claire qui couraient à toute vitesse. Alex aussi a pris ses jambes à son cou en essayant de m’entrainer avec lui mais mes pieds semblaient s’être enracinés dans le sol ; il a fini par laisser tomber et s’est éloigné seul. J’étais là, plantée dans la rue et c’est à ce moment que je me suis rendu compte que Marc ne criait plus. J’ai fait le tour de la voiture et j’ai eu un haut le cœur. L’homme qui nous avait fait rentrer dans le lampadaire était accroupi près de Marc ou plutôt de ce qu’il en restait. Il était en train de dévorer  l’une des jambes qu’il avait arrachées à Marc. Il y avait du sang partout. Malgré la nausée qui commençait à me nouer les entrailles, j’ai couru aussi vite que mes jambes pouvaient me porter. J’ai très vite rejoins Julie, Claire et Alex qui s’étaient arrêtés. Mon ami avait son téléphone dans la main et appelait la police. Il était tellement choqué que les mots avaient du mal à sortir de sa bouche.

-          C’ét… C’était quoi ça ? Ai-je demandé tout en essayant de reprendre mon souffle.

-          Putain j’en sais rien, mais ça a déchiré Marc comme si c’était une vulgaire feuille de papier. M’a répondu Alex.

  Au bout de quelques minutes, des sirènes de police ont retentis et  des véhicules sont arrivés à notre hauteur. Nous leur avons indiqué l’endroit où Marc se faisait dévorer. Je me sentais rassurée, j’avais l’impression que le cauchemar allait prendre fin avec l’arrivée des forces de l’ordre mais je me trompais.  Les policiers sont descendus de voiture, armes à la main. Ils se sont approchés de l’endroit où l’homme festoyait avec le corps de mon ami.  Nous n’avons pas vraiment vu ce qui s’est passé, mais nous avons entendu, d’abord les coups de feu et puis de nouveaux des cris de douleur qui n’ont duré que quelques secondes. Et puis il y a eu ce silence et le cannibale est apparu dans la lumière des lampadaires. Dans sa main droite, il tenait la tête de l’un des policiers.   Sans même nous dire un  mot,  nous avons recommencé à courir. Nous étions complètement terrorisés, nous ne savions pas où nous allions, mais notre instinct nous dictait de fuir. Il était derrière nous, j’entendais ses pas, à la fois lourds et rapides. Je me suis mise à pleurer, mon monde s’écroulait et je courais pour échapper à la mort. Julie a brutalement chutée et s’est étalée de tout son long sur le bitume. Je me suis arrêtée net et je m’approchais d’elle pour l’aider à se relever, mais la chose a bondit sur son corps. Ses dents se sont plantées dans son épaule et en ont arraché un énorme morceau de chair. Julie hurlait et se tortillait dans tous les sens, mais l’homme semblait avoir une force surhumaine et la maintenait dans la même position sans aucun effort. Je savais que je ne pouvais rien faire pour elle, mais je n’arrivais pas à me résoudre à la laisser comme ça. C’est  Alex  qui encore une fois m’a ramenée à la raison et j’ai recommencé à courir.

  Le jour s’est levé et nous étions toujours en train de fuir. J’ai jeté un rapide coup d’œil par-dessus mon épaule. Il n’y avait personne, le cannibale n’était plus derrière nous.

-          Stop… Ai-je gémis

 Je me suis appuyée contre le mur. Alex et Claire se sont arrêtés et se sont assis sur le trottoir. Tout comme moi ils étaient extenués. Les images d’horreur de la nuit, tournaient en boucle dans ma tête. J’ai senti la bile brulante remonter le long de ma gorge et j’ai vomis.  La tête penchée vers le sol, j’ai remarqué que j’étais pieds nus. Je ne me rappelais même pas avoir perdus mes chaussures.

  Il faisait beau, ça aurait pu être une belle journée d’été comme les autres et pourtant en m’asseyant à côté de Claire et Alex, j’ai compris que rien ne serait jamais plus pareil. Nous étions en plein centre-ville et aucun bus ni tramway ne circulaient. Les quelques voitures qui passaient roulaient à tombeaux ouverts, comme si les conducteurs voulaient s’éloigner le plus vite possible de la cité. Et puis il y avait tous ces gens qui, comme nous, semblaient perdus. Certains étaient gravement blessés, d’autres complètement épuisés. Soudain quelque chose s’est posée sur mon épaule et je me suis redressée d’un bond. Je me suis sentie un peu bête lorsque je me suis rendue compte qu’il s’agissait de Damien, l’homme que j’avais rencontré quelques heures plus tôt.

-          Vous les avez vus hein ? A-t-il demandé.

-          Vu quoi ? Dirent en cœur Claire et Alex.

-          Ba les cannibales… J’étais au Palacio et puis tout à coup ça a été la panique générale. Ça hurlait, ça courait dans tous les sens et là sur la piste de danse, j’ai vu une nana en train de bouffer la jambe d’un type et il y en avait d’autres qui faisaient pareil. Je me suis fait mordre mais j’ai quand même réussi à me tirer. A expliqué Damien.

  Je me suis alors rendue compte que l’une des manches de sa chemise était déchirée et qu’il avait une blessure au bras qui saignait abondamment.

-          On se croirait dans un film de zombie. A dit Alex.

-          Ouais sauf que les zombies c’est lent. Ces trucs-là sont rapides et forts. A répliqué Damien.

-          Et qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Ai-je demandé.

  Personne ne m’a répondu car personne n’avait de réponse. Une jeune femme était assise sur le trottoir d’en face, elle avait l’air très mal en point. Tout à coup, de sa bouche a jailli un geyser  de sang, ce qui a fait pousser un cri d’horreur et de dégout à tout le monde. L’inconnue s’est écroulée sur le côté  et un homme qui devait être son petit ami s’est précipité à son chevet. Il l’a secouée dans tous les sens et pendant plusieurs minutes elle n’a pas réagi.  L’homme désespéré a fini par laisser tomber. Il a enfoui sa tête dans ses mains et s’est mis à pleurer.  Contre toute attente la jeune femme  s’est redressée. Son compagnon s’apprêtait à l’enlacer,   mais elle l’a poussé en arrière et elle  a déchiré son ventre de ses doigts qui semblaient si fragiles.  Elle s’est mise à gober ses intestins goulument.  Notre réaction a été immédiate et nous avons repris la fuite.  Nous avons pilé net, lorsqu’au beau milieu d’une rue, nous sommes tombés sur trois individus qui se battaient pour le corps d’une femme. Chacun tiraient sur l’un de ses membres et au bout d’un moment, bras et jambes ont finis par se détacher du tronc. Nous étions paralysés, le danger était partout, ILS étaient partout.

-          Il nous faut une voiture, il faut qu’on se barre d’ici. A dit Alex.

-          Je sais ou on peut en trouver une, suivez-moi.  A proposé Damien.

  Nous avons fait demi-tour. Les rues étaient pleines de monde,  tous courraient dans tous les sens et criaient. Il ne nous a fallu que deux minutes pour arriver à l’immeuble. Damien s’est empressé de sonner à l’interphone et la jeune femme qui a répondu nous a ouvert. Nous nous sommes tous les cinq, entassés dans l’ascenseur et nous sommes montés au sixième étage.  Une petite brune nous attendait sur le palier de son appartement, elle semblait très inquiète.

-          Qu’est-ce qui ce passe dehors ? J’entends des cris depuis quatre heures du matin et à la télé ils disent qu’il ne faut pas sortir. A-t-elle demandé.

-          Pas sortir ?!? Je crois que si on reste dans cette putain de ville on va tous y passer. S’est exclamé Damien.

  Nous sommes rentrés dans l’appartement. La télé était allumée et diffusait une alerte info. La présentatrice butait sur les mots comme si elle avait du mal à admettre ce qu’elle était en train de dire. «  Nous recevons des… des images de scène de panique et d’horreur venant de toutes les villes de France. Ceci n’est pas un canular. Le… Le président recommande à  tous les citoyens de rester barricadés chez eux jusqu’à l’arrivée de l’armée. Des scientifiques autopsient  un… l’un des agresseurs pour déterminer si il s’agit d’un virus ou d’autre chose ». Le message était diffusé en boucle et cela nous faisait une belle jambe. Rien ne nous assurait que les cannibales ne viendraient pas nous chercher là où nous étions.

  Très vite nous avons pris la décision de descendre au parking souterrain prendre la voiture de la petite brune.

  Nous sommes remontés dans  l’ascenseur jusqu’au sous-sol. Le parking souterrain était désert et nous nous sommes installés dans la  307 Break. C’est Damien qui a pris le volant. Il a démarré en trombe et s’est dirigé vers la sortie. Nous avons franchi le portail électrique, mais là en plein milieu de la route se dressait une femme. En une seconde nous avons compris qu’elle était contaminée car le contour de sa bouche était couvert de sang.

-          Fonce ! Ai-je crié à Damien.

  Il a appuyé sur l’accélérateur et nous avons percuté la chose qui a fait un vol planée par-dessus la voiture. Je croyais que nous étions sortis d’affaire mais j’ai très vite déchanté. Une dizaine de cannibales se dirigeait vers nous et ils semblaient affamés.  Il était évident que la voiture ne pourrait pas encaisser autant de chocs. Nous n’avons pas eu le choix, nous avons fait demi-tour. La grille du parking souterrain nous assurait une protection. Nous sommes remontés dans l’appartement. Devant la porte Damien et Alex ont entassé des meubles et des chaises. Claire s’est affalée dans le canapé et a fondu en larmes. Il ne nous restait rien d’autre à faire qu’à attendre.  Je me suis assise sur le fauteuil. Malgré la fatigue qui engourdissait tout mon corps, je n’arrivais pas à fermer l’œil. J’avais peur, peur de mourir.

  Je suis sortie sur le balcon, pensant que l’air frais me ferait du bien. Il n’y avait personne dans la rue, tout semblait calme. Damien m’a rejoint et a allumé une cigarette. Tout à coup, son corps a été agité de spasmes et il a vomit…  du sang. Sans que j’aie le temps de comprendre Alex est arrivé sur le balcon et il a poussé Damien dans le vide. J’ai vu son corps chuter et s’écraser violement quelques mètres plus bas, sur le bitume. Je suis restée quelques instants figée regardant la mare de sang qui s’étendait peu à peu sur la route.

-          Mais…mais pourquoi t’as fait ça ? Ai-je hurlé.

-          Il était contaminé ! A dit Alex.

-          Mais… mais tu n’en sais rien !

-          Ah oui ? La fille qui a vomit du sang tout à l’heure, elle a fait quoi de son mec ?

  Je n’ai rien répliqué. Je savais qu’il avait raison et qu’il venait de nous sauver la vie mais je n’arrivais pas à accepter son geste.

  Deux jours. Deux jours que nous sommes enfermés dans  cet appartement dans la peur et l’angoisse qu’ils arrivent. Plus aucun programme ne passe à la télé. Je suis sortie sur le balcon ce matin et j’ai vu une horde de cannibales errer dans la rue. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne nous trouvent.

  Les minutes semblent interminables. Je voudrais presque que le temps s’accélère et que tout ça finisse, même si l’issue est la mort. Au moins je ne serais plus habitée par cette peur de me faire dévorer.

  La nuit commence à tomber et nous entendons des cris dans l’immeuble. Aucun doute cette fois ça y’est, ils sont là, ils arrivent. Nous nous enfermons dans la salle de bain. Mon cœur bat la chamade, j’ai l’impression qu’il va exploser. Des coups résonnent à la porte d’entrée et notre barricade de fortune cède très vite. Leurs pas font craquer le parquet. La poignée de la salle de la porte tourne, mais nous avons fermé à clé. Une main fait sans effort un trou dans le bois et un visage apparait. C’est un enfant… Il ne doit pas avoir plus de dix ans. Il est couvert du sang de ses victimes, et ses yeux sont exorbités.  Claire se cramponne à moi. Ses bras me serrent tellement fort que c’est douloureux. Mais je ne lui dis rien, tout ça sera bientôt fini. Dans un ultime élan de courage Alex s’empare de la tringle du rideau de douche et se met à frapper le jeune cannibale. Ce dernier réussi à attraper son bras et le tire à travers le trou qu’il a fait dans la porte. J’ai aussi un élan de courage et je m’agrippe à mon ami. Mais je ne fais pas assez attention et je sens les dents du monstre se planter de ma main je hurle de douleur et lâche Alex Dans un énorme bruit de craquement, l’enfant lui arrache le bras et il tombe inconscient au sol. J’ai la tête qui tourne et moi aussi je m’écroule sur le carrelage froid de la salle de bain. J’entends des coups de feu au loin et puis tout devient noir.

  Une voie m’extirpe de ma torpeur.

-          Mademoiselle, est-ce que ça va ?

  J’ouvre les yeux. Un soldat est penché au-dessus de moi. Je réalise que je suis vivante. J’ai survécu ! Je me demande si les autres vont bien, j’ouvre la bouche et….je vomis du sang…

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