Dick

eaven


Il s'appelle Dominique. C'est lui qui le dit, son vrai nom personne ne le connait. Dominique, un nom hermaphrodite, commun, rien qui ne se remarque, rien qui ne se retienne. Au début ses nouveaux potes le nommaient toujours Dom, certains qui avaient compris son addiction lui balançaient du Dom'nique en se marrant. Puis un jour un gars qui lisait des BD d'outre-manche avait sorti Dique, Dick quoi, il avait expliqué aux autres, ça les avait fait s'esclaffer, alors c'était resté et lui, il en était fier.

Il n'est pas très grand, pas baraqué non plus. Mince presque maigre, il surveille son poids, ça tombe bien, moins tu manges, moins tu dépenses. Il faut qu'il reste sec, ça plait aux femmes même les grassouillettes, elles s'identifient ces molasses.

Son visage pourrait être une belle gueule, mais il a comme un rictus permanent qui s'accentue quand il parle. Entre le dégoût et le dédain. Une séquelle de paralysie virale ou un vilain gnon, c'est possible aussi, la castagne ne lui fait pas peur, il a souvent les nerfs. Les dents ne sont pas très nettes, on voit quelques caries. Il ne les fait pas soigner. Pas de pognon. Pas de numéro de sécurité sociale.

Il a les gestes saccadés, cassants des petites frappes, des postures de mauvais garçon, la classe de la pègre. Quand il marche dans la rue, quand il entre dans un bar, au premier coup d'œil tu vois à qui tu as à faire. Une dégaine interlope, un voyou qui essaie de se fondre dans la masse. Tu peux lui confier ton clébard pendant que tu vas te repoudrer mais pas si c'est un chien de race, tu es sûre de ne retrouver que le collier.

Ses parents habitent la grande banlieue, au nord de Paname. Il a toujours les deux, dans leur petit pavillon. Rien à en dire, pas de pittoresque, pas de roucoulements sur la petite maison du bonheur. C'est propre, c'est moche, c'est rangé.

Le père vendait de la mercerie sur les marchés du département. La mère s'occupait de son intérieur, de lui et de sa sœur. Ce n'est pas avec ce genre de moyens qu'on élève deux gosses et qu'on se paye une maison, même petite, même dans l'Oise. Alors évidemment, le père Marcel trafiquait un peu. Sur les marchés on savait qu'on pouvait lui passer commande. D'une semaine à l'autre, on avait presque tout ce qu'on voulait : une Tank de Cartier, un cabochon de Boucheron, un flingue, une robe Dior. Tout était possible au tiers du prix. Le père Marcel avait ses adresses et ne plaignait pas ses allers retours à la capitale.

C'est comme ça que Dom (mais à ce moment ce n'était pas son nom) avait eu une enfance normale, modeste mais sans honte. Le père envoyait quelques claques mais était souvent trop crevé pour se mêler d'éduquer qui que ce soit. D'ailleurs, en aurait-il eu même la connaissance ? Tu parles pas mal à ta mère, tu files faire les courses si y en a besoin et tu pourris pas les draps le dimanche matin. En dehors de ça tu te débrouilles. Chacun son chemin. On les met au monde, on les nourrit, on les habille, on les couche, pour le reste c'est à eux de faire.

Il avait poussé comme ça, comme on dit, dans le marais, mauvais à rien et bon nulle part. Juste qu'il avait un plus joli museau que les autres et déjà à l'école les gamines chuchotaient en le regardant. A douze ans il avait compris qu'il pouvait facilement coucher avec une fille, une qui sait, une de seize ans tant qu'à faire et la grande sœur d'Alain avait été d'accord sans en faire une histoire. La première fois ça l'avait suffoqué. Cette douceur humide, cette tiédeur, ce contact qui ne ressemblait à rien d'autre et la sensation complètement différente de sentir tout le con de la fille tout autour. Il avait jouit en trente secondes comme un gamin et ça l'avait vexé. Mais la grande sœur en avait vu d'autres, elle ne  s'était pas plainte, elle savait qu'il allait recommencer. Tout l'après-midi du mercredi y était passé, et à la tombée de la nuit quand l'heure du retour des parents de son copain avait approchée, et quand  la peau de son sexe était devenue aussi collante que les cuisses de la grande sœur, ils s'étaient levés. Elle blasée par ce genre de journée et lui sûr d'avoir découvert ce qui allait occuper tous les moments libres de sa future existence.

Au collège, il aurait pu apprendre quelques trucs, il en était capable, mais il n'était intéressé que par les nuques des filles et il passait son temps à regarder grossir leurs seins au fil des mois. A ses copains il ne parlait pas beaucoup de ses envies et de ces quelques filles, en short et collants noirs, maquillées en gothiques qui acceptaient  les relations sexuelles dans les chiottes, après la fermeture des grilles. C'était sa chasse gardée. Sauf Alain, à lui il racontait tous ses coups, il faut bien un pote à qui faire partager son plaisir, ses victoires, sa fierté, et Alain n'était pas dangereux : haut comme trois pommes, un visage fermé et des yeux vicieux, ce n'était pas lui qui allait le griller.

A seize ans après deux classes de troisième, il avait quitté le collège. Il avait commencé par aider son père sur les marchés, pas tellement pour la mercerie, ça c'est facile, pas lourd à déballer et remballer et les ménagères qui cousent les boutons des layettes ne sont pas une clientèle difficile à manier. Non, il s'était initié aux commandes spéciales. Son père l'avait fait entrer dans le circuit des receleurs, des nourrices de tombées de camions, des veilleurs de nuit habiles et des concierges d'immeubles vides où crèchent les saoudiens en vacances, c'est-à-dire uniquement au mois d'août. Le p'tit était malin, hargneux, dressé pour la gagne, rapide aussi, plus il travaillait vite, plus il lui restait de temps pour la baise. Savoir qu'une nana, veloutée et moelleuse uniquement où il aimait, l'attendait en flippant, lui donnait des ailes.

A vingt ans il avait rencontré Christine, dans une boîte à Paris. Elle était vendeuse en parfumerie. Elle était presque belle comme un mannequin, juste le nez un peu de travers, mais de profil, ça ne se voyait pas. Elle sentait bon de profession et n'était pas farouche. Ce n'était pas qu'elle aimait ça, sensuellement, elle aimait bien la brutalité et quand il eut compris les gestes et la voix qui la rendait docile, il devint accro, comme à de la vinasse. Plus il cognait, pas fort, fallait pas non plus le prendre pour un salaud, plus il la traitait de sale pute et plus elle fondait et lui taillait des pipes qui le transportaient au-dessus de lui-même comme dans une expérience de mort imminente. Il s'était dit, celle-là je la garde à proximité, ce sera la permanente. Ils s'étaient mis ensemble. Dans un sale petit deux pièces, pas dans une HLM, ça aurait pris trop de temps. Dans un immeuble crasseux du Val-d'Oise.

Il continuait son petit boulot de canaille et fondait sur toutes les tailles trente-huit qui passaient à proximité. Un soir alors qu'il rentrait d'un « réassort » dans le VIIe il trouva Christine, un vague sourire aux lèvres, le nez plus tordu que jamais. La table de la cuisine était éclairée par deux petites bougies, l'une rose, l'autre bleue. Rien de surprenant, rien de grave, juste le prix à payer. Il avait accroché un sourire à sa face et l'autre l'avait cru heureux.

La gosse était née sans que le moindre changement ne l'atteigne, Christine dormait moins, mais il l'avait remise en selle très rapidement.

Quatre, cinq ans passèrent, Christine travaillait toujours, la gamine n'était pas compliquée et il suffisait qu'il parle un plus haut pour qu'elle déguerpisse dans les jambes de sa mère. Pour maintenir une atmosphère respirable, il les emmenait en vacances en Vendée, à La-Tranche-sur-Mer. Toujours au mois d'août, les saoudiens réinvestissaient leur appartements avenue Foch et quelques escapades d'un jour ou deux, histoire de visiter deux, trois manoirs au Vésinet assurait un mois correct et dans ses cordes. Il payait en liquide la location à deux cents mètres de la plage et des glaces rhum-raisins sur la place de la ville le soir après le dîner.

A la plage, l'après-midi, après la sieste de la petite et une rapide étreinte quand Christine n'avait pas trop chaud, il imposait un nouvel emplacement tous les jours, prétextant que la routine l'insupportait. Il portait le sac à serviettes, la pelle et le râteau, il plantait le parasol  et quitte avec ses obligations de chef de famille, il pouvait se diriger vers les vaguelettes en lançant des regards circulaires. S'il repérait un petit bas de maillot situé sous un ventre bien plat et des seins élégants, surtout si le bout de polyamide cachait approximativement deux jolies fesses rondes, il allait chercher la gamine et s'arrangeait pour qu'elle trébuche sur le petit lot, l'éclabousse ou lui propose un coquillage. En papa attentif, il courrait prendre sa fille dans ses bras et engageait une petite conversation rapide sur les coins de la côte que la jeune femme connaissait. De proche en proche, avec un savoir-faire professionnel et avec une rapidité qui ne laissait pas le temps aux soupçons de Christine la moindre chance de naître, il parvenait à situer l'adresse de sa future conquête. Il glissait un mot gourmand sur le glacier de la place, maison centenaire, experte en sucre chaud de toutes les couleurs. Le soir presque immanquablement, il  retrouvait la belle au centre du village, les joues rouges de soleil et du plaisir de la transgression possible voire probable. Si la fille était seule ou avec des copines, il lui faisait un petit signe de la main, un sourire de lionceau suivit d'un clin d'œil complice. C'était comme un deuxième rendez-vous, ils avaient presque fait connaissance. Les filles bien ne couchent pas le premier soir. C'était bien mené, le lendemain serait déjà la troisième rencontre. Invoquant n'importe quel achat de coquillages frais à faire, il laissait Christine au balayage et sa fille au grattage de quelque  zone sablonneuse du jardin. Il tentait sa chance au domicile supposé de la gonzesse et plusieurs fois dans le mois, il pouvait profiter de ses justes calculs et tirer sa proie dans un lit de vacances poétiquement ensablé. Ce genre de pensée le sauvaient du vulgaire et lui donnaient l'impression d'être une sorte d'artiste, travaillant sur le vif et pour le meilleur des motifs.

Un dimanche soir au cours de sa promenade familiale alors qu'il avait repéré in extremis, juste avant le départ de la plage, une brune sublimement faite, il la chercha des yeux, plus excité qu'à l'habitude, piqué par l'air capricieux et boudeur de la fille. Il se lassait un peu de les voir toutes consentir et réclamer des heures qu'il n'avait pas même eu le début d'une intention d'accorder. La fille avait l'air d'une garce et il voulait l'avoir avant la fin de l'été. En professionnelle, elle aussi, elle se pointa avec un type taillé en militaire, la boule à zéro, le regard  invincible du propriétaire, dirigé loin devant. La main large effleurant à peine le cul de roi de sa femelle, lequel cul était juste voilé par un chiffon soyeux rouge cerise qui magnifiait le bronzage parfait des jambes somptueuses. Ils devaient finir leur marche digestive et s'éloignaient déjà vers les petites ruelles qui irriguaient la place. L'air de rien, mais après avoir pris un direct dans l'estomac et plus du tout attiré par le reste de sa crème glacée vanille Bourbon, il fit assoir la mère et la fille sur le muret du monument aux morts et sous couvert d'avoir oublié ses cigarettes, s'arrangea pour suivre des yeux le couple, puis pour les suivre tout à fait. Il sut dès le soir même où la fille habitait.

Les CRS, comme les militaires ont un métier qui implique l'absence, il pressentait que le type était en permission.  Le lendemain et exceptionnellement, il choisit d'installer la famille au même endroit de la baie. Les filles, elles, ne changent pas de place, elles sont programmées comme ça, pour faire de chaque endroit un nid où retourner couver, même si la nichée n'est faite que de galets. Comme il l'avait prévu, la jeune femme arriva seule quelques temps plus tard. Hautaine et renfrognée, elle étala sa serviette blanche immaculée - ça aide pour le bronzage -  et commença à recouvrir son corps d'huile parfumée au monoï synthétique, par petits massages concentriques, l'air de rien.

(à suivre)

  • Il n'a pas terminé donc il n'est pas terminé :))) Ca me fait plaisir de vous distraire, plein de joie ! Merci !

    · Il y a environ 12 ans ·
    Gants rouge gruauu 465

    eaven

  • Non mais j'adore tellement. Le rat que je suis, toujours dérangé dans sa tête, a pris le parti de les lire à l'envers, partant depuis l'action, jusqu'au personnage. C'est dingue comme le sens s'inscrit autrement, mais en tout cas, c'est une belle prestation de littérature que tu nous offre là.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Rat3 54

    Léo Noël

  • aaah je comprends mieux la suite, là.... oui, c'est comme au cinéma, c'est vivant...
    et bizarre, l'impression de déjà vu... ces Dick là, on en connaît tous.... hmmm, tu écris vraiment bien, et dans plein de styles différents, Misss Eaven !

    · Il y a environ 12 ans ·
    120x140 image01 droides 92

    bleuterre

  • bon, ben je vais lire le début, je l'avais zappé, ce lui là....

    · Il y a environ 12 ans ·
    120x140 image01 droides 92

    bleuterre

  • Très très bon ! Tu as l'obligation de partager la suite, j'adore ton bonhomme et pour reprendre ce que dit Stef, en utilisant les mots de Dick, il commence sérieusement à muscler la douloureuse ce gonz' ! Vivement la suite.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

  • Dick Dick Dick ... c'est marrant ca me fait penser à une chanson ...
    Moi je dis comme Wic (si tu permets le diminutif...) il FAUT une suite
    C'est excellent et bien écrit

    · Il y a environ 12 ans ·
    Tyt

    reverrance

  • Mouais , j'ai dit en lecture seule aussi. Mais j'va régler son compte à cette pagination ;)
    C'est bon, j'ai finassé et en cliquant sur lire, mes pauv' mots sont tous là, prêts à vous sauter aux yeux ;)

    · Il y a environ 12 ans ·
    Gants rouge gruauu 465

    eaven

  • Ca m'arrive parfois aussi... en fait il suffit de cliquer en haut à droite sur lire et le problème ne sera plus ! Bonsoir Eaven je lirai demain

    · Il y a environ 12 ans ·
    Tyt

    reverrance

  • Il manque des morceaux de phrases à l'édition du texte et même en lecture seule. C'est saoulant, mais bon, c'est pas du Balzac non plus. :)))

    · Il y a environ 12 ans ·
    Gants rouge gruauu 465

    eaven

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