Dîner de fiançailles

houalas

Rien ne sert d'aimer si l'on ne sait aimer à point.

J'y ai peut-être été un peu fort. C'est vrai que pour la préparer au repas de ce soir, la traiter d' « emmerdeuse de première » n'est pas du plus grand tact. Peut-être aurais-je dû ignorer sa remarque sur la relative fraîcheur des homards… Mais après tout le mal que je me suis donné pour que ce dîner soit un grand moment, je suis désolé, mais elle aurait pu se la garder pour elle, cette réflexion désobligeante. Enfin, heureusement, j'ai fini par me maîtriser.

S'il n'en avait rien laissé paraître, il avait pris le coup de plein fouet. Lui qui se donnait tant de mal à concocter un petit dîner de fiançailles des plus raffinés, pensé, réfléchi avec tendresse, taillé à la dimension de l'événement, il n'en revenait pas qu'elle tînt des propos aussi critiques. Cela dit, tout aussi rude qu'il fût, c'est avec le plus grand détachement qu'il les avait encaissés et sa réaction immédiate, bien que légèrement acide, ne reflétait que de très loin ce qu'il pensait vraiment de son commentaire. Ce qu'il lui réservait valait bien ce désagrément passager, au fond assez banal, surtout si on le comparait au choc que ne manquerait pas de lui procurer ce qu'il avait prévu de lui annoncer. Ces quelques pensées l'abandonnèrent, lorsque posté devant l'ardoise accrochée au mur, il se mit à méditer devant le menu. En redécouvrant les mets qu'il avait soigneusement sélectionnés, ses zones gustatives, stimulées par des images d'excellence, produisirent un flux massif d'une salive apéritive. Il ne fallut pas longtemps aux Saint-Jacques à la nage d'estragon, aux papillotes de homard aux quatre-épices, au vacherin du Haut-Doubs et à la crème Catalane accompagnée de ses feuillantines maison, pour provoquer mille étincelles dans ses pupilles dilatées et souder à son palais une langue congestionnée par le pouvoir de son imagination culinaire.

Pas frais, mes homards. Non mais, franchement, elle exagère. Ils viennent tout droit de chez le poissonnier. Je me suis levé à sept heures ce matin, exprès pour avoir le choix. Et d'ailleurs, j'ai eu le choix : j'ai pris les deux plus beaux.

Il changea de position afin de prendre appui sur sa jambe gauche, cala sa main droite sur une hanche et prit son menton de sa main gauche.

Cela dit, je demande si elle n'est pas un petit peu allergique aux crustacés. Je la connais si peu, en fait !

Lorsque Sophie avait débarqué, à l'improviste, comme d'habitude, il venait tout juste de mettre à infuser dans un peu de lait bouillant la cannelle, le citron et la vanille, avant de rajouter avec la plus grande délicatesse, les quatre belles étoiles de badiane de chine, sans lesquelles la si délicate crème catalane n'atteindrait jamais la suavité convoitée par toutes les autres crèmes au monde. Henri, enivré par les parfums grisants de l'anis étoilé, ne se rendit pas compte de la présence de Sophie dans la pièce. Il s'affairait à travailler un appareil fait d'œufs, de sucre et de fécule, à la cuillère à bois, le fouet étant à jamais proscrit des ustensiles nécessaires à la réussite de ce dessert. Sophie l'observa quelques instants. Elle vit à quel point la préparation de ce plat lui tenait à cœur, tout ce qu'il lui demandait de concentration, ce que cela signifiait aussi. Ce travail, cet investissement, tout ce temps passé à fignoler les détails afin de parfaire l'ensemble, avait à ses yeux une seule et unique signification : les fiançailles. Ces maudites fiançailles qu'elle redoutait et contre lesquelles elle n'avait rien pu faire. Sinon se résigner, puis se ressaisir, pour finir par guetter le moment, l'instant précis où elle pourrait lui faire clairement comprendre qu'elle n'en avait nullement envie. Une de ces occasions où, témoin d'un faux pas providentiel dans leur relation, elle saurait récupérer la situation à son avantage. Elle lui dirait franchement que leur amour n'avait pas pris les directions espérées et de ce fait atteint les sommets qu'elle était en droit d'attendre. Ils se connaissaient depuis deux mois et déjà, leur avenir n'était pas des plus engageant. Le plus sage, pour éviter la casse, était d'en finir rapidement, le plus tôt possible étant probablement la meilleure et la plus appropriée des formules à leurs amours déliquescentes. Mais, bien que depuis plus d'un mois elle se tînt à l'affût du moindre signe de faiblesse, du plus petit des fléchissements, de la plus infime des contrariétés, ce moment-là ne vint jamais. Pour ce qui était de l'informer qu'en plus de tout cela, il y avait une cause à cette impossible contractualisation, plus délicate encore à argumenter, elle ne savait toujours pas quand et comment elle y viendrait. Elle verrait le moment venu. Une chose au moins était sûre, il n'était désormais plus question de reculer.

Afin d'empêcher ce désastre à venir, elle devait interrompre ce repas tant qu'il en était encore temps. Mais elle se retrouvait là, acculée au pied d'un mur de gentillesse et de projections amoureuses dont la plus immédiate se matérialisait progressivement sous la forme d'un repas unificateur, d'une offrande culinaire chargée d'engagements sous-jacents et de perspectives matrimoniales. En un éclair elle se vit assise à ses côtés, lui sur le canapé, les pieds rivés dans d'immenses pantoufles écossaises à l'imposante fourrure, elle, robe de chambre bleu cireux mal ajustée à ses épaules, entraînée par le mouvement perpétuel d'un fauteuil à bascule dans une spirale endiablée vers une maison aux volets verts et dont la pelouse impeccablement tondue servait de lieu de ralliement à une marée de bégonias tout aussi splendides que tentaculaires, qu'une couvée de mioches aux pantoufles écossaises et aux peignoirs bleus cireux piétinaient en ricanant.

Sophie poussa un court, mais très sauvage cri d'effroi.

Le tout premier trait de lait, celui qu'il ne faut surtout pas négliger car il donne à la future crème toute sa puissance, son énergie et sa fierté catalane, cette première démarche fusionnelle, fut interrompu tout net par le cri discordant d'une harpie terrifiée. Si la casserole ne finit pas sur le sol, un bon dixième du liquide s'y retrouva sans espoir de retour. C'est à cet instant là que Henri la vit, de dos, la main soudée à la poignée de la porte dans l'espoir de repartir comme elle était venue, c'est à dire sans attirer l'attention sur elle. Mais le mal était déjà fait et la phrase lapidaire qui lui paralysa l'esprit ne fit que le lui enfoncer davantage dans le cerveau.

Sophie ?… Mais que fais-tu là ma… Heu… Mon… Heu… amour ?

Louis attendait depuis plus d'une heure le retour de Sophie. Il tournait en rond, allait d'un mur à l'autre, longeait le canapé, contournait la table basse et revenait invariablement à coté du petit meuble en acajou sur lequel trônait un téléphone sans vie. Plus le temps passait et plus son anxiété le tourmentait. Rester là, à poireauter pendant que sa compagne se rendait chez celui qui se proposait de se fiancer avec elle, à se ronger les sangs d'inquiétude quant à la tournure de cette situation singulière, à s'entretenir un ulcère à l'estomac intraitable et friand de situations comme celle qu'il vivait en ce moment. Ne la voyant toujours pas revenir, il se décida d'aller à ses devants. Il allait sortir, lorsqu'il se souvint qu'elle lui avait suggéré de l'attendre chez elle et de n'en bouger sous aucun prétexte.

Tu m'attends là, ou tu auras affaire à moi ! Compris ? Ou bien faut-il que je te le répète ?

Non, en fait elle n'avait pas eu besoin de répéter quoi que ce soit. Il avait très bien compris. Après le « tu m'attends là » du début, il savait déjà à quoi s'en tenir. Donc, il attendait. Et il attendrait bien sagement, allant et venant dans cette pièce aux pas perdus, Elle finirait bien par revenir.

Il claqua la porte d'un geste sec et revint vers le téléphone, au cas où l'envie prendrait à cette chose inerte de sortir de sa torpeur. Le calme retomba dans la pièce comme un couperet sur le billot d'un échafaud. Son ulcère fit à nouveau des siennes. Il se dirigea vers la cuisine en espérant y trouver une pastille calmante dans la trousse à pharmacie. Mais les placards entrouverts les uns après les autres ne révélèrent rien d'autre que des couverts bien rangés, quelques boites de conserves sans intérêt, deux ou trois ingrédients de base, rien que le triste témoignage d'un être peu passionné par ce qui touche de près à l'art de cuisiner. C'est pourtant dans le dernier meuble accroché au mur, furetant entre un paquet de sucre entamé et des sachets de thé au jasmin engoncés dans une tasse ébréchée, qu'il fut envahit d'une émotion sans borne. La sensation sensuelle qu'il éprouva en caressant par hasard les quelques feuilles d'estragon séchées, abandonnées dans un recoin du meuble en bois, avait aussi quelque chose de charnel. Au contact de l'herbe aromatique, il fut ramené quelques mois en arrière, lorsque les fragrances de ces merveilleuses Saint-Jacques à la nage d'estragon lui avaient confirmé les talents culinaires de son cher et ignoble Henri. Cet être si fin, doté par la nature du pouvoir extraordinaire d'associer les mets entre eux, de trouver des correspondances aux ingrédients les plus divers, les plus naturellement opposés, ce perfide individu qui ce soir-là, après l'avoir fait saliver une journée entière, après lui avoir fait toucher des doigts, puis humer les délicats parfums s'envolant des plats sous ses yeux, ce goujat lui avait dit devant quatre Saint Jacques ingénues, baignées d'un nuage éthéré d'estragon, que leur relation s'arrêtait là et que ses larmes n'y pourraient rien changer. Les paroles qui suivirent, bien que plus précises, n'eurent pas la même violence, le même impact. S'il ne se souvenait pas exactement de tout, il lui restait en tête des bribes, des bouts de phrases aux angles acérés dont le fil lui transperçait toujours le cœur.

Cette expérience était nécessaire pour que je me situe ! J'étais très heureux avec toi, mais notre relation m'a ouvert les yeux sur ce que je suis vraiment. Au fond de moi-même. Je suis désolé, mais au fond de moi-même, il n'y a pas la place d'un autre homme. Je crois bien que je la réservais pour quelqu'un d'autre… Sophie n'a pas eu grand chose à faire pour me convaincre.

Désolé, il exprimait sa désolation devant des coquilles si prometteuses qu'il n'avait pas eu le courage de les lui jeter au visage. Après cet incident ils ne s'étaient pas revus, mais la douleur avait été si forte qu'un sentiment de vengeance l'avait possédé tout de suite. Il avait voulu savoir pourquoi Henri lui préférait une femme et après avoir réfléchi à quelques stratagèmes plus ou moins crédibles, il avait opté pour la stratégie peut-être la plus mesquine, mais certainement la plus porteuse de satisfaction : il tenterait lui aussi de déterminer vers quel sexe le portaient ses élans naturels. Restait plus qu'à trouver une femme consentante.

Sophie, puisque tu es là, peux-tu me découper les poivrons ?

Non !… Je ne sais pas le faire. Je vais y aller… Henri ?

Henri saisit un poivron rouge écarlate et le trancha en deux parts égales. Il en libéra une de son chapelet de graines, puis entreprit de le tailler fines lanières. Ses gestes étaient fermes, ils alliaient la grâce à la précision chirurgicale.

Voilà qui est fait ! Sophie, tu me passes le quatre-épices !

Elle lui tendit le bocal avant de le déboucher. La cannelle et la girofle effleurèrent en tout premier ses zones olfactives, mais la muscade et le poivre de Cayenne ne restèrent pas longtemps en retrait. Leur épanouissement fut total lorsqu'ils rencontrèrent le fumet de crustacés dilué, savamment mélangé aux deux cuillères de miel d'acacia. Lorsque les poivrons rejoignirent tout ce beau monde, le temps aux parfums de s'accorder entre eux et l'harmonie aromatique fut à son apogée.

Henri, il faut que je te parle. C'est important.

Tout à l'heure Sophie, nous avons toute la soirée pour ça. Tu ne devais pas aller te changer ?… Tu me passes les morceaux de homards !

Elle lui passa les morceaux de homards qu'il répartit sur quelques carrés d'aluminium.

Voilà, je vais attendre un peu que le mélange ait bien pris. Je recouvre les morceaux et je les passe au four…

Henri ?

Oui !

Ils ne me semblent pas en très grande forme tes homards.

On ne t'as jamais déjà dit que tu étais une emmerdeuse de première ! Non, et je ne vois pas qui aurait intérêt à se le permettre !… Henri, tu m'écoutes ?

Oh ! Sophie. Tu es encore là ?

Pour se rendre chez elle, Sophie mettait environ un quart d'heure. En dehors des heures de pointe, quand la circulation était fluide, elle parvenait même à gagner cinq minutes, mais ce soir-là elle emprunta un autre itinéraire, plus long, moins agréable. Ce dernier l'obligeait à prendre de petites rues étroites où les odeurs d'égout mélangées à celles des poubelles éventrées, prisonnières entre de hauts murs que la proximité rendait inaccessible au moindre souffle d'air frais, saisissaient les narines les plus imperméables aux relents de choux pourris et aux miasmes de restes avariés. Généralement, elle ne traînait pas, traçant sa route avec un seul objectif en tête, celui de faire une halte à la petite boucherie traditionnelle placée à l'angle de la zone nauséabonde et de l'entrée d'un quartier en cours de démolition. Pour le commerce artisanal, les jours étaient comptés. Le patron, un gros bonhomme tout en moustache, passait pour être le meilleur boucher de la ville. Sa viande venait de bêtes qu'il élevait lui-même et auxquelles il donnait le meilleur de sa production céréalière. La qualité s'en ressentait et le filet mignon de son veau élevé sous la mère, le jarret de son porc fermier et la chair finement persillée de son paleron de bœuf d'origine contrôlée en faisait se déplacer plus d'un des quatre coins de l'agglomération. Parfois de plus loin encore. Si elle n'était pas une grande mangeuse de viande, son chéri, le plus grand amour de sa vie, lui, en était friand. Et pour ses beaux yeux noisette, elle avait affronté plus d'une fois les immondices et autres saletés du parcours la conduisant à cet étal aux produits d'un savoir-faire encore authentique.

Lorsqu'elle rentra, l'appartement était vide. Ou presque. Louis avait disparu du plancher. Si ce n'était pas la première fois qu'elle enrageait de constater qu'il n'avait pas respecté son intention de le voir là, tout sourire et content d'avoir obéi à ses quatre volontés, elle ne mit pas longtemps à constater qu'en plus de son absence, il manquait un certain nombre de choses qui lui appartenaient. En très peu de temps, elle ne put que se rendre à l'évidence : Louis était parti sans laisser de trace.

Le temps à la surprise de céder sa place à d'autres préoccupations plus terre à terre - dans l'immédiat, se changer, se mettre sur son trente et un, ajouter une touche de maquillage, un soupçon de parfum et rejoindre Henri était celle qu'il fallait traiter avec le plus de bienveillance - et son histoire avec Louis était reléguée entre les basses-feuilles de son cœur d'artichaut. Une aventure à ranger dans les expériences sentimentales superficielles, sans grand intérêt et vouée à l'échec avant même son commencement. Qu'elle se soit embarquée dans deux histoires en même temps ne l'avait pas embarrassée plus que ça, ni l'une ni l'autre ne lui ayant fait miroité les perspectives auxquelles elle croyait légitiment avoir droit : celle d'un amour exclusif, sans borne et sans concession. Un amour que seul, à ce jour - et sûrement jusqu'à la fin de son temps à elle – Sam était en mesure de lui offrir.

Il ne restait plus à Henri qu'à découper dans la pâte à feuillantines des tranches rectangulaires et fines. Il en fit de différentes tailles afin que la réaction produite par le cru et le brûlant réunis, les façonne au gré d'une alchimie imprévisible et donne à la fin du repas un brin de fantaisie qui, après certaines révélations, en aurait probablement bien besoin. Il prit quelques morceaux et les déposa un à un dans la marmite remplie d'une huile prête à s'enflammer. Les gâteaux s'enfoncèrent rapidement dans le liquide bouillonnant. Après quelques secondes d'hésitation, le corps entre deux huiles, ils se ressaisirent et, telle une balle comprimée au fond d'un bac, remontèrent vivement à la surface entourés d'une écume fumante. A partir de là, entièrement soumis aux lois régissant la moindre des fritures, ils commencèrent à changer de couleur sous l'œil attentif du cuisinier émérite. Henri les sortit avant que le croustillant ne se transforme en crémation irréversible et les plaça par couches successives sur un lit de papier absorbant. A peine tiédis, il les recouvrit d'une pellicule de sucre de canne. La pièce encore enfumée fut alors envahie d'un nuage de vanille dont les gousses entrouvertes avaient petit à petit imprégné la rousseur des grains.

Voilà ! Le repas était fin prêt. Henri plaça les ustensiles dans le lave-vaisselle, dressa en deux temps trois mouvements une table de deux couverts, passa un coup de balai et fila prendre une douche tonifiante. Tout cela fut fait presqu'aussi vite qu'il ne l'avait pensé. L'attente ne serait sûrement plus très longue, Sophie était ponctuelle. Une fois devant lui, il trouverait les mots justes, les phrases les plus claires. Le reste ne serait plus qu'une formalité.

Louis avait le doigt sur la sonnette mais il ne parvenait pas à appuyer dessus. Qu'allait-il dire ? Comment allait-il le prendre ? Plus les secondes s'écoulaient, plus sa volonté d'empêcheur de se fiancer en rond et de mise au point radicale fléchissait. Mais Sophie n'allait pas tarder à arriver et elle ne pouvait le trouver à poireauter devant la porte d'Henri. Surtout après sa fuite lamentable de tout à l'heure. Non ! Il devait entrer, il avait ses convictions pour lui et croyait en la justesse de son point de vue. Il appuya sur la sonnette.

Oui ! Entre ! Fit Henri. C'est ouvert ! Entre et viens me voir, So…

Louis entra. La bouche d'Henri mit bien plus de temps à se refermer qu'il n'en fallut à la porte d'entrée pour le faire.

Sophie avait tout prévu. Elle laisserait entrer Sam en premier. Cette mise en bouche aurait pour effet de bien préparer son « ex » à l'annonce qu'elle avait à lui faire. Ensuite, elle lui dirait pourquoi ce projet de fiançailles n'était pas une bonne idée et comment il valait mieux qu'il envisage désormais son avenir. C'est à dire sans elle.

Vas-y, Sam, entre, n'ait pas peur, il ne va pas te mordre !

La porte entrouverte ne laissait filtrer aucun bruit. Le silence ne fut tout d'abord troublé que par les pas de Sam sur le parquet. Puis ce furent ceux de Sophie qui, bien que déterminée, avançait la mine inquiète. N'entendant toujours aucun bruit, elle continua d'avancer, découvrant au passage les différentes strates d'odeurs, chacune d'entre elles correspondant à un plat différent. Mais au lieu de donner au final un mélange hétérogène peu engageant, fait d'un assemblage d'émanations culinaires aux styles opposés, il résultait de ce magma composite une harmonie appétissante, donnant à l'invité de passage une irrépressible envie de découvrir l'origine de ces effluves enchanteresses. Il ne lui restait plus qu'un seuil à franchir et elle serait dans le salon, propulsée de plain-pied dans la phase finale de sa démarche correctrice. Mais un grognement se fit entendre. Elle accéléra le pas. Elle aperçut tout d'abord la parka de Louis, mais c'est lorsqu'elle les vit enlacés sur le canapé contre le mur du fond, qu'elle saisit à quel point le repas qui suivrait, même sans fiançailles à la clé, serait un véritable repas de fête. Sam, le fox-terrier de Sophie ne put faire mieux qu'aboyer deux ou trois fois en guise d'approbation.

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