Du maquillage à tout âge

Nicole Bastin

Désemparée de voir dans mon entourage des jeunes filles de tout juste 14 ans se maquiller pour aller au collège comme j'oserais à peine le faire, moi-même, pour aller en soirée, j'ai opté pour le bon vieux réflexe : qu'en pensent donc mes voisins de la toile ?

Et bien, autant vous le dire tout de suite, absolument pas ce que je croyais.


Je pensais tomber sur des articles de revues nationales traitant du sujet et prodiguant leurs bons conseils aux parents inquiets de voir leur chère progéniture plonger, la tête la première, dans un grimage perpétuel.

Au lieu de ça, j'ai trouvé un nombre conséquent de pères et mères désemparés, à qui l'on ne répond, sur les forums, que des phrases aussi vides et peu rassurantes que « C'est l'âge, ça va passer. ». Surtout, j'ai découvert avec stupéfaction une multitude de tutoriels, de vidéos à n'en plus finir, de conseils beauté, en voulez-vous, en voilà, tous censés sublimer le visage de la femme, à commencer par celui de la femme-enfant, puisque les premières « leçons » démarrent non pas à 14, mais à 12 ans !

Pas de contre-argumentaire convainquant, pas de véritable réflexion sur le thème. Dès lors, je m'interroge d'autant plus, deux points m'alertant particulièrement.


Je suis en effet sidérée de découvrir que non seulement, le maquillage, encore aujourd'hui, ne semble concerner que les filles, mais qu'en plus, il n'a pas l'air d'être une option.

Autant je suis pour que chaque être, garçons compris évidemment, expérimente son identité et contrôle à la fois son corps et l'image qu'il en renvoie, autant je suis toujours très mal à l'aise face à l'universalité d'une dynamique culturelle et je ne peux m'empêcher d'être dubitative sur le fait qu'il n'y ait visiblement pas d'alternative.

À en croire le fruit de mes recherches, une fille devrait apprendre à se maquiller à l'adolescence, aussi sûrement qu'elle seule doit prendre la responsabilité de sa contraception, l'ironie du sort voulant que, sur cette dernière justement, elle aura bien moins d'information à sa disposition.


Personnellement, j'ai toujours eu une image positive du maquillage, déjà, parce qu'il faut bien l'avouer, j'ai longtemps été frustrée d'avoir du attendre ma majorité pour en porter, mais aussi parce que je l'ai toujours considéré comme une sorte de peinture de guerre me permettant de mieux affronter l'adversité du monde alentour, en particulier celle du marché du travail.

Le maquillage me rendant tour à tour plus mûre, plus responsable (plus jeune aujourd'hui), j'aime à penser qu'il m'est une arme secrète, m'aidant à aller au devant des vicissitudes de la vie, telle une amazone protégeant son territoire.

Seulement, il me faut reconnaître également que si le rituel a quelque chose de rassurant, il n'en a pas moins créé, au fil du temps, deux problèmes majeurs qui vont en s'accentuant.

Premièrement, il ancre définitivement mon environnement dans une perspective hostile et agressive, deuxièmement, il est devenu indissociable d'une sortie en public. Ai-je déjà osé paraître au bureau, sans même une touche de mascara ? Tristement, la réponse est non.

De la même manière, nos adolescentes prennent tellement l'habitude d'en porter quotidiennement que, pour certaines, l'idée de sortir, le visage au naturel, ne leur traverse même plus l'esprit. Elle en viennent à aimer le masque uniquement, non pas celle qui le porte, une tendance nocive évidemment, à cet âge crucial pour le développement personnel. Sommes-nous toutes destinées à n'être plus, aux yeux des autres, qu'une image projetée, qu'un avatar de nous-mêmes ?


Alors, évidemment, le fait que le début de l'apprentissage du maquillage coïncide avec l'âge moyen d'entrée dans la puberté n'est pas un hasard (12 ans est aujourd'hui l'âge moyen des premières règles, en France). On imagine aisément comment les adolescentes, perturbées par ce bouleversement, cherchent, pour les unes, à se réapproprier et "embellir" un corps en pleine métamorphose, pour les autres, à afficher fièrement leur tout nouveau statut de femme. Il n'empêche que le maquillage au quotidien pose avant tout la question de la conformité.

De même que la civilisation a toujours eu à cœur de dompter la nature sauvage et contraindre la biodiversité, elle a également toujours cherché à lisser la beauté féminine, à gommer ce qu'elle considère être les aspérités d'une terre ô combien plurale et fertile.

Selon les époques, il fallait avoir les cheveux plus ou moins longs, les sourcils plus ou moins épais, les lèvres plus ou moins charnues, la peau plus ou moins claire, l'épiderme plus ou moins velu, la taille plus ou moins fine et supporter des standards d'apparence aussi ficelés que les corsets de Marie-Antoinette.

A l'heure actuelle, plus que jamais, les médias ayant largement pris le contrôle de toutes ces injonctions, de cette éducation esthétique rigoureuse et absurde, les femmes tentent de s'aligner sur des canons de beauté toujours plus stricts et, ce faisant, en perdent misérablement leur spontanéité comme toute originalité. 

Dans Les Indestructibles en 2004, le réalisateur et scénariste Brad Bird faisait dire à son villain Syndrome : « Tout le monde pourra être super ! Et quand tout le monde sera super, plus personne ne le sera. »

C'est exactement ça. Alors que chaque être vivant est unique de la façon la plus magique et mystérieuse possible, les femmes s'obstinent à se rapprocher toujours plus du même moule, sacrifiant sur l'autel de la séduction soit-disant, leur bien le plus précieux : leur singularité. En voulant se rendre visibles, elles s'effacent au contraire, pour mieux se perdre dans une multitude tristement homogène.


Sans compter qu'un maquillage régulier accélère le vieillissement de la peau. On est là face à un paradoxe des plus comiques, la fonction première du maquillage (en dehors de tout argument décoratif, artistique ou même thérapeutique) étant justement de ne pas faire son âge.

À 12-14 ans, les filles font tout pour en paraître 18. Passé la vingtaine, elles n'auront de cesse de vouloir retrouver la fraîcheur de leurs 16 ans.

Et c'est là où le bât blesse.

Plutôt que de savourer chaque saison de notre vie, nous courrons aveuglément après un printemps que nous voudrions éternel, obsédés que nous sommes par le caractère éphémère du temps qui défile.

Effectivement, une fleur n'est jamais aussi émouvante que parce que l'on sait qu'elle se fanera le lendemain, mais n'en déplaise aux poètes, la femme est bien plus qu'une simple fleur et la fleur n'est pas la seule finitude du monde végétal.

Quelle amère et morne idée, quand on y réfléchit, que celle qui consiste à dire qu'une plante n'est belle qu'en fleur ! Pourquoi la figer à un simple instant T d'un cycle incroyablement riche où chaque étape est essentielle, dans la mesure où sans elle, les autres sont non avenues ?

Sans hiver, pas de germination, sans germination, pas de bourgeons, sans bourgeon, pas de fleur, sans flétrissure de la fleur, pas de fruits ni de graines, sans pourriture du fruit, pas d'humus, sans humus, les graines se meurent et la vie avec elles.


Pour en revenir à nos jeunes pousses, à toutes celles qui, par mimétisme ou instinct de survie, fardent leur candeur et leur fragilité, étouffent leur innocence et leur simplicité, que penser de ce phénomène ? Que trahit-il du monde dans lequel nous évoluons ? Un monde qui tend à broyer systématiquement les richesses du naturel.

C'est à se demander si paraître son âge réel ne serait pas carrément un acte de rébellion face à la société, cette machine à diminuer les contrastes, à effacer toute différence, à considérer la maturité et la vieillesse comme symboles de faiblesse, de laideur, de folie, de mort alors qu'elles sont souvent le temps de la sagesse, de la profondeur, de l'apaisement, de la transmission.


Ceci étant dit, si j'ai (parfois) le courage des mots, le passage à l'acte ne suit pas toujours la fougue de mon stylo. Irai-je travailler bientôt avec pour seul apanage, l'authenticité de mes cernes, la profondeur de mes rides et la vérité de mon regard ? Quand ? Demain ? Après-demain ? Un jour prochain, assurément.

Ce jour là, je ne sais pas si je me sentirai moins belle, mais je suis sûre d'une chose, je me sentirai plus libre.

  • Intéressante et fort juste réflexion....
    Le maquillage reste occasionnel pour moi et je n'aime pas spécialement les femmes maquillées que je trouve pour ma part ,figées ,souvent vieillies ou vulgaires;
    Notre société prône la perfection physique mais "l'essentiel est invisible pour les yeux' ne l'oublions pas ...
    Merci pour ce texte, Nicole.

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Oeil

    anne-onyme

    • Merci beaucoup! Heureuse que mon texte vous ait parlé.

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Nicole portrait et%c3%a9 16 petit

      Nicole Bastin

  • Je ne me suis jamais maquillée, parfois un peu de rouge à lèvres mais cela est loin ! Les jeunes filles à la peau fraîche n'ont pas besoin de fards pour être jolies.

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Version 4

    nilo

  • Vous décrivez très bien les problèmes et réels dangers du maquillage, cette course sotte pour devancer le temps (vite, j'ai quinze ans, vite je veux sembler dix huit...). Et oui, les ravages des cosmétiques sur une peau jeune et fraîche. Les pubs de maquillage à la télé m'exaspèrent !

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

    • Je suis personnellement heureuse de ne plus avoir à les supporter ;) (je ne regarde plus la télé)

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Nicole portrait et%c3%a9 16 petit

      Nicole Bastin

Signaler ce texte