ELLE et LUI

valy-bleuette

LUI

Il l’a remarquée dès qu’il est entré dans ce café. Traits fins, taches de rousseur, longues tresses rousses et yeux noisettes. Un côté femme-enfant qui l'émoustille et l'attendrit en même temps.

Il s’est assis face à elle et la regarde fréquemment, se demandant comment s’y prendre pour engager la conversation.

Après avoir accroché ses yeux deux ou trois fois de suite, il se lance.

- Bel après-midi, n’est-ce pas?

Il n’a rien trouvé de mieux et se sent aussitôt piteux.

- Très agréable en effet.

Jolie voix. Douce et chantante. Elle lui plaît cette fille. Ne pas lâcher l'affaire.

- Je pourrais, par chance, connaître votre prénom...?

Décidément, aujourd’hui, gros manque d’imagination. Il craint de l'avoir perdue, sa chance, parce qu’elle esquisse un sourire moqueur.

- Honorine.

Il ouvre des yeux émerveillés.

- Vraiment? J’adore les prénoms anciens. Le vôtre est particulièrement original.

- Je ne vous le fais pas dire...

Cette réplique un peu acide le dépite. Elle se fout de lui ou non? Son compliment était pourtant sincère. Avoir une copine portant un tel prénom serait comme une déco chocolatée sur un gros gâteau à la crème.

- Pour ma part, c’est Antoine.

- Vraiment?

Il rougit sous son hâle. Visiblement, il ne plaît pas à la demoiselle et elle ne prend pas de gant pour le lui faire sentir. Elle a adopté une intonation volontairement guillerette qui trahit un désintérêt total pour la conversation, sans compter le regard vide qu'elle pose sur lui.

On appelle ça un beau râteau.

Antoine finit son café à la hâte, adresse un large sourire à Honorine pour ne pas perdre la face et quitte les lieux sans rien ajouter.

Vexé comme un pou, au point de ne pas avoir envie de lancer un au-revoir qui achèverait de le ridiculiser.

ELLE

Depuis qu’il s’est assis, elle ne peut s’empêcher de lui jeter des coups d'œils furtifs. Viril, le visage agréable, il est plutôt attirant, tout à fait son genre.

Elle regrette d’avoir tressé ses cheveux, ce qui lui donne un air de petite fille.

Quand il lui adresse la parole, elle se raidit. Elle n’a pas l’habitude d’être accostée par les hommes qui lui plaisent. Question de malchance.

- Bel après-midi, n’est-ce pas?

Il a les dents blanches et bien plantées. Elle cherche ce qu’elle va répondre pour ne pas sembler idiote.

- Très agréable en effet.

Elle manque de naturel quand elle est troublée.

- Je pourrais, par chance, connaître votre prénom?

Et voilà. Déjà le coup dur. Devoir décliner l'immonde prénom qui lui vient d'une tante aux talents extraordinaires qu'elle n'a même pas connue de son vivant. Prévenant la moquerie, elle esquisse un sourire pour lui faire comprendre qu’elle ne lui en voudra pas de cette réaction bien légitime.

- Honorine.

- Vraiment? J’adore les prénoms anciens. Le vôtre est particulièrement original.

Quel sourire désarmant! Elle est froissée qu’il soit tellement hypocrite. C'est la première fois qu'on se moque d'elle à ce point-là.

- N’est-ce pas?

Elle a été ironique à dessein. Il doit à tout prix comprendre qu’elle a capté sa manœuvre taquine.  

- Pour ma part, c’est Antoine.

- Vraiment?

Elle espère avoir mis assez d’enthousiasme dans son ton pour montrer qu’elle n'est pas contre un approfondissement du parcours de la découverte. Et elle lui jette une œillade engageante.

 

Alors, sur un sourire encore plus beau que les précédents, il se lève et la plante là. Sans même un au-revoir.

Elle soupire. Encore une fois, c’est raté.

Elle n’a pas su plaire à cet homme charmant. On peut même dire qu'elle l'a fait fuir!  Une vraie honte.

Quelle tarte.

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