EN ATTENDANT QUE L'ÉCLUSE SE REMPLISSE ...

Isabelle Revenu

Pour éviter le goût des larmes, je sucre mon coeur.

Je bats tambour, mon amour ...

Voilà dix bonnes minutes que j'ai ouvert les portes busquées d'acier chocolat. L'entretoise supérieure est malade mais elle tiendra encore longtemps. Il le faut.

La nappe glauque se déverse lentement dans le sas d'à-côté à bouillons tendres, presque silencieux. Des caresses feutrées et des ronds dans l'eau. Les vantaux sont lourds de conséquences et d'impatiences contenues.

Le soleil qui miroite tristement accroche des clins d'oeil par ci, des sourires timides par là. Des appels-sémaphore, des invitations en courtepointe au bief-amont, au bref amour. L'horizon est rouge.

Cuivre ...


Je suis éclusier. J'écluse autant le fleuve que le p'tit bordeaux au comptoir du Vincennes le dimanche après-midi. Seul au mur de garde, ma vie aussi. Gare à la chute. Chuuttt ...

Seul ainsi, adossé au duc d'albe, je ferme les yeux éblouis par le jour qui se lève enfin après une autre nuit hallucinée. Seul à m'allonger sur les feuilles mortes aux senteurs de tanin, de vieille cave abandonnée.

Seul à partir dans un demi-sommeil entrebâillé sur des espoirs azurés, à chanter dans ma tête des refrains d'humour et d'eau limpide.

Libre ...


Longtemps j'ai porté à faux, depuis peu je porte à flots. J'ouvre les vannes lourdes à fond pour ne pas déborder et je laisse filer le trop-plein sans témoin dans le grincement de la bourdonnière. Je remplis le radier d'à-côté juste assez pour être plein à craquer de quelque chose qui en vaille la chandelle. Y a des turbulences en veux-tu en voilà et le garde-corps est mangé d'humidité.

Le dimanche soir, quand j'ai fini de graisser les gonds des vantaux, vantard j'enlève mes habits d'éclusier puis je revêts mon costume de larron. Et lorsqu'au village le bar est ouvert, je salue la misérable compagnie d'un air entendu. Au comptoir, je fais l'amuseur en lui racontant l'illusion de mes voyages, images à l'appui et nous dérivons en tanguant un peu à force de charger la mule, nous tenant serrés l'un contre l'autre, les pieds campés pour ne pas tomber.

Ivres ...


Puis la fête terminée, quand le patron en a plein le dos de nos élucubrations et nous ferme la porte au nez, je reprends le chemin de ma vie sans étoiles. Les nuages se troublent et ma vue aussi. Il m'a semblé t'entrapercevoir là-bas, marchant vers moi sur le chemin de halage brumeux. C'est sans doute la chaleur qui monte des herbes des remblais. Mon corps a si chaud.

Pire ...


Tu sais, je plaquerai mon corps inerte dans la boue des marais et j'attendrai là, sans souffle aucun, déchiffrant un à un les sons de ta voix, les transposant à ma façon au profond de mes cavernes-gouffres.

Grises ...


Et si un jour, le ciel veuille que tu repasses par ce côté du versant, fais-moi signe. J'ouvrirai alors mon écluse en grand pour te ...

... suivre.



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