En corps à vivre

merielle

Note d’intention artistique

Cette pièce donne à voir la capacité d’adaptation des êtres à leur environnement, leur difficulté d’acceptation d’une contrainte de vie collective quotidienne, où l’identité doit s’imposer dans une micro société imposant ses codes, ses valeurs, sa culture. Des échanges et des situations prêtent à rire, d’autres touchent profondément, d’autres encore interrogent simplement.

« En corps à vivre » traite de la vie en institution médicalisée, de personnes relativement jeunes, atteintes de troubles neurologiques. Il ne s’agit pas de défendre la cause des personnes porteuses de handicap, ni d’un pamphlet contre les institutions de santé, mais bien de donner un espace visible à des personnes cachées aux yeux de tous. Ceci, alors même qu’elles vivent au cœur de la cité. Ce n’est qu’une réalité de la continuité de l’histoire de l’assistance publique qui met la maladie en retrait, comme un symptôme qui nie la vie. Sous prétexte de soigner on isole.

Dans ce cadre particulier du soin, se révèlent les antagonismes de l’interdépendance du contenu et du contenant.

Trois personnages clés, Lola, Jeanne et Pierre, évoluent dans cette comédie dramatique, ou pièce humaniste, le temps de situations de vie sur quelques jours. Leurs dialogues sont interrompus par de courtes histoires qu’ils racontent, comme une respiration, pour une place singulière donnée à leur imaginaire et au symbolique.

Note d’intention de mise en scène

La sobriété dans le jeu est nécessaire, tant pour incarner le handicap que lors des échanges qui induisent l’humour et le drame des situations. Le spectateur est témoin et à la fois voyeur, sans être pris à parti. Il reste libre d’interpréter le visible.

Lors des histoires racontées, le ton doit être celui du conte. Les comédiens deviennent conteurs emmenant avec eux le spectateur dans d’autres espaces.

Deux partis pris sont possibles : celui d’utiliser des chaises suspendues par des chaînes ou celui d’utiliser des fauteuils roulants. Dans le premier cas, les comédiens disposeront de bâtons les aidant à se déplacer, selon leur d’autonomie présentée dans les didascalies. La suspension sera organisée par des chaînes reliées à des rails. Cette configuration permet de représenter la séparation du sol qu’impose la posture en fauteuil roulant, mais aussi de préserver la différence de niveaux de regards entre les personnes valides et celles en fauteuils. C’est aussi un rendu de la difficulté des déplacements et de l’accessibilité à l’environnement. Par ailleurs les chaînes reliées aux rails rappellent le lien à l’institution.

Dans le second cas, les fauteuils roulants renvoient à la réalité quotidienne et sociale des personnages. Le fauteuil est comme une continuité du corps, sans en faciliter les déplacements. L’assise des comédiens peut créer une empathie du spectateur malgré lui, sans qu’il soit donné de mettre le handicap comme facteur primant sur le texte.

Dans les deux partis pris, des projections vidéos, ainsi que des voix off, seront utilisées tant pour les personnages secondaires, que pour les décors de différents lieux.

Les temps réservés aux histoires racontées par les comédiens, s’exécuteront debout, sous une projection lumineuse, laissant le reste de la scène dans le noir. Cette configuration peut rendre compte de la liberté possible dans l’imaginaire et de la perception de soi au-delà du visible.

Cette pièce est enregistrée à la SGDL et la SACD

En corps à vivre

En mémoire de :

 Dan, Aïcha, Claude, Christian, Philippe, Gilbert, Hubert, Stéphane, Marie-Hélène et Mama

1

 

 

Au matin dans la salle à manger, des patients en fauteuils roulants sont attablés. Deux patientes discutent  à la même table.

Mme S                        - Y’en a marre de ces biscottes et de ce pain rassis… Une petite viennoiserie ça nous changerait.

Mme P            - Vous n’allez pas commencer. Vous êtes toujours de mauvaise humeur. Vous   n’êtes pas obligée de manger du pain. Il fallait commander autre chose pour votre petit déjeuner.

Mme S                        - C’est ça ! Le choix se borne à biscottes ou pain, je vous rappelle. Il n’y a pas d’option pour un petit déjeuner continental. On n’est pas à l’hôtel !

Mme P            - Certes, mais parfois il y a des petites madeleines, des biscuits… Vous pouvez demander à l’officière de vous en mettre.

Mme S                        - Des madeleines ?... Mais tout cela a été supprimé depuis longtemps et en plus, c’était uniquement pour le goûter. Aujourd’hui l’officière se contente d’enlever ce qu’on n’aime pas.

Mme P            - C’est déjà bien. Mais vous grognez quand même systématiquement devant votre plateau.

Mme S            - Bien sûr puisqu’elle passe prendre les commandes quand je dors ! A croire qu’elle le fait exprès. Elle se fiche pas mal de savoir ce que j’aime ou pas.

Mme P                        - Vous êtes gonflée, ce serait de sa faute si vous dormez ? Désagréable comme vous l’êtes, si elle vous réveillait vous seriez la première à l’agresser. Alors ne vous plaigniez pas. En plus c’est votre choix de dormir.

Mme S                        - N’importe quoi ! Je suis aphasique. Je m’endors, je ne m’en rends même pas compte.

Mme P                        - Les grands mots, aphasique. Rien à voir avec le fait de dormir. Arrêtez de vous trouver des pathologies qui ne sont pas les vôtres.

Mme S                        - Ah, parce que vous pensez que je n’en ai pas assez à moi toute seule pour en parler. Savez vous seulement ce que c’est l’aphasie ?

Mme P            - Et vous ?

Une voix :        - Mesdames vous vous calmez. Mme S mangez, vous n’avez rien avalé et on débarrasse dans dix minutes.

Mme S                        - Elles n’ont que ça à faire et en plus il faudrait avaler cette merde avec un lance-pierre.

Mme P                        - Oh ne devenez pas grossière ! Voilà une heure que nous sommes à table. Il est neuf heures et demie tout de même.

Mme S            - Oui ? Et alors ? Vous avez quelque chose de prévu ?

M. D (en articulant exagérément)

                        - Vooouuus n’ n’ n’avvvez p p paaas t t tooord.

Mme S  regarde M.D avec un air de désapprobation et de dédain et s’empresse de manger.

Mme P                        - Certes les journées sont plutôt calmes, mais nous avons de la kiné ce matin. (A monsieur D)Lola oublie souvent ce rendez vous…elle est aphasique.

M. D               - Q q q qui n n ne l l l’eêêst p p paaas iichi.

Mme S                        - Oui, d’ailleurs désolée Pierre, mais si nous nous lançons dans une conversation avec vous, nous risquons d’être vraiment en retard. Vous avez fini Jeanne ? Je vais dans ma chambre histoire d’être débarbouillée et changée. On se rejoint pour l’événement de la matinée…

Mme P            - Vous exagérez vraiment… Excusez nous Pierre, vous connaissez Lola depuis le temps.

M. D               - Oouui, m m mais j j j je n n ne meuh m’ m’ m’y f f f faaais pas.

Mme S manipule son fauteuil  avec ses deux mains pour s’éloigner.

M. D               - V v v vooous p p pooouurrriez êêêtre à maaa p p plaaace

Mme S            - Ah oui, mais ce n’est pas le cas. (en regardant Mme P) Dieu merci ! (à M.D) D’ailleurs nous n’avons pas le même programme ce matin, je crois que pour vous c’est… l’orthophonie.

Mme S disparait

M.D                - Sssaaaaaloooppe !

Une voix :        - Monsieur D, vous n’avez pas honte. A qui parlez-vous ?... Mme P, si vous avez fini je vous débarrasse. C’est bien, vous avez bien mangé ce matin.

Mme P            - Oui, merci.

M.D                - Cooommeeent p p pooouvveeeez v v voooouuus remèèèèrcier ? A c c crooooire q q queuh v v voooouuus êêêtes uuuune g g gaaaammmiiiine

Mme P            - Je vous avoue que j’aimerais que ce soit encore le cas.

M.D                - Vvvouus êêêtes encoore fraîîchche Jeaaanne. Mmais ssuurtout uune dââme ccomme vvous mééérrite lee resspect.

Mme P                        -Vous savez bien que ces soignants font ce qu’ils peuvent. Certains sont plus doués que d’autres pour les rapports humains. Je dois vous laisser, il me faut aussi me préparer.

M. D               - Vooooous aaaaaavez de la ch ch chaannnce. Moi, je vaaaais aaaaattendre.

Mme P            - Si vous trouvez que c’est une chance… essayez de ne pas trop vous ennuyer, à tout à l’heure Pierre.

Mme P quitte la table en manipulant son fauteuil à l’aide d’une jambe et d’un bras valides.

Mme S et Mme P sont assises dans leurs fauteuils roulants, l’une à côté de l’autre en salle de rééducation, kinésithérapie.

On entend la voix d’une patiente en séance :

-         Au secours !.... Au secours !

Cet appel revient régulièrement. Mme S et Mme P regardent autour d’elles, leurs regards se croisent.

Mme S            - Elle est pénible ! Je ne sais pas comment ils font pour supporter ça.

Mme P                        - Ils savent qu’elle ne le fait pas exprès. Elle est angoissée. J’ai entendu une soignante dire qu’elle faisait de la stéréotypie verbale quand elle l’était.

Mme S                        - Ils ont toujours des noms pour tout. Stéréotypie verbale, ça ne veut rien dire. Et puis angoissée… angoissée de quoi ? C’est un privilège d’avoir des séances de kiné dans nos cas… (A la femme) Mais on ne vous fait rien ! Taisez-vous à la fin !

Mme P                        - Vous êtes un peu dure ; Cette femme a besoin de repères, elle ne se rend pas vraiment compte…

Mme S                        - Mais quels repères ? Depuis le temps, elle ne le connaît pas le kiné ? Elle ne sait pas qu’elle est à l’hôpital peut-être ? 

Mme P                        - C’est pas ça ! Elle aime rester dans sa chambre. Son lit. Ses repères se trouvent là !

Mme S                        - Bein oui ! C’est comme ça qu’on devient comme elle. Moins vous sortez plus c’est effrayant. Et votre monde se réduit à 8m² avec une porte ouverte sur la télé.

Mme P            - Soyez tolérante, cette femme est plus atteinte que nous. Elle n’a pas toute sa tête.

Mme S            - Qu’est-ce que vous en savez ? Depuis ce matin on croirait que vous êtes médecin. Vous avez passé votre diplôme cette nuit ?

Mme P            - Oh, je vous en prie. Au bout de toutes ces années…

Mme S                        - Ah mais c’est peut être parce que vous vous tapez ce petit jeune là, c’est ça ? Comment c’est déjà ?... Docteur Fi.. Fui…

Mme P            - Je n’aime pas quand vous êtes comme ça.

Mme S            - Comment ? Tout le monde sait que vous avez envie de vous faire le Docteur Fuigam.

Mme P            - Lola ! Ça suffit ! C’est à vous qu’il plaît ce nouveau médecin ! Je vous rappelle que moi je suis mariée !

Mme S            - Ah oui, avec ce type qui passe une fois par mois sans dire bonjour.

Mme P            - C’est faux. Il salut tout le monde… et s’il n’est pas là plus souvent, c’est à cause de son travail. Il est très occupé.    

La patiente soudain : - Au secours, il me tripote la jambe ! Il me tripote la jambe !

Mme P            - C’est son métier ! Arrêtez d’hurler !

Mme S            - Ah vous voyez que c’est agaçant. C’est une maison de fous ici.

Mme P                        - Parfois quand je vous écoute délirer comme vous le faîtes, je le crois aussi. J’ai beau me dire que c’est votre maladie qui veut ça !...

Mme S                        - Vous n’êtes pas mieux ! Avec vos couches absorbantes, vous voulez faire croire à qui que vous couchez encore !?

Mme P            - Je ne porte plus de couches… enfin, de protections. Je demande, contrairement à vous ! Et puis, je ne couche avec personne.

Mme S            - Là je vous crois ! Votre mari, il y a longtemps qu’il s’en tape une autre et avec le kamasoutra sous le nez qui plus est ! Pas de handicap pour lever le cul en levrette.

Mme P            - Vous êtes odieuse. D’ailleurs vous n’avez même plus de visites.

Mme S                        - Oui c’est vrai. Parce que je les ai libérées de leurs obligations. La pitié des proches ça me dégoûte.

La voix du kinésithérapeute :

- Allons Mme Loyaux, un petit effort… Comment c’est votre petit nom ?

La patiente :

- Qu’est-ce que ça peut vous foutre ! Au secours !.... Au secours !

Le kinésithérapeute :

- C’est pas très gentil ça Mme Loyaux, pas très poli même…

La patiente :

- Mais comment il fait…. Comment il fait pour être aussi con ! Au secours !.... Au secours ! Quel con ! … Au secours ! … Au secours !

Mme S                        - Vous avez raison. Je suis désolée. Je n’en peux plus d’être ici, de la maladie. J’aimerais être quelqu’un d’autre… enfin d’ailleurs je suis devenue quelqu’un d’autre.  

Mme P                        - Ne vous inquiétez pas, je vous pardonne. Je sais que vous n’y pouvez rien. Moi aussi, j’ai la sensation d’être quelqu’un d’autre. Parfois je crois même n’être plus personne. Mais on se fait à ce corps cassé.

Mme S            - Parlez pour vous ; Le mien n’est qu’au début de sa transformation. Vous au moins ça ne bouge plus. On ne se fait pas au corps handicapé ! A la tête qui déraille ! En plus bientôt je ne pourrai même plus pousser mon fauteuil toute seule, ce qui sera toujours votre cas.

Mme P            - Lola, nous n’allons pas entrer en compétition.  Nous ne sommes plus vraiment les femmes que nous étions, d’accord, mais le handicape n’est pas la fin de la vie.

Mme S            - C’est des paroles en l’air. On n’est plus rien !

Mme P            - Vous êtes excessive. On prend soin de nous. C’est une nouvelle vie, une nouvelle identité.

Mme S            - Nouvelle identité… n’importe quoi ! Vous êtes quoi ici ? L’hémiplégique ?… La moitié de bonne femme sortie du coma ? L’AVC de la chambre 25 ? Même votre mari a oublié que vous êtes sa femme. Vous trouvez que c’est une vie d’avoir besoin d’aide en permanence ?

Mme P                        - Vous n’allez pas recommencer. Laissez-moi vous raconter une histoire. Imaginez…

 

 

Tchoko et les grenouilles

Tchoko est un homme né avec une tête de chien. Dans son village on lui répète :

-         Pour ta sacrée tête de chien, il te faut consulter la Fée des Grenouilles. Elle vit près de la grande mare.

Tchoko s’en va donc à la rencontre de la fée. Sur le chemin voilà qu’un papillon se pose sur sa tête.

Tchoko se dit :

-         Maintenant à la place de mes oreilles de chien j’ai au moins des ailes de papillon. Je rentre au village. Je veux que tout le monde me voit comme ça.

Au village chacun s’étonne de cette merveille : une tête de chien avec des oreilles en forme d’ailes de papillon.

Et les villageois disent à Tchoko  :

- Retourne sur le chemin. Va jusqu’à la mare, changer le reste. 

Tchoko repart. En chemin il croise un écureuil qui se pose sur son museau et lui fait un menton et une bouche avec une moustache d’homme sur sa tête de chien.

Il poursuit sa route. C’est l’été. Tchoko cherche à se rafraîchir. Il renifle la piste de l’eau mais n’entend plus comme un chien avec ses oreilles en forme d’ailes de papillon. Il s’approche enfin de la mare où chantent les grenouilles.

Il lape tout heureux quand soudain il s’arrête : il voit son reflet. Il a une tête d’homme, avec des oreilles en formes d’ailes de papillon. Il est si étonné qu’il ouvre grand la bouche. Une grenouille saute alors d’un bond entre ses dents et reste dans sa gorge. Tchoko s’étrangle….

La grenouille lui parle :

-         Croa… Tchoko, si je ne ressors pas, tous les hommes auront des oreilles en forme d’ailes de papillon.

Tchoko tousse et la grenouille ressurgit.

-         Croa… Tchoko, je te dois la vie. Tu as droit à un vœu car je suis la Fée des Grenouilles.

Tchoko dit :

-         Je veux retrouver ma tête de chien

Un papillon s’envole et Tchoko sent ses oreilles se couvrir de poils. Un écureuil saute vers un arbre et le museau de tchoko redevient long. D’un coup il est projeté à quatre pattes, son corps se couvre de poils et des griffes sortent des extrémités de ses membres. Tchoko sautille de joie dans la mare, il est devenu un chien retrouvé sa liberté.

Mme S            - Encore un pauvre type obligé d’être ce qu’il n’est pas pour plaire aux autres.

Mme P                        - Mais si justement, il devient ce qu’il veut. Il accepte sa nouvelle identité et se l’approprie.

Mme S            - Ah oui, un chien. Je vois mieux de quoi vous voulez parler. C’est bien la sensation que j’ai parfois… tous parqués comme des animaux. D’ailleurs c’est bien les chiens qui dépendent de leurs maîtres pour faire leur petit caca.

Le kinésithérapeute : - Mme P c’est à vous. Un peu de verticalisation et après les barres parallèles.

Mme P            - Ah, ça va me faire du bien. Heureusement parce que vous êtes déprimante Lola.

Mme P part en direction des tables de rééducation avec le kinésithérapeute.

Mme S            - Déprimante… et elle avec son Tchoko, ses grenouilles… à parler d’une nature dont on ne connaît plus les odeurs parce qu’on ne l’a pas vue depuis des lustres. Les saisons on les voit par la fenêtre, mâdâme. Pas moyen de s’accrocher à un arbre, de cueillir des fleurs. Pour sortir, il faut que quelqu’un veuille bien pousser ce foutu fauteuil. Et regardez la… elle se croit debout accrochée à sa table. Si tu crois que tu vas remarcher comme avant… T’auras même pas un déambulateur ma pauvre. Essaye donc de chalouper dans ton fauteuil...

Le kinésithérapeute : - Mme S, vous venez, on va faire quelques exercices avec la balle.

Mme S            - C’est ça, appelez moi Tchoko. J’adore jouer à la baballe…

Le kinésithérapeute : - Qu’est-ce qu’il y a Mme S ? La balle... Oui la balle c’est un très bon exercice pour encourager la tonicité.

Les deux femmes se regardent en chien de faïence en adressant des sourires crispés aux kinésithérapeutes. Elles souffrent, mais quand leurs regards se croisent, elles feignent la facilité.

Mme S et Mme P sont raccompagnées dans la salle à manger en attendant le repas. La radio diffuse de la musique en fond sonore.

Mme S            - Je voudrais manger dans ma chambre. J’ai pas envie de voir tous ces demeurés aujourd’hui.

Mme P            - Vous êtes encore de mauvaise humeur ? C’est tout de même plus sympathique de manger tous ensemble.

Mme S            - C’est pas un repas de famille. J’ai le droit de manger dans ma chambre si je veux. Ma chambre, c’est chez moi.

Mme P            - Là vous n’avez pas tord. Mais n’oubliez pas que nous sommes privilégiées en étant en chambre seule. Certains sont obligés de partager leur intimité.

M. D               - Oooui. Moooi pppâââr exeeemple. C c c ce n n n’eest paaas toujjjooours fffaaaciiiile.

Mme S            -Surtout pour votre voisin. (à Mme P) Je paye assez cher pour être seule il me semble.

Mme P            - Vous avez cette chance d’avoir une bonne mutuelle et un peu d’argent.

Mme S            - Mais j’ai travaillé pour l’avoir… D’ailleurs si j’avais su qu’il me servirait à ça, je ne sais pas si je me serais autant privée… Bon où est l’aide soignante ?... S’il vous plaît ?... Il y a quelqu’un ?

Mme P            - Allez voir dans le poste de soins.

Mme S            - Il n’y a jamais personne dans ce service.

( Mme S fait rouler son fauteuil vers le poste de soins)

M. D               - C’eeest ccce qqqque diiiit mmmaaaa fffiiiille.

Mme P            - Ah oui, c’est vrai vous avez une fille. Elle ne vient pas souvent il me semble.

M. D               - Elle haaabiiite looooin.

Mme P            - Comme c’est dommage. Ce ne doit pas être facile pour elle. Je suis sûre qu’elle aimerait vous voir plus souvent.

M.D                - Jjje nnnne crooois paaas. Vvvvoooous sssavez elle nnnn’aime paaas mmmme vvvooir ccccooomme ça.

Mme P            - Je vois ce que vous voulez dire. Mon mari vient souvent, mais il me regarde à peine. Je crois que ça le gène... Et votre femme, elle ne vient pas ?

M. D               - Elle eeest moooorte.

Mme P            - Ah oui, c’est vrai, vous me l’aviez dit. Au moins elle ne vous voit pas comme ça.

M. D               - Oooh, elle mmm’a vvvu. Nnnous aaavons eu lll’acciiident enssssemble, mmmaais eellle nn’aaa rrrieen eeu.

Mme P            - Ah bon ? Elle n’est pas morte dans l’accident ?

M.D                - Noonn, eellle ss’esst éttouffféée aaavveec uuunn ooosss deee ppoouuleet.

Mme P            - Quelle tristesse…D’où la nécessité de toujours bien mâcher les aliments. Vous êtes au régime mixé il me semble ?

M.D                            - Oooh vvvoouus ssaaavvez jjj’aai pppeerrddu tttoouuttes mmes ddennts ddeeppuuis qqquuee jjjjee sssuuiis iiicchhi. Cccela fffait tttellement loooongtemps qqque jjje sssuis ichi.

Mme P            - Oui… Vous étiez là avant que j’arrive il me semble ?

M.D                - Iiilll y aaaa vvviingt aaans qqqque jjjje suuuiiis lààà.

Mme P            - Vingt ans ! Vous êtes sûr ?

M.D                -Mmmmaaa fffille aaavait ccinq aaans qqquaand jjjj’ai ééétéé hooosppitaaaliiiséé. Eeelllle eeen aaa vvvingt-ciiinq.

Mme S revient avec humeur

Mme P            - Comme le temps passe vite… Vous me direz, il y a bien sept ans que je suis ici. Lola est arrivée peu après moi…

 

Mme S s’installe agacée

Mme P            - On a beau attendre une place en maison d’accueil, elles ne se libèrent pas si facilement.

M.D                - Jjjj’aaai fffaaait dddeeeeux tttennntttaaatiiives mmmaaais çççaaaa nnne meee cccooonvenaaait ppas.

Mme S            - Ou vous ne conveniez pas ! Il faut aussi que vous ayez le profil je vous rappelle. De toutes les façons ici ou là-bas qu’est-ce que ça change ?

Mme P            - Mais tout. Ce n’est pas le même rythme. Il y a plus de personnel, d’activités… vous êtes loin du cadre de l’hôpital. C’est comme un vrai chez vous.

Mme S            - C’est un mythe ma pauvre ! L’appartement thérapeutique, là je veux bien ! Là vous êtes chez vous !

Mme P            - Mais il faut être un minimum autonome et ne pas avoir besoin de soins médicaux particuliers… en plus il vaut mieux avoir sa famille.

M.D                - Làààà ccc’eeest vooouuus quiiii n’aaaaveeez paaaas leeeee ppprooofiiil, Looolaaaa !

Mme P            - Vous vous rendez compte Lola, Pierre me rappelait qu’il est là depuis vingt ans.

Mme S            - Vingt ans de progrès !...  Parlons d’autre chose, l’idée de sortir d’ici les pieds devants me déprime !

M.D                -Vvvvooous aaaveez ttrrooouuvé quuueelquu’un pppooour vvvooottre rrrepppas een éééggooiisstte?

Mme P            - Ah oui… Qui avez-vous vu au poste de soins ?

Mme S            - La seule personne que je croise dans ce service, c’est votre amant, qui cela dit avait l’air complètement perdu !

Mme P            - Je n’ai pas d’amant !

Mme S            - En attendant on se demande s’il n’a pas eu son diplôme dans une pochette surprise. Cet air ahuri qu’il affiche par moments. On croirait un malade. En plus il ne parle que de plantes… Quand il fait ses visites on a toujours droit à un paragraphe botanique comme s’il visitait une serre.

Mme P            - Parce que nous sommes aussi de belles plantes.

M. D               - Vvvvooous en ppparticuuulier

Mme S            - (à M. D) Même en parlant en 78 tours, vous n’avez aucune chance face au docteur Fougi truc. (à Mme P) Savez vous, ma bonne Jeanne, que même en vous arrosant de sperme il ne vous fera pas sortir d’ici. 

Mme P            - Arrêtez avec ces horreurs ! Le docteur Fouginam est un excellent neurologue. Jeune, mais excellent !

Mme S            - Oui, c’est ça, Foufoune miam miam ! Jeune et bien vert ! Tiens tout ça me rappelle une petite histoire…

Le docteur Vert

L’hôpital du trou est un lieu immense entouré d’arbres remarquables, tous plus grands les uns que les autres. Le docteur vert est perdu dans l’hôpital du Trou.

Il demande son chemin aux arbres du jardin de l’hôpital du Trou.

« Ton chemin ? » rient les arbres.«  Mais c’est toi le docteur Vert ! C’est toi qui connais le chemin ! La feuille de cet arbre là, ne guérit-elle pas telle maladie ? Et celle là ne guérit-elle pas telle autre maladie ? Réponds ! Peux-tu seulement nous le dire dans la langue des arbres toi qui te fait appeler docteur Vert ? »

Le docteur Vert se tait. Le silence règne. Ses yeux s’emplissent de larmes.

Va-t-il pleurer ?

« Allez docteur Vert ! Laisse toi aller ! Oublie ton titre et pleure comme nous ne le faisons plus, arbres de la connaissance que nous sommes! »

Mme P            - C’est vrai que nous ne pleurons plus. Enfin, la douleur, nous fais pleurer. Mais il y a bien longtemps que je n’ai pas pleuré comme je pouvais le faire pour des broutilles avant d’être ici. Seule la tristesse peut m’envahir, mais je ne fonds pas en larmes.

M.D                - Nnnoous ssaaavvoonns tteeellleemmmennt ààà qquuuoii nnoous een teenniirr.

Mme S            - Oh, quand votre mari s’en va, je vous ai déjà vu pleurer comme une gamine.

Mme P            - Parce qu’il me manque !

Mme S            - On se fout de savoir pourquoi vous pleurez Jeanne. On a le droit de pleurer ! Regardez autour de vous !... Regardez Pierre !

M.D                -Jjjjussstement jjj’ai uuunne hiiistoooire qqqui vooous cooooncerne Loooola.

Mme S            - Oh pitié ! Le repas aura le temps d’être servi et débarrassé avant que vous ayez fini de la raconter.

Mme P            - Mais laissez le parler Lola. Il n’y en a que pour vous !

Mme S            - Ce n’est malheureusement pas le cas, ici je dois tout partager, attendre mon tour pour tout !(à m.D) Allez parlez. 

M. D               - Mmmeerci. Aaalooors vvvooilà….

Celle qui habite la terre

Il y avait une femme qui vivait au cœur d’un village très calme. Elle passait son temps à crier, insulter et cracher sur toute personne qui se présentait devant elle. Aucun échange n’était possible avec cette femme. Mais parfois elle se calmait. Et quand c’était le cas, elle mentait. Elle parlait alors beaucoup, mais accumulait les mensonges. C’était une femme qui effrayait tout le village telle qu’elle était.

Un jour, la plus vieille femme du village vint la trouver :

« Pourquoi insulter et cracher sur nous qui ne te voulons pas de mal? demanda la vieille.

Cela ne pourra pas durer. Une nuit, ta colère te fera fondre et tu disparaîtras ! Tu t’évanouiras sous la terre et tu ne reviendras plus »

« Je ne reviendrai plus… » soupira la femme effrayante.

Peu de temps après la femme disparu. Et chaque nuit la terre tremble sous le village, mais pour chaque habitant, c’est un moment où il se laisse bercer dans son lit pour mieux se rendormir.  

Mme P somnole tête baissée. Mme S a un regard vague.

M. D               - Sssi lle peeeerssssonnel sssavait cccccomme vooous êeêêtes oooodddieuse, iiil voous metttrr.. 

Mme S            - Je crois qu’il faut impérativement que je mange dans ma chambre ! S’il vous plaît ?

Mme S repart chercher un soignant pour sa demande. Mme P sursaute, essuie de la bave au coin de sa bouche.

Mme P            - Hum.. Charmante cette histoire Pierre… La terre pour Lola ce serait une place dans un centre adapté à la mauvaise humeur. Hi ! Hi ! Hi !... Vous allez essayer une autre maison spécialisée ? Ou une famille d’accueil peut-être ?

M. D               - Nnnnoonn. Jjjjeee nnne vveeeuux ppplluuus et ppuuiis mmmoon cccorrpps ssse dddééégrraaadde.

Mme P            - C’est dommage.

M.D                - Nooon. Jjjje cccrroooois qqque jjj’ai pppris mmmes haaaabiiituuudes ichi.  

2

L’après-midi dans la salle d’animation. Les patients sont rassemblés autour de tables 

Mme P            - Vous avez bien fait de venir cet après-midi, parait-il qu’il y a de magnifiques lots à gagner.

Mme S            - Vous savez bien que ce jeu stupide n’intéresse que vous… Tu parles de lots magnifiques ! Toujours les mêmes gadgets !

Mme P            - Oh Lola… quand allez vous comprendre que ce n’est pas en étant désagréable que les choses iront mieux.

M.D                 - Oooouui. Eeest-ceee quuee, jeeee meee pplaiiins ?

Mme S            - Non, mais vous devriez. On n’a pas idée de devoir autant articuler pour dire si peu de choses.

Une voix : - Bien, tout le monde est prêt ? On commence ?

Tout le monde enthousiaste (ceux qui peuvent) : - Oui !

Mme S            - Ecoutez les !

Mme P            - Mais oui, Lola. Ce loto fait plaisir à tout le monde. Personnellement c’est une activité que j’adore… Allez arrêtez de bougonner, ne pensez à rien, écoutons les numéros.

Mme S            - Non, mais vous vous entendez ? Ecoutons les numéros ! Mais je préfère écouter de la musique…

M.D                - Aaaloooors, pooourquoi voooouus veeenez iiiichi ? Aaaallez aux    aaaannnimaaaaations duuu maaardi.

Mme P            - Pierre a raison ! Vous pouvez chanter le mardi, même si vous n’arrêtez pas de vous plaindre aussi à cet atelier.

La voix, énonce des numéros régulièrement.

M.D                - J j jeeee l l l’aaaai !

Mme P            - Moi aussi !

Mme S            - Mais je fais ce que je veux. Justement, il y a un choix d’ateliers donc j’y vais si j’en ai envie !

Mme P            - On ne dit pas le contraire, mais allez là où ça vous fait plaisir au moins.

La voix :           - Alors Lola, on ne suit pas ? Vous l’avez le numéro 9 ! Faut regarder votre carton ! Là vous voyez ?

Mme S            - humm !

M.D                - En pluuuus vvvouuus aaallllez peeerdrrrre.

Mme  S           - Je fais ce que je veux ! Si j’ai envie de perdre je perds !

Mme P            - Quel Intérêt ? Vous devez bien être la seule à jouer pour perdre !     …En même temps, venant de vous qui chantez faux exprès à l’atelier chant, rien d’étonnant.

M.D                - J j jeee l l l’ai.

Mme P            - Oh, moi aussi !

Mme S            - Oui et j’adore ça ! Parce que toutes les semaines c’est pareil ! Je suis obligée de chanter faux pour couvrir toutes ces voix de crécelles ! Les mêmes grincements toutes les semaines !

Mme P            - Tout le monde a le droit de s’exprimer. L’animatrice elle-même l’a dit, pas besoin d’être un chanteur confirmé pour venir chanter !

La voix :           - Mais Lola c’est pas possible, vous ne regardez pas vos numéros ! Le 64 ! Vous l’avez le 64 ! Regardez, là !... On continue.

La voix, énonce des numéros régulièrement.

Mme S            - Elle m’emmerde avec ses numéros… Mais justement Jeanne, tout est fait pour que nous ne soyons même pas d’un niveau amateur. Regardez ce que vous faites en peinture depuis des années… Des tâches.   

Mme P            -Vous critiquez tout et tout le monde, et pourtant vous m’excuserez, mais vous êtes loin d’être douée ! Ce que vous faîtes ne vaut pas Klein.

M. D               - Jjjjeee ll l’aai !

Mme P            - Oohh moi aussi !

Mme S            - Ah madâme a des références. Parce que madâme se compare à Klein peut-être?...

Mme P            - Non, mais j’ai l’audace de travailler mes couleurs.

Mme S            - Pfff ! Tellement affreuses que vous n’osez même pas coller vos œuvres dans votre chambre. Je vous rappelle que le seul tableau accroché,  c’est un poster de boîte de chocolats qu’une aide soignante à trouvez bon de vous donner. Moi je peignais avant d’être ici mâdâme !

Mme P            - Oui on sait ! On a bien compris aussi que vous ne peigniez plus comme avant et que vous êtes aigrie... Et puis, le poster c’est justement parce que je lui ai offert une de mes œuvres que Catherine, l’aide soignante, m’a fait ce cadeau !  

Mme S            - Un bel échange de vieilles croûtes entre connaisseuses, hein madâme !

M.D                - (criant de joie) Jjjje llll’aai !

Mme P            - Oui, moi aussi Pierre et je ne crie pas pour autant !...(à Mme S) Arrêtez avec ce madâme, ça me stresse. En tous cas, ces ateliers nous ont permis d’être exposés. Vous n’aviez pas beaucoup l’occasion d’exposer avant ça. Au moins ça vous change.

Mme S            - Oh oui, merci l’hôpital !... Vous croyiez qu’on nous prend pour des artistes, juste pour une histoire d’expositions madâme ?

Mme P            - Nous sommes des amateurs, oui !

M.D                - Mmmmaaa fffiiillle vvvvviennnt vvvvoooirr tttoutes llles exp…

Mme S            - Loto !

La voix :           - Mais c’est impossible Lola ! Laissez voir … Oh, mais non, il vous manque des numéros voyons…. Allez on reprend ! Lola nous fait des blagues !

M.D                - Eéééééééet en pluuuuuus elle se croiââââât drôôôle.

Mme P            - Vous allez nous déconcentrer ! Quel était le dernier numéro ? Quelqu’un a le dernier numéro ?

La voix répète le numéro

Mme S            - Je profite de ma liberté ! Je suis l’artiste amateur du loto éternel du mercredi !          

Mme P            - Mais je ne vois pas ce numéro ? Vous êtes sûr que c’est le dernier numéro ?.. Quel est le dernier numéro ?

La voix répète le numéro

Mme P            - Mais c’est pas possible ! Où est ce dernier numéro ? Vous voyez on me l’a pris ! Je l’avais !

Mme S            - C’est pas grave Jeanne. C’est moi qui vais gagner de toutes façons !

Mme P            - Non. Non et non. Vous ne gagnerez rien. J’avais ce numéro ! Vous trichez !... Il n’est plus sur mon carton ! On m’a changé mon carton !

Mme S            - Ah, c’est l’atelier magie ? On s’est trompé de jour vous croyez ?

Mme P            - Rendez moi mon carton !

La voix :           - Calmez-vous Jeanne… Qu’est-ce qui se passe ?... C’est votre carton… Tiens d’ailleurs vous avez le même que Pierre.

M. D               - Aaahh, jjjee mmmee ddiiisaiiis bbbiiieeen, ccchhhaqqque fffois qqquue jjjj’aaaavvaaaiiis uuun nnnuummééérrooo, eeelllle llll’aaaavvaait aaauusssi.

La voix :           - Ce n’est pas grave. Vous serez tous les deux gagnants en même temps !

Mme S            - Mais ce n’est pas normal ! C’est moins de chance pour les autres ! Qu’est-ce que c’est que cette organisation de merde ?!

Un brouhaha s’élève.

Mme S            - On s’efforce de jouer en respectant les règles et ils ne savent même pas organiser correctement un loto. Et vous Jeanne vous vouliez tricher en prenant le même carton que Pierre. C’est ça ?

Mme P            - Vous mentez ! Vous voulez me faire perdre ! Je n’ai pas le même carton !

La voix :           - Allons, on se calme… tout va bien. C’est une petite erreur. Nous pouvons ajouter un lot…

Mme S            - Mais n’importe quoi, si vous mettez trop de lots, à quoi ça sert de jouer puisque tout le monde gagne ?

M.D                - Aaah, oooouuui, iiill nnne faaaut pppaaaas qquuue tttooout llle mmmooonnde ggggagne, ççççaaaa nnnn’aaa ppplluuus ddd’intééérêêêt !

Mme S            - Ah, c’est bien ce que je dis depuis le début ! Aucun intérêt le loto !

La voix :           - Il n’y a pas trop de lots, vous êtes trente et il n’y en a que huit. Nous en ajoutons un, ce n’est pas la fin du jeu !

Mme P            - Menteur ! Vous avez tout gâché !... Vous êtes tous des tricheurs ! Tout cela pour que je perde ! Je me plaindrai

Mme S            - Oui Jeanne, plaigniez vous ! Faîtes un courrier à la Direction contre ces incompétents.

Mme P            - Oui, je demanderai un loto où l’on surveille les cartons ! Je le dirai que vous vous amusez à voler les cartons ! Nous avons des droits ! Je connais la charte des droits du patient ! Elle est affichée dans ma chambre !

La voix :           - Ne mélangeons pas tout… Bien, est-ce que l’on peut reprendre le jeu. Nous avons ajouté un livre. Tout le monde est prêt ?

Tout le monde enthousiaste : - Oui !

La voix énonce les numéros

Mme S            - Et voilà c’est reparti… Bravo Jeanne, vous avez raison. Nous avons des droits… Ils tentent de nous ramollir le cerveau avec leurs jeux, mais vous êtes là !

Mme P            - Oui ! Et je reprendrai mon carton, je vous le dis. Je ne me laisserai pas faire. Je gagnerai.

M.D                - Jjje lll’ai !

Mme P            - (très énervée) Vous n’avez rien ! Vous mentez ! Vous ne gagnerez rien !

M.D                - Jjjjeeanne. Vvooyyyoon, nnnnooous gggaaaagnooons tttooous lllees dddeuuux…

Mme P            - J’ai déjà écrit au Directeur vous savez.

Mme S            - Ah oui, c’était pour quoi ?

Mme P            - Mais pour mon carton. Pour quoi voulez vous que ce soit ? Il m’a assuré qu’une procédure était en place pour me le rendre !

Mme S            - Et en plus ce jeu rend complètement débile… Connaissez-vous le peuple du Saint Hôpital ?

Mme P            - Non. N’essayez pas de m’embrouiller !

Mme S            - Oh, je vous en prie, je ne me permettrais pas. Vous êtes si lucide, comparez à nous tous !

M.D                - Vooouus exaaaagéééérez. Ccc’eest uuunne ppeetiiite crrrriiise.

Mme S            - Oui, rien de bien méchant. Ecoutez bien Jeanne…..

Le peuple du saint hôpital

Un jour le peuple du Saint Hôpital déclara qu’il ne gagnait pas assez…

Gagner assez de quoi ? demandèrent les ombres de chacun.

Nous sommes sages, oui ou non ?

Sages n’est pas le mot, répondirent les ombres

Alors nous sommes tranquilles, oui ou non ?

Tranquilles n’est pas le mot, répondirent les ombres

Alors nous prenons ce que l’on nous donne, oui ou non ?

Oui, répondirent les ombres, et on ne vous donne qu’à la mesure de ce qu’on attend de vous.

Mme P            - Oui et bien moi justement je respecte le règlement, le personnel et je veux qu’on me respecte ! Qu’on me donne mon vrai carton ! Je ne joue plus ! Rendez-moi mes numéros ! Rendez-moi mon carton ! Rendez-moi mes numéros ! Tricheurs ! Je veux un nouveau carton ! Je ne peux plus jouer. Je ne sais plus…Je ne sais plus…

Mme S            - Si vous avez oublié les règles du Loto ma pauvre Jeanne, c’est pas un nouveau carton qu’il vous faut, mais un nouveau cerveau … Ce qu’il nous faudrait à tous d’ailleurs. 

Mme P            - Je n’ai rien oublié. J’ai simplement perdu ce numéro. Enfin, on me l’a volé. Avec le carton. C’est clair ?... (sanglotant) Je vous en supplie, rendez-moi le numéro..

La voix :           - Allons Jeanne tout va bien. Calmez-vous. Respirez. On va vérifier ensemble sur votre carton….   Je répète pour tout le monde. C’est le moment de voir si vous n’avez rien oublié. (énonciation de numéros…)

Mme P            - Oh mon Dieu ! J’ai fait attention pourtant. On me l’a volé. Je l’avais… C’est comme ce bracelet… on me l’a volé. Je l’avais en arrivant vous savez.

Mme S            - Faut arrêter le loto Jeanne, ça ne vous va vraiment pas.

Mme P            - Parce que vous croyiez qu’il n’y a pas de vol ici ? Et cette femme qui porte mes vêtements, c’est pas du vol peut-être ?

Mme P désigne une femme en fauteuil confort, fortement handicapée

Mme S            - Ah non, c’est pas du vol… Elle c’est un légume et on l’habille. C’est le résultat de l’organisation du linge en filets. On ne sait plus quoi est à qui et on s’en fout quand c’est quelqu’un qui ne peut rien dire. 

Mme P            - Mes vêtements sont marqués. Il y a mon nom sur chaque tissu. Et je sais ce qui est à moi.

Mme S            - Cette femme n’a pas de famille Jeanne… Elle est arrivée en chemise d’hôpital. Vous savez celle qui vous habille en vous aérant les fesses. Vous pouvez bien lui prêter vos bouts de tissus griffés.  

Mme P            - Si c’était vos vêtements, avec votre grande gueule, vous auriez crié au vol.

Mme S            - Ah, vous retrouvez vos esprits… tant mieux.

Mme P            - Oh, mon dieu… Je vous prie de m’excuser Lola.

La voix :           - Attention certains ont presque rempli leurs cartons …. (Enumération…. Long silence

M.D                - L l loootooooo ! …. Looootoooo !

Mme S            - Le temps qu’il le dise…y ‘ aura plus de lots à gagner !

La voix :           - Bravo Pierre. On l’applaudit… Alors voyons les lots….

Mme P            - Mais moi aussi ! J’ai loto ! LOTO ! LOTO !

La voix :           - Ah oui, c’est vrai ! Faisons un tirage au sort pour voir qui choisi un lot en premier.

M.D                - Nnnnooon, jjje lllaissse llla pppllaaaace ààà Jjjjeaaaanne

La voix :           - C’est très gentil Pierre, très galant. Jeanne c’est à vous de choisir.

Mme P            - J’hésite…

Mme S            - Vous ne devriez pas, avec toutes ces merdes…

Mme P            - Oh Lola ! Je n’en peux plus... Vous m’avez stressée aujourd’hui. Je ne me sens pas bien. Je crois d’ailleurs que j’ai dû faire un léger malaise. Je suis épuisée.

Mme S            - Oui, une petite poussée, qu’ils appellent ça. Vous devriez revoir le diagnostic avec Fouginam

Mme P            - S’il vous plait, je veux changer de place ! S’il vous plait ?

La voix :           - Mais qu’est-ce qui vous arrive aujourd’hui Jeanne ?

Mme S            - Trop de numéros sur son carton.

Mme P tente de  donner un coup à Mme S. 

 

La voix :           -Ah non, pas de violence s’il vous plait ! Calmez-vous ou je vous ramène dans votre chambre !

M.D                - Nnne faaaîtes paaas aaaattention. Vvveeeennnnnez prrèèèèès ddeee moooii.

Mme S            - Tiens, ça m’aurait étonnée !

Mme P            - Je veux juste changer de place. Oh, et puis, je rentre dans ma chambre. Je me sens très fatiguée…. D’ailleurs mon mari doit passer me voir.

 

La voix :           - Jeanne c’est dommage… Votre mari peut nous rejoindre vous savez.

Mme P            - Non, je préfère l’attendre dans ma chambre. Je suis trop fatiguée.

Mme S            - En plus venir ici pour faire un loto, déjà qu’il se tape de venir à l’hôpital, il serait content le mari.

M. D               - Maaaa fffille eeelllle vvviiient pppaaaaarrffois aaaux aaaccttivvitééés.

Mme S            - Oui, ça lui évite d’avoir à vous parler.

Mme P s’en va.

La voix :           - Bonne fin d’après-midi Jeanne.  Bon… Pierre, à vous.

M.D                - Ssssaaaaalllloooooppppe

La voix :           - Bein voyons Pierre ! Un peu de respect !... Vous choisissez ce lot ?

M.D                - Jjjje vaaaais ccchhhoooisir pppooouur Jjjeeannnne d’aaaabooord.

Mme S                        - Moi aussi je vais vous laisser… j’ai plus envie de jouer.

La voix :           - Oh, vous aviez bien démarré Lola. Vous allez peut-être gagner…

Mme S            - Je remets mon lot en jeu si c’est que ça…

La voix :           - D’accord, Lola. Vous voulez que l’on vous aide pour rentrer ?

Mme S            - Non, ça va, je connais le chemin et j’ai encore mes bras.

La voix :          - D’accord, rentrez bien Lola. Bon Pierre…Ah, Pierre a choisi, le bracelet et le livre. On continue….

Mme S s’éloigne. Sur le chemin elle entend Mme P qui parle au Docteur Fouginam

Mme P            - Je comprends bien, mais tout ça m’angoisse

Le Docteur      - Ne vous inquiétez pas, vous vous en sortez très bien. Je repasserai vous voir avant de partir.

Mme P            - Vous êtes si bon. Avec vous je me sens rassurée.

Le Docteur      - On prend soin de vous comme on aimerait que l’on prenne soin de nous, c’est normal pour tous les soignants. Mais le plus important c’est ce que vous avez en tête. Une patiente m’a dit l’autre jour qu’elle trouvait sa confiance en se regardant chaque jour. C’est parce qu’elle continue de s’aimer qu’elle se sent rassurée 

Mme P            - Merci docteur. Encore merci.

Le docteur s’en va, Mme S s’approche

 

Mme S            - Et bein Jeanne, on dirait que vous avez une rude concurrente avec le docteur Fougi-mièvre... Je ne sais pas qui c’est, mais, pour elle aussi le docteur Miam miam est un homme comme les autres. 

Mme P            - FOU-GI-NAM ! Laissez-moi tranquille j’ai de la visite.

Mme P va vers sa chambre. Mme S la rejoint.

 

Mme S            - Vous avez le droit d’être amoureuse de quelqu’un d’autre.

Mme P            - Je n’aime que mon mari. Vous le savez.

Mme S            - Pourquoi est-ce qu’il faudrait se sentir obligée d’être loyale ? Parce que c’est ça Jeanne, vous êtes loyale avec votre pseudo mari ! Vous culpabilisez tellement de lui offrir la femme que vous êtes aujourd’hui !

Mme P            - Qu’est-ce que vous racontez ? Je l’aime. Je lui dois beaucoup, mais je l’aime. Il vient me voir toutes les semaines... Il s’occupe de tout, parce qu’il sait que cet AVC n’a jamais été de ma faute. Il m’aime. Nous avons toujours été présents l’un pour l’autre.

Mme S            - Mais ce n’est plus la même chose. Au début il venait tous les soirs, je m’en souviens… Aujourd’hui vous vous réjouissez qu’il passe une fois tous les quinze jours.

Mme P            - Mais qu’est-ce que vous croyez ! C’est normal ! Il a des obligations ! Les choses ont évolué à l’extérieur... Il a plus de responsabilités au travail, il me l’a dit. Ce n’est pas facile, il finit tard.

Mme S            - Non, il se lasse. On est un poids pour les autres, c’est tout !

Mme P                        - Si vous vous voyez comme un poids, suivez donc votre régime hypocalorique. Le médecin n’arrête pas de vous le dire. Vous vous goinfrez dès que vous en avez l’occasion.

Mme S            - C’est ça, faîtes la maligne ! Votre mari serait soulagé que vous ne soyez plus là ! Vous n’avez pas encore compris ? Ce n’est pas en changeant de sujet que vous oublierez. Vous servez à quoi aujourd’hui ?

Mme P            - Parlez pour vous.

Mme S                        - Et bein justement ! Moi je n’emmerde personne ! Personne n’est obligé de venir me voir et je ne veux voir personne. On est là à attendre… Attendre un repas, attendre d’être changé, attendre d’aller peindre, attendre de dormir... Mais c’est la mort qu’on attend. On ne sert plus à rien !

Mme P            - Oh ! Occupez vous donc l’esprit et fichez-moi la paix Lola ! La mort elle concerne tout le monde, même les valides !

Mme S            - Mais eux au moins, font ce qu’ils veulent, quand ils le veulent ! Moi je n’ai déjà plus de jambes, je souffre de contractures et je ne vois presque plus rien. Cette sclérose en plaques m’oblige à demander de l’aide pour tout ! Alors que je n’ai jamais eu besoin de personne dans la vie!

Mme P            - Vous vous croyez au dessus de tout le monde. Je n’aurais pas aimé vous connaître avant…

Mme S            - Mais on ne se serait jamais rencontrées Jeanne. Vous êtes une femme soumise, sans ambition et inculte !

Mme P            - Et vous, vous êtes une femme sans cœur que personne n’aime. Vous avez de la chance que les médecins soient obligés de vous soigner. Personne n’a envie de prendre soin de vous. Je les entends les soignantes quand elles parlent de vous et de votre caractère !

Mme S            - Au moins j’en ai ! Vous, il n’y a que quand vous êtes en crise qu’apparaît une once de personnalité! D’ailleurs ces crises, c’est toujours quand votre mari doit venir, c’est dire comme ça vous fait du bien de le voir.  

Mme P            - Vous devriez être contente qu’il vienne, puisque ça me rend moins conne. Vous me rappelez le roi sans pieds…

Mme S            - C’est qui ça encore ?

Le roi sans pieds

Un jour que le roi sans pieds est parti à la chasse, voilà qu’il est saisi par la soif. Avec ses deux chiens il se dirige vers la fontaine que son père a fait construire au fond de la forêt du royaume.

En arrivant, il voit un renard boire l’eau claire de la fontaine. Le renard lève la tête et dit :

-         Je salue Monseigneur. Je suis le renard Yoloï. Je voyage depuis si longtemps et j’avais si soif que je me suis permis de me désaltérer à la fontaine que votre sage Père a fait bâtir jadis.

Le roi sans pieds répond mécontent :

-         Ote-toi, tu troubles mon eau. Disparais ou je dis à mes deux chiens de te dévorer.

Le renard étonné déclare au roi :

-         Monseigneur, ne peux-tu laisser boire un animal qui voyage depuis si longtemps ? Je partirai au plus vite après m’être désaltéré.

Le roi sans pieds refuse et lâche les chiens. Cependant, les deux bêtes s’avancent mollement, tandis  que le renard se recule tranquillement et dit :

-         Ton père était meilleur que toi. Un roi qui n’a aucune bonté n’a nul besoin de ses mains ! Qu’il en soit ainsi !

Aussitôt le roi sans pieds sent une grande douleur au bout des bras et voit disparaître ses doigts les uns après les autres, puis tous les morceaux de chairs de ses mains jusqu’aux poignets. Le pauvre roi sans pieds, est maintenant, sans pieds ni mains.

Son cheval qui connaît par cœur le chemin, le ramène au château. Horrifiés, les sujets du roi font appeler le grand médecin du royaume, qui constate impuissant la disparition des mains. Il décide alors, comme il l’avait fait pour les pieds du monarque, de façonner des mains de bois.

Le médecin se rend dans la forêt, à la recherche d’un buis des plus anciens. Il veut un bois très dur. Mais il a beau chercher, il ne le trouve pas. S’avance alors vers lui à petits pas le renard Yoloï, qui lui dit :

-         Je sais où se trouve le buis que tu cherches. Moi qui parcoure cette forêt depuis toujours, j’en connais chaque recoin. Je t’y conduirai si ton roi accorde à tous les animaux le droit de boire à la fontaine. Va donc lui dire ces conditions et reviens m’apporter la réponse.

Mais le médecin est convaincu que pour une telle requête le roi donnera bien sûr son accord. Il argumente et se porte donc garant de la parole du roi. Le renard Yoloï accepte de le guider.

Après maints efforts le médecin parvient à couper une branche du buis et la ramène au château. Il sculpte les mains et se présente devant le roi auquel il raconte sa rencontre avec le renard. Le roi sans pieds entre alors dans une terrible fureur. Il refuse de donner sa parole malgré l’engagement du médecin. Il n’accordera jamais aux animaux la permission de boire à la fontaine.

Les sujets de la cour entendent alors la voix du renard Yoloï. Il est à la porte du château. Il lance haut et fort :

-         Votre seigneur est impitoyable. Qu’il ait désormais une pierre à la place du cœur, tout en demeurant vivant.

Le cœur du roi sans pieds-ni mains se tait. Une pierre le remplace. C’est le renard Yoloï qui possède désormais le vrai cœur du roi, encore battant et il le cache.

Le médecin dit au roi qu’il n’a rien pour remplacer son cœur, que le bois ne sera pas plus doux que la pierre. Les sujets du royaume et le médecin sont si tristes pour le roi. Ils essayent de le convaincre d’aller voir le renard et d’accepter l’accord pour retrouver ses mains et son cœur. Le roi sans pieds, ni mains, ni cœur, accompagnés de ses sujets, retourne dans la forêt jusqu’à la fontaine, où Yoloï, le renard, ne tarde pas à se présenter entouré de tous les animaux. Entre ses pattes s’offre le cœur du roi que tous s’apprêtent à dévorer. Le roi les regarde et dit sans sourciller :

-         Mangez mon cœur, peu m’importe. Vous n’aurez pas mon eau.

Avant que les animaux de la forêt ne se jettent sur le cœur, les sujets du royaume s’en vont, laissant seul ce roi qui n’a rien à donner.

Mme S                        - Et alors ? Vous croyez que je ne donne pas assez de ma personne pour tenter de retrouver mes membres ? Je vais tout perdre. Les médecins ne me sauveront pas. … Au moins ce roi avec ses moignons essaye de maîtriser encore quelque chose.

Mme P            - Justement tout lui échappe… Je sais que vous m’aimez bien mais votre caractère donne parfois envie de vous laisser seule. Arrêtez de vous regarder le nombril. Pensez à ce jeune dans la chambre dix, il doit avoir vingt-deux ans à peine. Tétraplégique. Nous sommes…

Le mari frappe et entre dans la chambre.

Le mari            - Bonjour ma chérie… ah? Lola.

Mme S            - Bonjour… Bon, je vous laisse en amoureux

Mme S sort

 

Le mari            - Tiens je t’ai apporté des fruits. Je les mets là… Comment ça va aujourd’hui ?

Mme P            - Tu ne m’embrasses pas ?

Le mari            – (géné) Si. (il l’embrasse et va s’assoir sur la chaise dans la chambre).

Mme P            - Je vais bien. Lola m’expliquait que j’étais stupide et pourquoi je perdais à moitié la tête.

Le mari            - Oh, celle là. Tu devrais passer moins de temps avec elle… Elle te fait plus de mal que de bien.

Mme P            - Elle est parfois pénible, mais heureusement que je l’ai tu sais.

Le mari            - Il y a d’autres malades, tu n’es pas seule.

Mme P            - Oui… entre malades on se tient compagnie. La maladie c’est notre signe de reconnaissance.

Le mari            - Ce n’est pas ce que je voulais dire… Et la rééducation ? Tu y vas régulièrement ?

Mme P            - Tu me poses la question à chaque fois. Oui… Parle moi plutôt de toi. Ton travail. Et la maison ?

Le mari            - Oh tout va bien, nous avons de nouveaux produits qui devraient bien marcher. D’ailleurs j’ai un voyage prévu en Allemagne dans deux semaines. Je n’ai pas pu faire autrement.

Mme P            - Tu pars combien de temps ?

Le mari            - Trois semaines. J’ai pas mal de rendez-vous et je dois passer par la Belgique en rentrant, pour des contrats.

Mme P            - Oh, ce n’est pas grave… pour trois semaines où tu ne viendras pas me voir… je tiendrai le coup.

Le mari            - Je ne viendrai pas pendant plus d’un mois.

Mme P            - Mais pourquoi ? Trois semaines, ça ne fait pas un mois. Viens le week-end, si tu ne peux pas venir le mercredi soir. Pourquoi tu ne viens jamais le week-end d’ailleurs ? Avant tu venais le week-end ?

Le mari            - On en a déjà parlé.

Mme P            - Non, je ne me souviens plus. Pourquoi ? Tu ne travailles pas le week-end ?

Le mari            - Jeanne… Je te l’ai déjà dit plusieurs fois. Souviens toi, nous avons vu la psychologue ensemble. J’ai quelqu’un dans ma vie. Le week-end, je suis en famille.

Mme P            - Dans ma maison ?

Le mari            - C’est ma maison. Elle est à mon nom.

Mme P            - Mais je m’en suis occupée pendant des années de cette maison… J’ai lavé chaque recoin, chaque carreau, chaque latte, chaque mur... C’est aussi ma maison. Quand tu me prenais en permission au début, c’était bien ma maison. D’ailleurs pourquoi je ne vais plus en permission ? Je voudrais sortir…

Le mari            - Jeanne, souviens toi comme c’était difficile, nous n’avons pu le faire que trois fois. Rien n’est prévu à la maison… Il faut que tu admettes que j’ai refait ma vie. Le divorce est en cours. Nous en avons déjà tellement parlé. Tu étais contente pour moi.

Mme P            - Quoi ?... Quoîî ? Mais monsieur, vous vous êtes trompé de chambre ! A qui croyez-vous parler ?

Le mari            - Bon sang Jeanne arrête. Tu sais bien que je t’aimerai toujours, mais il faut que je vive !... Nous étions d’accord.

Mme P            - Vous avez certainement négocié vos cochonneries, mais avec quelqu’un d’autre. Je ne suis d’accord sur rien. Vous me rendez ma maison et mon mari.

Le mari            - Je suis fatigué… La dernière fois qu’on en a parlé, tu étais heureuse pour moi. Tu m’as souhaité plein de bonheur.

Mme P            - Et vous n’avez pas honte de venir m’exposer votre bonheur au visage, comme ça ?

Le mari            - Mais ce n’est pas possible que tu aies oublié, ça fait deux ans que c’est comme ça.

Mme P            - Ah, parce que vous me prenez pour une demeurée. Vous croyez que je ne sais pas quel jour on est ?

Le mari            - Jeanne, je t’en prie. Tout cela a été tellement difficile. J’ai eu tant de mal à accepter de refaire ma vie.

Mme P            - Non, mais… vous n’allez pas vous plaindre de me voler ma maison pour y coucher avec une autre !

Le mari            - Bon, je crois que ça suffit… tu te calmes ou je m’en vais.

Mme P            - Voleur ! En plus vous voulez divorcer alors que vous n’êtes pas mon mari ! Vous êtes malade ! Mon mari m’aime !(criant) Mon mari m’aime !

Le mari            - Mais oui, Jeanne, je t’aime… Souviens-toi, nous avons signé pour le divorce. Tu étais d’accord, c’est toi qui trouvais que c’était plus sain. Tu ne voulais pas qu’on pense que je te trompais du fait de vivre avec une autre femme en étant marié.

Mme P            - Mais mon bonhomme, il faut voir les choses en face… vous appelez ça comment vous ? Si c’est pas tromper. Sale traître !

Le mari            - Jeanne, le divorce sera prononcé d’ici la fin du mois… c’est la réalité. Mais je ne te laisserai pas, je viendrai te voir, je serai là… Je ne t’abandonne pas. Si j’avais pu faire autrement… si tu avais récupéré… nous serions toujours ensemble… je t’assure. Comprends s’il te plaît… tu avais réagit tellement bien jusque là. C’est toi qui m’as fait remarquer que j’étais maigre, que je déprimais, que tout cela était trop dur à assumer… C’est toi qui voulais que je rencontre quelqu’un d’autre

Mme P            - Quelle conne votre femme !... Quelle femme pourrait demander à son mari, trompe moi chéri je t’en supplie, je sens que ça va te rendre heureux !

Le mari            - Désolé… je… Jeanne, je vais te laisser tranquille. Je t’appellerai demain pour voir si tu vas mieux. Je ne pensais pas que tu aurais oublié. Je suis désolé, vraiment.

Mme P            - Oui, oui… merci de m’avoir prévenue. Ne vous inquiétez pas, j’écrirai au Directeur et je verrai l’assistante social… Qu’on me vole ma maison et mon mari en même temps, elle n’en reviendra pas !

Le mari sort, jeanne reste muette bouche ouverte, comme en état de choc.

 

 

 

 

 

3

Après le déjeuner, les patients sont dans la salle à manger, un poste diffuse une musique en fond  sonore. Mme S est seule à une table, M.D s’approche d’elle avec beaucoup de difficulté.

 

M.D                - Voooouus aaavez des nouuvvellles ddeee Jeaaannne ? Eellle aaa paaassé laa ffiiinn deee joouurnnée d’hiiier aau liiit eeet lààà eeellle nn’eeest ppaaas daaans ssa chaammbre ?

Mme S            - Elle a été transportée dans un autre hôpital…

M.D                - Aaaah booon ? Pppooourrquuoooii ?

Mme S            - La psychologue est venue me voir ce matin pour m’annoncer qu’elle avait eu une nouvelle attaque cérébrale. Ils l’ont transportée d’urgence cette nuit.

M. D               - Jjj’eespèèère qquee cee n’eeest paaas trooop graave…

Mme S            - Pour qu’ils l’emmènent d’urgence c’est que c’est grave Pierre !... Et la gravité d’une attaque cérébrale vous n’avez qu’à regarder autour de vous pour vous faire une idée !

M.D                - J’eeesspèèère c’eest tooout.

Mme S a un geste d’agacement

Une soignante : - Pourquoi n’allez vous pas peindre un peu Mme S ? La salle d’animation est ouverte… Vous aussi monsieur D, vous devriez y aller. Une animatrice va venir vous chercher.

M.D                - Ouuii meeercii. Voouuus veeeneeez Looolaa ?

Mme S            - Fichez moi la paix. Allez y, vous n’avez pas besoin de moi.

M.D                - Neee reeesteez paaas seeeuuule… veeeneez

Mme S            - Ce n’est pas en étant avec vous que je me sentirai moins seule. De toutes les façons j’irai quand j’en aurai envie.

M.D                - Tooouujoouurs ccceee mêêêmee rrefraaain, qqquaannnd vooous aaaveez eennviiie…

Mme S            - Oui Pierre, quand je veux. C’est au moins là que je peux exprimer mes désirs, mes choix !

M.D                - Vooous cchhoooisiisseez vooos vêêêteements, vooos reepaas, vooos chaîîînes deee téééléééviisiion…

Mme S            - Mais c’est fantastique ! Quelle liberté ! Savez vous seulement ce que c’est que de se sentir libre ?

M.D                - Ouuiii eet laaa liiibeeerrrtéé aa sees liiimiiites. Peeersssooonelllllemeeent jeeee vaaais faaaire uuunne peintuuure pooour Jeaaanne. (en voyant l’animatrice) Booonnnjjoour

M.D s’éloigne poussée par l’animatrice. Mme S le regarde partir avec dédain.

Mme S            - C’est ça, va peindre tes œuvres abstraites qui ne veulent rien dire ! Qu’est-ce que j’en ai à faire de tes limites… Tu n’imagines même pas ce que ça peut être la liberté, enfermé dans les frontières de ton corps tordu, de ta langue ralentie, de ta chambre impersonnelle…de ton rythme conditionné. Et Jeanne…C’est à cause de moi tout ça. Avec ce que je lui ai dit l’autre jour… Elle a raison. Personne ne m’aime et je n’aime personne. Je n’ai jamais voulu vivre avec qui que ce soit, jamais voulu avoir d’enfants, ni même de chien. Tout ça pour rester libre. Et aujourd’hui, je ne pourrais même pas être libre de me suicider. Quel sens a cette vie ? Un cerveau grillé et on est oublié. On n’intéresse plus personne. Quand ils parlent de l’hôpital à la télé, c’est toujours les vieux, les enfants, les dingues ou les urgences. Quand c’est pas le personnel en grève. Les quarantenaires en long séjour, on n’imagine pas. On ne sait même pas que ça existe. Les stars elles ne viennent pas ici. On est trop moches. La maladie ça rend laid. De toutes les façons s’ils venaient interviewer Pierre, on n’aurait aucune chance d’être entendu… En plus il pleut. Je ne veux pas voir ça…

Mme S part vers la salle d’animation ; Elle arrive et s’installe à un chevalet. Musique en fond sonore

L’animatrice : - Bonjour Lola… Aujourd’hui le thème c’est le portrait. Vous êtes invitée à peindre quelqu’un de votre choix.

Mme S            - C'est-à-dire ?

L’animatrice : Comme vous voulez… quelqu’un que vous aimez bien, ou pas, ce qui vous passe par la tête… Ce qui est intéressant c’est la façon dont vous voyez l’autre. Que voulez vous comme couleurs ?

Mme S            - Les couleurs primaires… et deux pinceaux, s’il vous plaît, un fin et un plus épais… Ah, oui, une brosse aussi.

M.D est un peu plus loin en train de peindre et fait un signe de la main auquel Mme S ne répond pas. On apporte le matériel à Mme S. Elle se concentre et commence à peindre. Près d’elle, il y a une jeune femme assise devant  un chevalet, son tableau est avancé.

La je fem         - (s’exprime de façon saccadée, avec des mouvements intempestifs) Bonjour, je m’appelle Lydie. Je vous ai déjà vue… c’est pas mal ce que vous faîtes.

Mme S            - Humhum

La je fem         - Elle n’est pas là votre copine ?

Mme S            - Quelle copine ?

La je fem         - Celle qui est souvent avec vous. Une dame très gentille, très souriante.

Mme S            - Humhum

La je fem         - Elle aussi elle peint bien. J’ai vu quelques uns de ses tableaux. C’est très beau.

Mme S            - C’est très beau ça ne veut rien dire… Vous m’excusez mais je ne peux pas me concentrer. Si vous avez envie de faire la causette, allez voir Pierre, il adore ça.

La jeune femme se remet au travail, l’air  vexée. Mme S commence sa peinture.

 

Mme S                        - La façon dont je vois l’autre… qu’est-ce que c’est encore que ces idées débiles ! (Elle regarde autour d’elle) Regardez moi tous ces handicapés ! (en regardant la jeune femme) Et celle là qui se croit au dernier salon où l’on cause… Maquillée à la truelle en plus. Regardez moi sa tête de souris… on lui jetterait bien un bout de fromage. C’est jeune et ça se croit beau. Pfff !

 

Personne ne parle, la musique envahit l’espace. Mme S se met à peindre.

Mme S se délecte à peindre. Parfois elle sourit, recule un peu, revient vers le tableau. La jeune femme l’observe de temps à autres et sourit.

L’animatrice     : - Waouh ! C’est très réussi Lola… Vous êtes inspirée aujourd’hui. C’est qui ?

Mme S            - C’est quelqu’un.

L’animatrice     - Oui, mais c’est qui ? Quelqu’un de proche ?

Mme S            - C’est quelqu’un ! Vous vouliez qu’on peigne quelqu’un, j’ai peint quelqu’un !

L’animatrice :- Ah oui, d’accord… Vous pouvez finir tranquillement. Si vous souhaitez en faire un autre prévenez-moi.

M.D demande à ce qu’on l’approche de Mme S  et de la jeune femme.

M.D                            - Aaaah, ccc’eeest iinntéééresssaaant maaais çççaaa neee reeessseemblee paaas ààà  Jeeanne.

Mme S            - Mais qui vous dit que c’est Jeanne. Vous m’emmerdez tous aujourd’hui. Occupez vous de ce qui vous regarde.

M.D                - Jeee pennnsssais qqqquuue vvouuus voouuullliez offfrir uun taaaabbbleau à Jeeaanne.

Mme S            - Elle n’aura qu’à s’en faire un quand elle reviendra.

La je fem         - Bonjour, je m’appelle Lydie. Vous êtes Pierre ? (Elle lui tend la main. Pierre la prend avec difficulté mais ravissement). On se croise quelques fois. Votre amie est en permission ?

M.D                - Noon. Elllle aaa eeuuu uun ppprrroblèèème. Jeeaaannne esst ffrragiiile. Iiils lll’ooont trrraaansspooortéée daans uun aauuutrre hôôôpiiital. Maaaiis elllle vaaa reeeveeniiir.

Mme S            - Vous n’avez pas fini d’étaler la vie des autres devant n’importe qui !( se tournant vers la jeune femme) Si vous avez envie de vous faire des amis, allez discuter ailleurs ! J’aimerais peindre tranquillement.

La je fem         - Vous n’êtes pas très sympa. Je m’inquiète juste pour votre amie.

Mme S            - Mais vous êtes qui pour vous inquiéter de personnes que vous ne connaissez pas ? Une bénévole en quête de reconnaissance ? Vous croyez que ça vous donne une légitimité ? Qu’est-ce que ça peut vous faire ? Mais qu’est-ce que vous voulez à la fin ?

M.D                            - Lyyyyddiie esst coooommmee nooous, Loooolaa. Neee ssoyyyez paaas duuure, eeellle esssaayyye siimpleeement d’êêêtre gentiiille.

Mme S            - J’aime pas les gens gentils ! ça pue ! ( à la jeune femme)Qu’est-ce que vous avez vous d’abord ? Mis à part vos tics, et cette façon hachée et désagréable de parler, on croirait que vous n’avez rien.

La je fem         - J’ai une chorée.

Mme S            - Une chorée ? Ah oui, je crois que je vois ce que c’est…Huntington c’est ça ?

La je fem         - Oui…

Mme S            - Et bein ma pauvre, vous êtes mal partie. J’en ai vu un mourir de ça l’année dernière, mais ça faisait bien dix ans qu’il était là. A la fin, il ne pouvait plus parler…il restait couché dans un de ces gros fauteuils co…

M.D                - Looolaaa ! Jjjee vooouus een pprrie. Lyyyddiiie aaaa dddeee beeelllles annnéééees deeeevaaant ellle.

Mme S            - A l’hôpital ?!…

La je fem         - Je sais ce qui m’attend. Ma mère en est morte.

Mme S            - Au moins pas de mauvaise surprise.

M.D                - Looolaa !

L’animatrice : - Vous souhaitez peut être arrêter de peindre et prendre une collation dans l’autre partie de la salle ?

M.D                - Ouuuii. Laisssoons Llloolaaa. Veeenez Lyyydiie.

La je fem         - Mais je n’ai pas fini mon tableau…

Mme S            - Barrez vous, ça me fera des vacances ! Et puis pour ce qui est de finir, vu comme vous êtes douée, ce n’était même pas la peine de commencer.

L’animatrice : - Lola ! Vous exagérez ! Pourquoi êtes-vous si désagréable ? Lydie a le droit de peindre, d’apprendre, et elle a son style.

Mme S            - Façon délicate de dire la même chose ! Je n’ai rien demandé à personne ! Ces deux là n’arrêtent pas de parler et de m’empêcher de peindre ! On est là pour ça, non ?

L’animatrice : - Mais aussi pour échanger, discuter, si on en a envie.

Mme S            - Bein justement, je n’ai pas envie d’entendre déblatérer sur la maladie. Son pronostic mortel elle peut se le garder.

La je fem         - Je n’ai rien dit.

Mme S            - Tu parles ! On connait même votre arbre généalogique. Vous croyez être la seule à avoir une maladie dégénérative ?  

M.D                - Oooonn ssaaiit qquuue lees paaliiieers ssoont diiffiiiciiilees. C’eeesst chhhaaaqqquuue fffooooiiiis uuunnne éééprrreeeuuuve.

Mme S            - Oh vous le roi des lapalissades, merci de nous éclairer. Que savez-vous de la dégradation ? Un mur et on voit ce qu’il vous reste !

L’animatrice : Lola calmez-vous.

M.D                - Ccc’eest qquuooi uune llaaappaaaliiissaadee ?

La je fem         - Un mauvais mot, d’une personne méchante.

Mme S            - Oui c’est ça, la vilaine Lola qui fait pleurer les demeurés.

L’animatrice : Lola vous allez rentrer dans votre chambre si ça continue.

M.D                - Quu’eest-ce qquue ççaa veeuut ddiirre llaappaaalliiiss…

Mme S            - C’est la seule peau de banane sur laquelle vous pouvez encore glisser !

L’animatrice : Lydie, vous devriez  faire un tour avec Pierre. Vous pourrez revenir plus tard si vous le souhaitez. Il vaut mieux laisser Lola tranquille.

La je fem         - C’est vrai. Désolée… Vous voulez qu’on s’installe là-bas Pierre ?

M.D                - Aaaveccc ppplaisiiir

4

Début de soirée, dans la salle à manger des patients attendent le repas, dont M.D.

Des visiteurs sont dans les chambres et dans la salle à manger, M.D les regarde avec envie.

Mme S s’approche.

Mme S            - Vous êtes au courant je suppose ?

M.D                - Poouuur Jeaaannne ?... Ouuui. Laaa psyychoooloogue m’aaaa diiiit qquu’ellle ééétait daanns leee cooommaa. Cccce n’eest paaas trrrèèès boonn.

Mme S            - Oui Pierre, pour elle, un coma ça annonce la fin et c’est pas plus mal.

M.D                - Pooourrquuoi dîîîtes voouus ceelaaa ?

Mme S            - Parce qu’elle a une occasion de quitter cet hôpital, cette vie !

M.D                - Lees pieeds deeevaant ! Ccc’est een efffeet uunne oooccaaasionn ààà nne paaas raaaater ! Qquuel pessssimisssme !

Mme S            - Oh ça va !… Elle ne se battra pas pour vous revoir ou retrouver sa petite chambre ! Soyez réaliste !

M.D                - Jeee suuiis soon aaaamiii !Ssssiii jeee pooouuvvaais auu mooiins aalleer ààà ssoon cheeeveet l’eennccoourager… quu’eeellle ennteende maaa vvooix.

Mme S            - Mais oui, votre douce voix qui donne envie de se pendre !...

M.D prend un air offusqué.

Mme S            - En parlant d’amis, où est votre nouvelle protégée ?

M.D                - Daaanns sssaaa chaambrrre. Ssoonn aaamiii eest lààà.

Mme S            - Son petit ami ?

M.D                - Ouuuii 

Mme S            - Et bien je vais aller voir la tête qu’il a.

Mme S quitte la salle à manger et va vers la chambre de Lydie,la jeune femme, elle frappe une fois et entre.

Elle tombe sur le couple qui fait l’amour dans le lit.

Mme S reste bouche bée, tandis que le couple cherche à se rhabiller.

Mme S les observe sans quitter la chambre.

La je fem         - Vous pourriez au moins vous excuser et sortir. Déjà que vous êtes entrée sans frapper.

Mme S            - J’ai frappé…. 

Le couple continue de s’habiller.

Le je hom        - Qu’est-ce que vous regardez ? Vous pourriez revenir un peu plus tard et nous laisser.

Mme S            - J’essaye d’évaluer la taille de votre membre. C’est pas tous les jours la fête ici. Un corps pareil ça mérite toute mon attention sans en perdre une miette.

La jeu fem        - Maintenant ça suffit, vous sortez de ma chambre !

Mme S            - Quand on ne veut pas partager, on ne vient pas fricoter dans les lieux publics !

La je fem         - C’est ma chambre !

Mme S            - Ah oui, mais dans un hôpital public, ça dit bien ce que ça veut dire. Rien n’est privé ici. D’ailleurs il n’y a pas de verrou sur la porte, ma petite demoiselle…. Si je préviens le personnel il ne va pas être content.

Le je hom        - C’est moi qui vais les prévenir, si vous ne nous laissez pas tranquilles. Le respect de l’intimité, même dans les lieux publics, c’est possible ! Alors vous sortez !

Mme S            - Pas de menaces. Je peux aussi me plaindre d’avoir été choquée par vos ébats et en plus, de me faire agresser pour être tombée au mauvais moment. Vous verrez alors qui aura gain de cause, petit morveux ! Mais je vous laisse, je venais simplement donner des nouvelles de mon amie Jeanne qui va mourir… Je crois que je me sens mal.

Mme S quitte la pièce en gémissant. Elle s’empresse d’aller retrouver M.D.

Mme S            - Vous ne devinerez jamais ce que faisait votre petite Lydie…

Une soignante dépose les plateaux repas… M.D commence avec difficulté son plat.

Mme S            - Elle pratiquait la sodomie !

M.D crache ce qu’il a dans la bouche.

M.D                - Quuoî !?

Mme S            - Comme je vous le dis. Dans sa chambre avec son petit ami !

M.D                - Maaaais c’eeeest innnteeeerrrdiiiit !

Mme S            - Oui, il me semble l’avoir lu dans le règlement intérieur

La jeune femme les rejoint à la table, un peu affolée.

La je fem         - Ah je vous retrouve… Vraiment vous nous avez mis dans l’embarras.

M.D                - Maais Lyyyddiiiie, tttouut de mêêême ! Vooouus êêêtees ààà l’hôôpiitaal !

La je fem         - Vous êtes déjà au courant Pierre… Et bien oui, tant que je peux encore le faire j’en profite. Et nous sommes discrets.

Mme S            - Chacun fait ce qu’il veut de ses fesses.

La je fem         - Tout à fait ! Tout cela est très naturel.

M.D                - Mmmaais vouus ppourriez aatteendrre vooos peermiiissiioons duu weeek-ennnd pppoourr dee telllles ppraatiiiqques ! Iichhii vvoous êêêtees ààà l’hôôpiitaal !

Mme S affiche un visage satisfait

La je fem         - Je vais en permissions tous les week-ends, c’est vrai, mais cela ne m’empêche pas d’en avoir envie durant la semaine. Je suis comme tout le monde, j’aime ça !  

Mme S            - A ce rythme là, on a bien compris que vous aimiez ça. Mais comme tout le monde ce n’est pas le mot.

La je fem         - Tant que l’on est discret et que l’on respecte les autres, il n’y a aucune loi qui l’interdise.

M.D                - Maaaais voous êêêêtes ààà l’hôôôôpiiitâââal !

Mme S            - Oui Pierre, on a compris !... Vous avez de la chance que les soignants ne vous aient pas surpris !

La je fem         - Mais ils le savent. C’est vous qui êtes indiscrète.

M.D                - Maaaaiis cccc’eeest uuun boooordeeel ichi !

Mme S            - Si venir vous donner des nouvelles, c’est être indiscrète, je le retiens. Vous vous fichez pas mal de nous choquer, d’ailleurs la preuve, vous ne manquez de venir à table pour nous parler de votre vie sexuelle. Bravo !

La je fem         - Mais pas du tout… Je… Je suis désolée.

Mme S            - En plus vous croyez quoi ? Nous il ne nous reste qu’à y penser. La pratique c’est fini, pour Pierre, pour moi ! Pour la plupart de tous ceux qui sont ici ! Handicapés comme on l’est, vous croyez qu’on a d’autres occasions de montrer nos fesses que pour mettre une couche !?

La je fem         - Je ne voulais pas créer d’incidents.

M.D                - Cccce nn’est pppaaas grraavve Lyydiiie. Vvvvous ssaavvez Loollaaa eeexaagèèère, jjje nnnee peeense pplluuus aauu seexxxe ddepuuiiis loonngtemps. Jjjjee nn’aai jaammaaais eeuu dee prratiiquues coomme vvoous d’aailleuurs.

Mme S            - Oh, Pierre, arrêtez ce rôle de cul bénit. Vous avez des envies, des besoins. Le sexe vous y pensez ou vous ne seriez pas là à draguer tout ce qui bouge ! Vous croyez qu’on devient chaste parce qu’on est hospitalisé ?... Toute cette hypocrisie me dégoûte, je vais me coucher !

M.D                - Mmmaaiis iil est encoorre tôôôt, iil n’eest quee 18h et voous nn’avvez rrien manngé.

Mme S            - Je m’en fiche. En plus dans une heure tout le monde sera couché.

Mme S dirige son fauteuil avec énervement vers sa chambre.

La je fem         - Je ne sais pas quoi dire.

M.D                - Vooouuus nnn’yyy êêêtes pooour riiiien ccee ssonnt les hoormmooonnes.

5

Les patients sont en cercle dans la salle d’animation pour un conseil de résidents, animé par la psychologue, le cadre de soins  et l’animatrice. Lola affiche une grande  tristesse. Elle est assise près de Pierre qui de temps à autres, tente de poser sa main sur son épaule.

 

La psy             - Nous allons commencer. Je vais d’abord laisser Mme L, la cadre de santé vous annoncer les mesures qui ont pu être mises en place suite à vos remarques lors du dernier conseil de résidents.

Mme L            - En ce qui concerne les vêtements perdus, des filets de linge nominatifs à la place des filets collectifs, par unités de soins, permettront de réduire ce genre de risques. Nous vous rappelons tout de même, qu’il est impératif que les vêtements soient marqués à vos noms.

Mme S            - Vous croyez vraiment que ça changera quelque chose ? Depuis toutes ces années vous auriez pu y penser plus tôt. C’est rassurant de savoir que vous avez toutes vos facultés pour des idées pareilles !

La psy             - Nous pouvons tout de même essayer de voir si cela a un effet, même si, comme vous le dîtes Mme S, il est dommage de ne pas avoir envisagé cette solution plus tôt.

Une voix          - Mieux vaut tard que jamais.

La psy             - En effet. Mme L, vous voulez bien poursuivre ?

Mme L            - Concernant les collations… enfin les goûters, nous allons les améliorer, bien que…

Mme S            - Vous avez attendu qu’elle soit morte pour améliorer le goûter !

La psy             - Mme S, je vous avais dit de ne pas venir, si vous ne vous sentiez pas capable de respecter le conseil de résidents.

Des voix          - Qui est mort ?

Des voix          - Jeanne. Jeanne ? Mais oui vous savez on nous l’a dit ce matin …

Des voix          - Le goûter ? On aura des biscottes ? J’aime bien les biscottes beurrées trempées dans le chocolat… Ah non, avec de la confiture ! Non les madeleines, on avait demandé les madeleines ! Et pour les heures du repas, vous n’en avez pas parlé…Et pour l’heure du coucher, je voudrais me coucher plus tard !

La psy             - S’il vous plait. Nous aborderons tous les sujets. Mais ne parlez pas tous à la fois.

Mme S            - Bande de biafrais ! Vous ne pensez qu’à manger, c’est tout ce qui vous tient !

M.D                - Loolaa. Noous aavvonns toous de laa peeinne.

La psy             - En effet, même si ce n’est pas la même peine pour tout le monde. Vous n’êtes pas obligée d’assister à ce conseil, je vous l’ai dit. Vous avez le droit d’avoir besoin de temps pour vous, pour votre peine, Mme S. C’est pareil pour vous, monsieur D. Pourquoi, n’allez vous pas dans le jardin… ou vous préférez qu’on vous raccompagne dans votre chambre ?… Nous prendrons le temps d’en parler après le conseil. Je viendrai vous voir.

M.D                - Jeeee prréfèèère évviiiteer dee pppenser. Jeee neee veuux paas êêêtre seuul.

Mme S            - Mais même parmi tous ces cons vous êtes seuls! Vous n’avez pas compris !?

La psy             - Voulez vous sortir, s’il vous plait Mme S ? Nous vous transmettrons le compte-rendu du conseil.

Mme S            - Donnez le à bouffer à ces affamés !

Mm S sort en faisant un bras d’honneur.

M.D                - Fffiiinaaalleemmeent jjee prééfèère ppaaarrtiir.

La psy             - Pas de problème, monsieur D. On va vous accompagner.

La je fem         - Je vais le faire. J’ai envie de prendre l’air aussi. Excusez-moi.

La psy             - Si vous le souhaitez… Merci pour monsieur D. Nous reprenons ?

M.D et la jeune femme sortent, ils rejoignent Mme S qui est dans le jardin, tandis que le conseil continue.

Mme S  pleure.

Mme S            - Pourquoi Jeanne ? Pourquoi Jeanne ?

M.D                - Aaaalllllons, vooouuus allllez meee faaiire pleeeuuurer… Ccc’eest aaainssi, nooous paaartooons tooous

La je fem         - C’est la troisième personne en deux mois. Depuis que je suis ici, je les compte.

Mme S            - Vous n’avez que ça à faire compter les morts ?(pleurnichant) Pourquoi ? Pourquoi ?... Et moi ?

M.D                - Cooommmmeeennt eet vooouus ? Voooouus êêêtes eeeen viiie !( A Lydie) çççaaa dééépeend dees pééériioodes, paaarrrffois iiill yyy aaa pllluuus dee mooorrts.

La je fem         - Oui, j’imagine. Entre les cancers, les arrêts cardiaques, il n’y a pas que…  

Mme S            - Oh ça va ! Vous n’allez pas nous faire l’inventaire de toutes les causes de mortalité.

M.D                - Loolaa ! Noouss alloons toouus mmouurrrrir. Noouus pppouvvonns een parrllleer.

Mme S            - Parler de quoi ? Vous êtes déjà mort ! Enfermé dans le silence, dans vos petites habitudes de malade conciliant ! Vous vous contentez de rien !

La je fem         - Mais il reste beaucoup de plaisir à prendre, même ici. Vous n’êtes pas comme d’autres dans leur lit, comme des légumes. Vous avez les ateliers, les visites, les promenades, les rencontres… 

Mme S            -  Je n’ai plus de perspectives ! Les plaisirs dont vous parlez c’est histoire de supporter tout ce temps à attendre, entre les douleurs insupportables !

La je fem         - Mais vous seriez chez vous à l’extérieur ce serait pareil. Tout dépend de ce que vous faîtes de votre temps!

Mme S            - Arrêtez votre optimisme mièvre ! Votre petit ami vous lâchera dès que vous ne pourrez plus marcher. Il doit croire que vous pouvez guérir cet imbécile. Ce n’est qu’une question de temps et vous le subirez ce temps là ; Je ne vais pas me réjouir de ne pas avoir à regarder le plafond toute la journée.  

M.D                - Ouuiii çaaa ne seeerrrt ààà riiien d’oooubliiieeer queee l’ooon eest maaalaaade… c’eest uun peeuu coommee l’hiiistoiiire duuu louuup

Mme S            - Oh non…

Le loup malade

Un jour un loup s’en alla voir le médecin.

-         Docteur, je crois que je suis malade. Je voudrais une consultation.

-         Tirez la langue et pissez dans ce gobelet, dit le médecin

Le médecin examina la pisse et dit :

-         Loup, vous mangez trop et mal

-         Et donc ? répondit le loup

-         Donc, il vous faudra désormais peser votre viande et ne pas avaler tout ce qui se présente

Le loup partit voir un artisan et lui commanda une balance pour mesurer son poids, avant de partir à la chasse, et ainsi, peser aussi celui de ses proies.

Le loup fut fidèle à cette pratique pendant un temps. Puis arriva un grand jour de fête.

Se réunirent à l’événement, juments, poulains, cochons, mules, canards, poules…

Le loup ouvrit de grands yeux, tenta de rester concentré sur la fête, mais submergé par l’envie il sauta à la gorge d’une jument en oubliant son poids.

Le soir même le loup creva.

Mme S a la tête  penchée en arrière, bouche ouverte, elle dort. La jeune femme baille.

La je fem         - Je ne dis pas qu’il faut oublier que l’on est malade. On le sait… Mais il y a encore des parties de nous en bonne santé.

M.D                - Paaarcee qu’ooon noouus sooignee.

Mme S reprend ses esprits…

Mme S            - Hum, je suis déjà tout le temps fatiguée, mais avec vous… j’ai l’impression d’être en phase terminale. 

La je fem         - Je dis seulement que se soigner, c’est aussi prendre soin de ce qui va bien.

Mme S            - Vous nous gonflez ! Vous n’en avez pas marre de ce discours démago?

M.D                - Ouui, ooon n’aauraaait paaas beeesooin d’êêêtre hooospiiitaaaliiséés siii oon aaallaait biiienn

La je fem         - Vous ne comprenez rien Pierre ! Nous ne sommes pas que des malades.

Mme S                        - Mais oui, je ne suis pas un numéro ! A enfoncer des portes ouvertes vous allez vous faire un claquage ma pauvre fille !

M.D se met à pleurer.

Mme S            - Il ne manquait plus que ça ! Qu’est ce qu’il y a ? Cette fille est désespérante, c’est vrai, mais de là à pleurer Pierre, c’est trop !

La jeu fem        - Vous n’êtes vraiment qu’une garce. (En passant son bras autour des épaules de M.D). Je vous en prie Pierre, ne pleurez pas.

Mme S            - Mais laissez le pleurer s’il le veut. Il a perdu une amie. Vous n’en avez pas ici, vous ne pouvez pas comprendre.

La je fem         - Je ne suis pas là depuis assez longtemps pour ça, c’est vrai. Et puis moi, j’aime encore la vie. J’ai envie de vivre !

Mme S            - Oui, bein ça vous passera. Quand vous ne pourrez plus rien faire de ce corps, quand vous n’irez plus en permission parce que vous serez une charge trop lourde, quand le regard des autres vous dira ce que vous êtes… Vous la ramènerez moins, croyez moi.

M.D(criant)    - Aaaaah Loolaaa! Oon peeeut coompteer suuur voous poour les encoouraageeements ! Iiil n’yy aavait biiien queee Jeaaanne pooour suuuppooorter çaaa !

La je fem         - Du calme… tout va bien.

Mme S            - Non tout ne va pas bien. Tout à l’heure les animateurs nous dirons quand et où a lieu l’enterrement, où j’ai bien l’intention d’aller. (tristement) Et dans deux jours quelqu’un d’autre occupera sa chambre.

M.D                - Ouiii… maiis eeelle vaaa terrrriiibleeement nooous maaanquer.

Mme S se met à pleurer

Mme S            - On oubliera

M.D                - Vooous ssaavvezz Lollllaaa, jeee sssuuiiis coonnteennt queue voouss sooyyez lààà !

La jeu fem        - Et moi, je suis contente de vous avoir rencontrés tous les deux.

Mme S            - Mais c’est à croire qu’il n’y a pas assez de monde ici pour que vous vous colliez à nous comme ça ? Je n’ai pas d’os à vous donner ! Tous vos mots sucrés n’y changeront rien, nous ne serons pas amies.    

La jeu fem        - C’est vrai que ce n’est pas un bonheur de vous avoir rencontrée Lola, mais votre caractère me plaît. Vous êtes tellement vivante ! Nous avons tout le temps d’apprendre à nous connaître. Nous sommes en long séjour, non ?

Mme S            - Oui en long séjour… et ce mot laisse comme un vague goût d’aigre éternité…

La jeu fem        - Ce qui veut dire que nous ne mourrons pas seuls…

Mme S            - Si c’est ce qui vous rassure, vous êtes encore plus stupide qu’il n’y paraît.

La jeu fem        - Si vous voulez. Vous y repenserez à l’enterrement de Jeanne.

M. D               - Meesdââmes, eeet ssiii nnooouus prooffiiitiiioons duu jaarrdiin ? Voouus coonnaaiisseez Lééoonoore ?

Léonore et le coq

Léonore vaque tranquillement à ses occupations dans sa petite auberge. Voilà qu’elle entend le coq. C’est un coq toujours content mais très particulier. Son chant est magique. Dès qu’il chante dans un sens, le jour se lève. Quand il chante à l’envers la nuit arrive. On dit que le coq qui vit chez Léonore a le pouvoir de faire se lever et se coucher le soleil. Mais on ignore, que son chant aide aussi tous les visiteurs et grands voyageurs s’arrêtant à l’auberge, à passer l’arme à gauche. Parce que justement, Léonore adore cuisiner ses locataires dans ses belles casseroles.

Un matin ou une nuit, on ne sait plus très bien, le coq ne veut plus chanter. Il est lassé de faire se lever et se coucher le soleil, exténué de pousser des cris pour tous les visiteurs qui cuisent ou cuiront dans les casseroles de Léonore. Dès lors, il n’y a plus ni jour, ni nuit et les voyageurs ne s’arrêtent plus à l’auberge. Léonore décide donc de quitter sa maison. Plus rien ne l’y retient.

Elle erre sur les routes, suivie du coq. Elle traverse une forêt, puis deux, puis trois. Elle passe une vallée et encore une autre. Enfin elle aperçoit un grand manoir gris, avec de larges fenêtres.

Léonore et le coq s’approchent. Ils poussent une très vieille porte et entrent dans une pièce aussi vaste que les vallées qu’ils ont traversées. Dans la salle, dorment toutes sortes d’animaux venus de tous les pays. Au centre de l’espace est dressée une immense planche soutenue par de gros tréteaux, où un décor de théâtre offre une scène semblable à celle des amuseurs ambulants ou des charlatans aux fameux remèdes miracles.

Comme il n’y a pas un seul coin de libre pour se reposer, avec les innombrables animaux endormis sur le sol, Léonore et le coq montent sur la scène vide. Fourbus, ils s’endorment.

Combien de jours et de nuits durent leur sommeil ? Nul ne le sait. Le silence règne au fond du manoir…

Puis vient un temps où un sifflement rompt le silence et le coq laisse aller son chant, de plus en plus fort. Les fauves, les singes, ouvrent les yeux et se déchaînent. Encore un chant, plus haut et les vaches, les chevaux, les cochons, évadés des fermes et des prés, se dressent sur leurs pattes. Peut-être le coq a-t-il rêvé qu’il en était un ? Le chant envahi tout le manoir et Léonore s’étire, répondant à l’appel. Elle se remet en route. Elle reprend goût à la vie et surtout aux visiteurs, puisque tous les animaux du manoir sont invités à venir chanter avec le coq, dans sa nouvelle auberge.

Signaler ce texte