Entre éditeur et auteur

divina-bonitas

Le problème n'est pas d'écrire mille mots, mais plutôt de se limiter à ce nombre ou à un autre, sans déborder ni dépasser de façon intempestive, incontrôlée, désordonnée, sans se laisser emporter par une vague lyrique qui prendrait des allures de raz-de-marée. Ce qui induit pour l'auteur en herbe que je suis, d'enlever deux paragraphes pour en ajouter trois, supprimer le diagramme de la pyramide de Maslow tout en en synthétisant la substantifique moëlle, choisir un titre tout en se disant qu'un autre pourrait mieux convenir. "Greffier! Rayez deux lignes!"  Ce n'est pas l'angoisse du vide ou de la page blanche mais celle du trop plein, de mots, de lettres, de chiffres et de sentiments. Môssieur l'éditeur m'e-mail que c'est encore trop long, qu'il faut couper court à la démonstration, étêter dix chapitres, raccourcir la conclusion, élaguer les métaphores, éviter les allégories, supprimer les dessins, gommer les points de suspension, scinder les conjonctives. Scientifique! Un peu de collyre dans chaque oeil et la vision s'éclaircit. Môssieur qui est un professionnel de la littérature, un habitué des salons où l'on chuchote le nom des derniers lauréats, veut que je me plie, tout petit comme un origami, moineau fragile aux ailes de papier, impossibles à déployer sauf à déchirer la figure délicate et les idées. C'est bien facile pour lui, qui écrit de son côté, des phrases policées, lesquelles murmurent des sentiments passés avec des mots chiadés, susurrant aux oreilles délicates de lecteurs âgés, des passions diluées, parfois achevées, à lire sans doute au coin d'une cheminée, les soirs où il n'y a rien à la télé. Pour faire bonne figure, il me fallut l'amadouer, parloter, aller jusqu'à lui demander ce qu'il avait publié. Je croyais naïvement à l'écouter, que cette personne respectée était un septuagénaire confirmé, quand je découvris qu'un lustre à peine nous séparait. Un de cristal pour lui, délicat et romantique, éclairant faiblement de ses beiges bougies un salon XVIII° au décor surranné fleurant la rose et le thé au jasmin. Un contemporain pour moi, mélange de cuillères d'étain percées, rubans de velours pourpre, bois flotté, pampilles de verre soufflé colorées, projetant ses lumières sur le sol d'un hall de béton ciré argenté. Deux univers aux antipodes, deux personnalités astrologiquement opposées avec des carrés, des triangles et des conjonctions contraires à chaque virgule, occasionnant moult conjonctures. Devant passer sous les fourches caudines de ses désiderati, je fis donc et refis, défis et réécris, enlevant la pagination, réduisant la taille des caractères, faisant mine de réduire de la toile, comme Pénélope, tirant sur un fil de pensée pour l'expurger sévèrement avant d'en tisser deux autres, l'assurant que ce labeur minutieux d'horloger helvétique respectait ses conseils et ses consignes. Il me fallut me taire, dire oui alors que je pensais peut-être, tourner cent fois ma langue loquace dans ma bouche avant de répondre à ses injonctions, lesquelles visaient à limiter drastiquement ma prose. Me montrant bon élève, j'ajoutais à ma voix des matières sirupeuses, tout en pensant à acquérir un chapeau à plumes pour cultiver l'art de la grande révérence, utile en ce genre d'occurence. Faire cette réduction de corps me fut une contrainte douloureuse. Insupportable  sensation d'être un renard aux mains d'un taxidermiste, appuyé contre un morceau de bois mort, pupilles oranges fixant sans les voir d'autres bestioles empaillées et des clients dérangés. Je m'y pliai néanmoins, m'imaginant, pour me convaincre du bien fondé de ces mutilations scripturales, capitaine d'un navire affrontant une tempête d'équinoxe, réduisant la voilure pour arriver à bon port, m'accrochant à chaque phrase comme on relit une carte de bord afin de tenir le cap. Les mots viennent chez moi comme des flots, fluides les jours de paix, tumultueux les matins révoltés. Le torrent de montagne jaillissant des berges givrées aux premiers jours du printemps reste difficile à dompter, d'autant que des truites énergiques et joyeuses ne pensent qu'à jouer sur la ligne aquatique. Transformer ce ru sauvage en douce rivière de plaine devient un défi qui frise la gageure. Supprimer les colchiques émergeant des névés hivernaux pour planter des brins d'herbe droits échappant aux saisons, perturbe la pensée au point que la psyché semble ne plus savoir que gribouiller. Devoir peindre au petit pinceau une colline verdoyante sans aspérités, ni vents, ni batailles est un art difficile pour qui aime barbouiller au couteau les contrastes des paysages intérieurs. Je m'interroge. Exite t'il des auteurs aux mots lisses, à la personnalité bienséante, qui n'auraient à dire, à mots couverts, que ce que chacun pense, qui savent traduire sans excès ni passion, l'âme des choses et des gens? A moins qu'être auteur ne consiste à murmurer aux tympans des lecteurs, plus de silences que de mots? Faudrait-il que je range au placard, sur l'étagère du haut, celle des conserves qu'on ouvre les jours de fête ou de disette, ma loghorrée et mes humeurs? C'est bien ce que me conseille l'éditeur pour que mon livre soit lu, compris et apprécié. Diantre, quelle épreuve pour les nerfs et les doigts sur le clavier! Ecrire de la musique Punk avec trois accords majeurs sans distorsions possibles, plutôt que d'inventer de la basse chiffrée baroque parsemée d'accents toniques, est une épreuve ardue pour les scribouillards, exigeant l'énergie physique des skieurs de l'extrême, la délicatesse des funambulistes, la patience du photographe et l'opiniâtreté du chasseur. Monsieur l'auteur, si votre ramage se rapportait à votre plumage, vous seriez le phénix des maisons d'éditions! Si seulement vous saviez ma vie, Môssieur l'éditeur, vous sauriez que ce que vous me demandez est coton, une toile tissée de fils de toutes les couleurs, machouillée, triturée, aimée, une robe de paysane sur laquelle j'essuie mes mains, chaque soir et chaque matin, que vos conseils paternalistes me chagrinent plus qu'ils ne me contraignent. Dans la vie, il y a des gens silencieux qui le sont parce qu'ils ont peu à dire, des ténébreux très ennuyeux portant des bonnets de nuit en hologramme, et des bavards que seule la mort fera taire.

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    · Il y a presque 13 ans ·
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