Errances désenchantées
lamevoyageuse
Errances désenchantées
16 juillet 1974. 13h46. Le soleil est radieux à Quimper. La technologie a immortalisé cette scène. Elle prend le soleil sur le muret. Elle le dévore. Elle veut cette peau noire à exhiber, à la rentrée. La bande est sans appel. J’entre sur la droite de l’image. Les bras tendus vers ma déesse. Le sourire au diapason de ce jeudi qui ressemble à un dimanche. Mon corps dit qu’elle est mon nord. Ses jambes légèrement fléchies dessinent un angle terriblement esthétique. La cadence heurtée de ma marche contraste avec son immobilité. Cette désynchronisation est absurde. C’est parce que je mets en danger à tenter d’attirer son regard, que l’image chute soudain vers le sol de gravier. J’aperçois à l’écran les sandales de mon père. Je ne connais pas encore la haine maternelle.
4 décembre 1976. 1h39. La nuit est profonde à Thiers. J’écrase bravement la neige fraîche. C’est sa main sûre qui peint ses lèvres qui a donné l’alerte. Le rouge a transpercé mon sommeil. Le couple a dit qu’il était une heure trente lorsque les phares de la voiture m’ont aperçue. Etre dehors, sous les flocons qui semblaient suspendus dans l’air, n’était rien par rapport aux fantômes de l’appartement vide. Malgré la terreur que m’inspirait sa présence elle avait le mérite de tenir les monstres éloignés. Je marchai vers la sécurité de l’adresse de mes grands-parents. Je n’ai pas eu froid, bien moins que je n’avais eu peur quand j’avais découvert qu’ils n’étaient plus là. Je ne sais pas encore que ce refuge deviendra la scène de crime de mon corps détourné.
15 octobre 1993. 11h58. La moiteur est dense à Saint Georges.la brûlure de la balle sur sa tempe perfore le silence du village. La peine que je ressens à l’annonce de sa mort n’est pas celle de l’aimée. Elle est celle de l’haïe, plus tenace. Je crois à son suicide. Contrairement à sa famille qui accuse son second mari. Personne n’est en paix. Les fantômes gagnent du terrain. Je préférais sa cruauté à son effondrement. Maintenant, mes armes intérieures sont en panne. Condamnée à l’affection. Alors que j’avais presque remonté la source de ses blessures. Celles que chacun l’aidait à garder secrètes. Pour préserver l’équilibre de la folie partagée. Dans la douleur et l’inquiétude, je paie maintenant le silence. A prix d’or, celui qui qui déchire les liens avant même qu’ils ne se tissent. Il m’isole de la vie ordinaire.
8 mars 2008. 16h17. Les éclairages artificiels ont des allures de fantômes dans les couloirs de la clinique. J’ai la nausée de cette surexposition de portraits d’enfants miraculés. Je pense à Nicole qui m’a volé mon enfance. Des années sans apprendre rien, l’esprit occupé comme un territoire étranger. J’ai dû faire semblant trop longtemps de la pardonner. Elle nous a, ma sœur et moi, salement handicapées du maternel. Elle a eu le choix, un jour. Il y a nécessairement une minute de sa vie où elle a décidé de se taire. De tuer quelque chose en nous. Elle camouflait sa fragilité sous le masque de vipère. Une fouille sans faille de chaque recoin de mon esprit, de chacun de mes gestes. Ne pas vaciller. Ses gémissements la nuit me tirant du sommeil. Je la croyais agonisante. Déjà coupable de sa mort approchant.
9 août 2010. 12h44. La mer de nuages est fiévreuse au-dessus du Lot. Il faut que je te parle Nicole. Dans cet avion, je trouve un trésor enfoui dans la terre asséchée de tes saisons démentes. Tu l’avais emporté dans les morceaux déchiquetés de ton corps explosé. L’écriture, maman. Elle est là. Comme toi avant, en mieux. En coloré. C’est un premier caillou blanc sur le chemin de mon retour à la vie. Je vais le polir. Je sens bien parfois que je pourrais passer ma vie à la déchirer. A souffler sur chacune des flammes vacillantes qui éclairent en dépit de tout. Dans cette danse perpétuelle avec les ombres et les fantômes, j’emboite désormais le pas au souffle des mots. Il touche la cible au centre parfait de l’anéantissement de ton souvenir. Il me libère enfin du devoir de te pardonner.
Douloureusement poignant. J'aime beaucoup.
· Il y a environ 14 ans ·bibine-poivron