Essaouira, l'ultime hommage.

lisou

Hiya... juste elle, en arabe. Essaouira, et son ombre sur le sable. Les mouettes volent, le soleil brille. L'odeur du marché aux poissons, non loin. Je m'armerai de courage, et j'irai au cimetière, demain.

Lorsque je pénètre dans la vieille Medina, je l'imagine enfant, jouant avec les chats errants qui se faufilent entre les cageots vides posés par terre, aux rebords des échoppes. J'arpente lentement la terre qui me mène à elle, admirant toutes ces bâtisses à la blancheur étincelante, en cet après-midi du mois d'Août. Différentes teintes de bleu embellissent le décor; et me rappellent que, proche d'ici, elle est là, elle dort. Aux abords de Bab Marrakech, quelques maisons de couleur ocre me font sentir la chaleur du pays, et celle de son sourire aussi. Le vent venu de la mer m'évoque son souffle sur mes blessures quand j'avais mal. Le bruit des vagues, sa sérénité, quand elle apprit que ses jours étaient désormais comptés.

La ville a probablement bien changé, au cours des décennies. Mais sa beauté et son charme légendaires sont tels que les gens affluent encore et toujours, des quatre coins du monde, pour admirer Al Suwayra, "la bien dessinée". A l'époque, j'imagine que les rues étaient tout de même plus vides, l'endroit moins touristique. Ce devait être plus calme aussi... C'est ce dont j'ai besoin, ce que je viens chercher. Un havre de paix pour me l'imaginer, pour mieux l'apprivoiser. Elle, cette ville, son enfance, et cette réalité.

Quand je pousse la porte de la Maison Hiya, je rencontre Naïma. Une femme d'une gentillesse telle qu'après quelques secondes à suivre ses pas dans le patio central, j'ai l'impression de pénétrer pour la première fois dans notre maison familiale. Hamid, son mari, porte mes sacs jusqu'à ma chambre pendant que leurs petits enfants courent joyeusement dans nos jambes, ravis d'accueillir une nouvelle arrivante. Une sensation étrange me traverse à mesure que je découvre les lieux : celle de me sentir chez moi... chez eux. Les meubles, les couleurs, les matières choisies; j'évolue dans cet espace comme s'il était le mien. L'hospitalité de mes hôtes aide aussi beaucoup, j'en conviens.

La vieille dame me fait signe de la suivre. Nous gravissons ensemble les escaliers de bois qui mènent à la terrasse, située sur le toit. Les dalles chauffées par le soleil et les bruits des oiseaux m'apaisent en un instant. Le paysage me coupe le souffle. Mogador s'offre à moi. La ville, puis la mer, à perte de vue. Je m'assieds en tailleur, sur une natte de paille posée à même le sol, les yeux vers l'horizon. Le linge, tout juste lavé, sèche sur un fil à côté de moi et vole au rythme du vent. Naïma me regarde avec un sourire bienveillant. Elle m'offre un verre de thé aux senteurs de menthe fraîche, plonge un gros bout de sucre roux dans l'eau encore brûlante et me dit doucement : "Bienvenue à la Maison". Sans un mot de plus, elle disparait et me laisse seule. Je ferme les yeux, une larme roule sur ma joue et un sourire se dessine sur mon visage.

Ce soir-là, mes hôtes me proposent de diner avec eux. J'aide Naïma à préparer le repas. Assises dans la cuisine, remplie de poteries et autres vaisselles du pays, nous parlons du Maroc, et aussi de la vie. Elle m'interroge sur l'objet de mon voyage, m'explique qu'elle ne voit pas beaucoup de jeunes filles s'établir seules, le temps de quelques jours, au sein de la Maison. Quand je lui réponds, dans sa langue natale, que des raisons familiales m'ont poussée à venir, elle semble désarçonnée. Je ne lui demande pas si c'est parce qu'elle découvre que je parle le dialecte, ou parce que, bien qu'ayant des attaches au pays, j'ai choisi leur demeure. Elle se tait un instant, sourit, me regarde dans les yeux, puis chuchote : "Quelle que soit la raison qui t'a menée à nous, tu es ici chez toi, ya binti.*". Je lui prends la main et la regarde quelques secondes, avec toute la reconnaissance du monde. Les larmes me montent aux yeux. Si seulement elle savait.

Le lendemain, après avoir arpenté la ville et ses dédales, j'arrive au vieux cimetière. Je scrute les tombes unes à unes. Soudain, je découvre la sienne. Hiya... J'aimerais tellement qu'elle sache que je suis là. Que j'ai suivi sa trace, jusqu'à Essaouira. La mort l'a prise si vite, je n'ai pas dit au revoir.

"Ya Oummi**, si jamais tu m'entends, saches que la ville de ton enfance est parmi les plus belles. Que je l'ai traversée, pour venir près de toi. Surtout ne t'inquiètes pas, on prend bien soin de moi. Maman, tu me manques tellement, et je ne t'oublie pas. Un jour je serai allongée ici, moi aussi. Je reposerai paisiblement à tes côtés... insh'Allah."

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*ma fille

**ma mère




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