Et c'est pourtant bien

petisaintleu

J'étais dans ma sixième année, ma deuxième ou troisième au mieux à saisir le rythme des saisons. On était venu me chercher à l'école pour déjeuner sous une pluie battante. J'étais assis dans la cuisine, dans l'attente du steak et de la purée faite maison où je creusai bientôt des sillons avec ma fourchette qui accueillit la sauce au beurre.

Je ne compris pas l'averse et les gouttes qui s'écrasèrent contre les vitres. J'avais pourtant lu dans l'Encyclopédie de la nature que le printemps annonçait le retour des beaux jours. Tout l'hiver, cloîtré dans ma chambre, je m'étais arraché les yeux devant les images des portées de marcassins, des coquelicots qui n'avaient pas encore été bannis des champs de blé ou des ruisseaux gonflés par la fonte des neiges.

J'avais conservé en mémoire les vacances de l'été précédent en Corrèze, à Chameyrat. Je m'étais amouraché du chat venu de la ferme voisine et qui n'avait pas de nom. Secrètement, j'espérais pouvoir l'adopter pour le ramener à la maison. Il aurait tellement été le compagnon idéal pour me sortir d'un enferment intérieur qui ne présageait rien de bon.

Pour la première fois de ma modeste existence, je m'étais baigné dans les eaux non chlorées d'un lac, la peur au ventre quand les ablettes venaient me caresser les chevilles. Je riais à gorge déployé quand une sauterelle que j'avais capturée me chatouillait la paume en se débattant. Le matin, réveillé par le chant des oiseaux, titillé par les rayons déjà ardents qui venaient, par le jeu des persiennes, zébrer le parquet et saoulé par l'odeur des pâquerettes et des boutons d'or, mon Nesquik à peine englouti, je partais à la conquête des ruines, assurément celles d'un château fort de combats médiévaux.

J'interrogeai sur cette incongruité météorologique. Pour toute réponse, je reçus une grêle de claques. Il faut dire qu'à la radio, l'animateur annonçait le montant de la Valise, qui n'avait pas été gagnée depuis deux mois pour dépasser les treize mille francs. L'orage se détourna vers cet imbécile de Metz qui ne l'avait pas noté.

On invita le chanteur du jour à rejoindre le micro pour y présenter son nouveau 45 tours. Il y était question d'un endroit qui ressemble à la Louisiane et à l'Italie. Au fil des paroles, l'éclaircie se fit dans mon esprit, m'entraînant vers des cieux lointains et plus cléments. J'en oubliai à l'heure du dessert de séparer les quartiers de ma clémentine pour les aligner en trois rangs face à la maîtresse. En temps normal, je les interrogeais. Aucun d'eux n'étant en mesure de me répondre correctement, ils finissaient écrasés entre mes molaires. Je terminais par l'institutrice, coupable de n'avoir pas su éduquer ses élèves.

Il me restait un peu de temps avant de retourner en classe. J'en profitai pour rejoindre mon bureau et ouvrir le dictionnaire. Je tombai sur un mot qui sonnait comme un bonbon au goût acidulé : mélancolie. Quant à la définition – état de tristesse vague accompagné de rêveries – elle m'accompagne désormais au quotidien.

Je ne suis jamais allé en vacances dans le sud. J'ai préféré, comme un écho à la chanson de Nino Ferrer, le garder vierge de toute déconvenue. Je risquerais de tomber de haut si je devais m'y rendre. Je craindrais de n'y croiser que des vendeurs de chouchous ou des starlettes siliconées. Les antipodes des enfants qui se roulent sur la pelouse ou du linge étendu sur la terrasse.

Peut-être, apaisé par le poids de mes années, que je m'y rendrai quand je serai à la retraite. L'automne, ce sera mieux. Violenté par le mistral, le regard moins dérangé par un bleu azuréen auquel je n'ai jamais été acculturé, je m'imagine au volant d'un cabriolet antédiluvien arpenter les routes de l'arrière-pays, rattrapant les années perdues grâce aux cassettes achetées pour rien dans une  braderie.

  • Les goujons sont plus doués pour la pédicure que les ablettes (de chocolat) :)

    · Il y a presque 2 ans ·
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    Edgar Allan Popol

  • Vous lisant, je me suis retrouvée enfant, au bord du canal de Bourgogne, avec mon grand-père italien, une canne à pêche dans les mains, sachant que des nonnettes m'attendent pour mon goûter....

    · Il y a presque 2 ans ·
    20180820 215246

    caza

    • Merci Dominique. Je comprends et je visualise.

      · Il y a presque 2 ans ·
      Cp2

      petisaintleu

    • http://welovewords.com/documents/la-melancolie-sous-les-tapis-star

      · Il y a presque 2 ans ·
      Autoportrait(small carr%c3%a9)

      Gabriel Meunier

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