Et maintenant je fais quoi ?

diane_writes

Et vous, que feriez-vous ?

J'aime courir le soir après manger. A la tombée de la nuit, quand il n'y a plus personne et que le gris du ciel de Manhattan laisse place à l'obscurité, un drap de brume épais recouvre Central Park et le plonge dans une torpeur humide et inviolable, le transformant en territoire vierge, en sanctuaire inexploré. C'est comme ça que j'aime le parc, j'y cours et mes pensées vagabondent au gré de mon parcours.

Souvent, je m'imagine propulsé dans des histoires extraordinaires, je me plais à construire mes fictions et je m'impose comme le héros de mes propres péripéties. Ce soir là, c'était au choix : "Je suis un soldat envoyé en mission dans la forêt amazonienne" ou "Je suis un mec lambda pris dans un complot". J'ai choisi le soldat. - si j'avais su - Oui, parce que la nuit à Central Park, les bosquets deviennent sombres et luxuriants, remplis de buissons et autres fougères. Mon esprit n'eut donc pas de mal à s'imaginer en Amazonie. Il fallait que je reste sur mes gardes tout en progressant rapidement. Au milieu de cette jungle moite, le danger pouvait surgir de nulle part, tous mes sens étaient en alerte et à chaque bruit suspect je scrutais les environs pour démasquer tout ennemi imaginaire potentiel.

Je profitais d'avoir atteri sur une allée en dur pour reprendre mon souffle, sûrement attiré là par le halo de lumière diffus d'un lampadaire au loin.

- Les bruits de pas derrière moi - 

Je me retournai et plissai les yeux. Au bout de quelques instants, je finis par distinguer une ombre, un homme. Il s'était arrêté de marcher et me faisait face. Je n'arrivais pas  à voir son visage, seulement cette masse obscure. Alors que je tentais de le dévisager, il sorti de derrière son dos une gueule d'acier béante, un long couloir de la mort qu'il pointa sur moi. L'arme infernale se mit à luire dans la lueur du lampadaire et son faible éclat semblait me lancer des clins d'oeil moqueurs :  "Tu en rêvais de ton aventure, eh bien la voilà ! Tu fais moins le héros maintenant, n'est ce pas ?"

Je restai là, sans pouvoir rien faire, le cerveau bloqué et le corps tétanisé, repensant à toutes ces conneries que j'avais pu débiter pour faire le beau devant des amis : "Moi si ça m'arrivait, je vendrais ma peau très chère! Je ne me laisserais pas faire, ah ça non !! Je comprends pas ces gens qui ne se défendent même pas."

J' avais l'impression qu'une éternité s'était écoulée, et on était toujours là, face à face.

Une éternité jusqu'à cet instant, jusqu'à ce que j'entende la détonation, le son redouté du canon qui se décharge de 8 grammes de plomb, 8 grammes qui devaient maintenant filer sur moi à plus de 340 m par seconde et viendraient trouer ma chair dans 10, 9, 8, 7 millièmes de seconde. S'il avait bien tiré je ne sentirais rien, la balle viendrait s'enfoncer dans mon crâne et je serais mort sur le coup. 

Vivant/mort. Sans transition. C'est aussi con que ça.

Dans 6, 5, 4 millièmes de seconde. La macabre minuterie continuait et me rappelait que je n'étais pas dans un de mes jeux de rôles. C'en est bientôt fini de John Sherman. C'est comme si je pouvais sentir la balle me déchirer et la vie jaillir hors de moi dans un flot bouillonnant qui emporterait mon dernier souffle, mon dernier battement. 

Dans 3, 2, 1 millièmes de seconde. Interminable, elle n'arrive toujours pas. J'ai les yeux écarquillés pourtant je ne percois rien. Rien, jusqu'à ce que je constate que je n'ai pas été touché. M'aurait-il raté ?

Non.

J'assistai alors au spectacle le plus terrifiant que j'ai jamais vu. D'abord le colosse vacilla, il agrippa sa poitrine d'où le sang jaillissait abondamment et tomba à genoux. Le visage tourné vers le sol, il s'écrasait. Sa tête claqua violemment le bitume et enfin, l'engin de mort atterri par terre, trébuchant deux fois dans un cliquetis métallique avant de rendre le silence à la nuit sacrée.

La détonation était venue d'ailleurs. D'où ? je n'en sais rien. Un invisible et mystérieux protecteur lui avait tiré dessus avant qu'il ne m'abatte.  Il était mort, le sacrilège réparé.

Alors seulement, je réalisai que je venais d'être le témoin d'un meurtre qui m'avait sauvé la vie. 

Mais comment tout cela est-il possible ? Qui était-il et pourquoi chercher à me tuer ? 

Seul, plongé dans la nuit opaque qui camoufle encore ma funeste rencontre, je réprimai mon envie de hurler : "Et maintenant je fais quoi ?"

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