Et pis... Fanny
vegas-sur-sarthe
c'est ici : http://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/et-pis-fanny
Au début je n'entendis rien ou presque rien.
Il faut dire que je ne suis pas du matin, alors les bruits du matin... Le raffut du dernier rasoir vrombissant de Germaine me rappelait plus le bruit de la tondeuse à gazon que celui d'une tondeuse à barbe.
J'ai ressorti le bon vieux rasoir mécanique que Germaine avait relégué dans un tiroir quand on s'était mis en ménage.
Un bon vieux rasoir mécanique est souvent synonyme de coupures , de saignements donc de pansements mais c'était le prix à payer pour que j'entende ce petit rien en me rasant.
C'était comme un chuintement, comme le souffle ténu d'une respiration que je finis par identifier en collant mon oreille contre le froid du carrelage.
Alors bizarrement – par je ne sais quel élan de curiosité que je ne me connaissais pas – j'ai commencé à gratter le joint du carrelage avec mon ongle.
Et puis de grattage en grattage – seulement deux minutes chaque matin après avoir refait mes pansements et pour ne pas me mettre en retard au travail – mes ongles se sont élimés.
Tout naturellement je me suis servi de la lime à ongle dont je n'avais plus d'utilité pour mes ongles.
Je calculai que si le mur était aussi friable que le joint, s'il faisait cinq centimètres d'épaisseur et s'il se trouvait précisément de l'Autre Côté un autre joint aussi friable que le mien... et à raison de trois millimètres par jour sauf le dimanche où j'en grattais le double, je devrais franchir la frontière dans quatorze jours soit le dimanche de l'Epiphanie, ce jour béni où Germaine se rend traditionnellement chez sa vieille tante Dolorès pour chercher la même vieille fève sucée et resucée dans une part de galette.
Depuis quelques jours Germaine me regardait bizarrement, à cause de ces pansements sur mon visage, sur mes doigts et aussi à cause de l'air radieux que j'affichais en sortant de la salle de bains où je m'éternisais deux minutes de plus que d'habitude sauf le dimanche.
De l'Autre Côté la respiration s'était amplifiée avec comme un petit sifflement poitrinaire à la fin de chaque cycle.
Forcément je me suis mis à imaginer l'organe qui sifflait, galbé et laiteux, se bombant à chaque respiration; c'est çà... une bouche pulpeuse qui aspirait et une poitrine de rêve qui transpirait. Et moi donc.
Le dimanche un ronronnement proche du bruit du sèche-cheveux l'accompagnait. ELLE devait les avoir longs, ruisselants sur ses reins au sortir de la douche.
J'imaginais des fesses fermes, joufflues et ce triangle sombre qu'en se retournant ELLE m'offrirait... IL m'offrirait?
Cette horrible idée me glaça le sang et j'en cassai ma lime à ongle.
Je passai alors à la vitesse supérieure avec ce fabuleux outil que les bricoleurs du dimanche possèdent sans même s'en douter, un couteau pointu qui allait percer ce mystère un dimanche de l'Epiphanie!
Chaque matin je scrutais la fine poussière, guettant un changement de couleur ou de texture qui m'annoncerait que je touchais au but.
J'attendais ça comme attend un roi de l'évasion, traçant parfois de la pointe du couteau de grands Z comme j'avais vu le faire le héros masqué et en noir et blanc de mon enfance.
Germaine ne m'aurait pas compris, on n'avait pas le même héros, son truc c'était les Feux de l'amour et si je la voyais dépérir à chaque épisode, je ne donnais pas long feu de son coeur d'artichaut.
La veille du jour tant attendu, alors que la poussière avait muté en débris de joint de carrelage rose je crus que le mien allait éclater... pas le carrelage mais mon coeur.
Seul un être sublime de délicatesse et de bon goût pouvait avoir eu l'idée d'un joint de carrelage rose dans cet immeuble si fade.
Deux millimètres de rositude me séparaient d'ELLE et de son ravissant petit sifflement de poitrine.
Et si ELLE était malade, bronchiteuse, asthmatique ou plus grave encore?
Bien vite le ronronnement rassurant balayait mes craintes, berçait mon oreille d'une douce musique mais j'y voyais par moment le bruit d'une horrible mécanique, celui d'un respirateur artificiel branché sur un corps chétif.
En ce jour suprême où s'élève ce chant traditionnel immortalisé par Annie Chancel "comme les Rois mages en Galilée suivaient des yeux l'étoile du berger" je crus entendre un autre chant alors que Germaine claquait la porte derrière elle ou bien c'est moi qui fredonnais :”Un prisonnier, qui surgit hors de la nuit Gratte vers l'aventure au couteau...”
Les ultimes coups furent fébriles et donc maladroits, je me coupai deux fois car j'avais éteint la lumière pour mieux découvrir l'Autre Côté, et sans crier gare la dame léboucha... pardon, la lame déboucha.
J'avais si longtemps collé mon oreille au trou que j'hésitais maintenant à y risquer un oeil.
Fort heureusement car de l'Autre Côté, ON fouillait aussi de la pointe d'un vrai tournevis, un du roi mage Merlin "là où les envies prennent vie".
Nos deux pointes avaient failli ferrailler comme dans l'inoubliable épisode Zorro contre Cupidon.
L'outil ennemi ayant fourragé puis pénétré outrageusement dans MON trou, il se retira enfin.
L'oeil que je vis était clair avec un iris gris foncé.
Pourquoi ai-je bredouillé: “Vous avez d'beaux yeux, tu sais...”; je n'en sais fichtre rien.
De l'Autre Côté ELLE s'était mise à rire; le ravissant petit sifflement poitrinaire s'était mué en un rire gras, un bon gros rire de femme bien nourrie, presque obscène.
Je l'ai entendue brailler à quelqu'un d'autre :”Ca ira comme ça pour accrocher ton maudit tableau?”
L'Autre a dû répondre oui car l'instant d'après, MON trou fut masqué – comme mon héros en noir et blanc de mon enfance – par quelque affreux cadre de supermarché.
En chevauchant à bride abattue tout en comprimant mon doigt sanguinolent avec un mouchoir, je devrais arriver à temps à Monterrey – plus exactement à Montreuil – chez la tante Dolorès pour gagner cette vieille fève et faire une reine.
J’ai adoré et bien ri en fredonnant l’air de Zorro...zorro
· Il y a environ 7 ans ·nehara
Moi aussi :)
· Il y a environ 7 ans ·vegas-sur-sarthe
"Le raffut du dernier rasoir vrombissant de Germaine me rappelait plus le bruit de la tondeuse à gazon que celui d'une tondeuse à barbe."
· Il y a environ 7 ans ·Germaine est la muse de tout le monde ici !
Tu veux dire qu'elle est touffue du gazon !!!! si je saute des mots !!!
Aurore Rodi (Ancienne Alice Gauguin)
ça c'est pour une version plus hot que je n'ai pas encore écrite :)
· Il y a environ 7 ans ·Merci de m'inspirer, chère amie
vegas-sur-sarthe
;) avec plaisir
· Il y a environ 7 ans ·Aurore Rodi (Ancienne Alice Gauguin)
Je t’avoue que la fin me déçoit. La progression dramatique était bonne, l’attente questionnante, malheureusement la montagne ne semble accoucher que d’une souris. Dommage. Désolé d’être si sincère. :o))
· Il y a environ 7 ans ·Hervé Lénervé
Pas de quoi être désolé. Il faut parfois sortir du cadre :)
· Il y a environ 7 ans ·vegas-sur-sarthe
:o))
· Il y a environ 7 ans ·Hervé Lénervé
J'ai lu avec empressement espérant pour toi, la belle sirène derrière le mur, hélas....
· Il y a environ 7 ans ·Un texte original, bravo !
Louve
Pas du tout rasoir cette aventure
· Il y a environ 7 ans ·bien plus longue que les Brèves
anna-c
J'ai pris une longue respiration pour cavaler ce matin parmi 580 concurrents :)
· Il y a environ 7 ans ·vegas-sur-sarthe