Et un jour naquit la neige

rcclarence

En des temps immémoriaux, dans une vallée surplombée par une des plus hautes montagnes du monde, un village vit naître une petite fille.

Un jour à peine après sa naissance, lors d'un violent orage, la maison dans laquelle elle vivait avec ses parents, s'écroula sous la chute d'un sapin. Des décombres, les villageois ne retrouvèrent que la petite fille vivante et en bonne santé. Comme elle n'avait plus de famille, Arturo, un fermier en âge d'être son grand-père, demanda au chef du village de l’adopter. Tout le grand conseil se réuni pour prendre une décision.

Le village retint son souffle. Connu de tous pour sa douceur et sa gentillesse, Arturo était l’un de ces hommes grand, robuste et sage. Seul ses cheveux poivre et sel lui donnaient un âge. Son visage à la peau tannée par le travail des champs était éclairé par des yeux d’un bleu rieur. Chacun au village savait que le plus grand regret d’Arturo était de ne jamais avoir eu de famille. Il avait choisit de devenir fermier lorsqu’il s’était installé dans le village. Avant, il avait passé sa vie à explorer le monde pour trouver les secrets de la vie. Après une longue journée d’attente, le chef du village donna à Arturo l’autorisation d’adopter l’enfant.  Arturo  prénomma sa petite fille Stella.

La ferme d’Arturo se trouvait en amont du torrent, légèrement à l’écart du village. Il possédait un couple chevaux qui partageaient l’écurie avec deux vaches paisibles et un cochon têtu comme une mule.  Les premières années de sa vie, Stella découvrit avec enchantement le bonheur du quotidien aux cotés de son grand-père.

Les années s’écoulèrent, et c’est ainsi qu’à l’âge de huit ans, Stella connaissait les noms de toutes fleurs et plantes qui recouvraient la vallée. Elle avait appris le cycle de la lune et savait quand mettre les graines des futures récoltes en terre. Même les animaux de la ferme n’avaient plus aucun secret pour elle.

Arturo était fier de ce qu’il lui avait enseigné, néanmoins, il voulait offrir à sa petite fille une vraie éducation. Il décida qu’il était temps qu’elle sorte de la ferme et qu'elle aille à l’école pour apprendre à lire et à écrire.

Pour la première fois de sa vie, elle allait être en contact avec des enfants de son âge.

Stella était à la fois excitée et anxieuse. Elle avait peur de l’inconnu et, en même temps, elle avait très envie de rencontrer d’autres enfants. La vieille de la rentrée scolaire, pour l’aider à s’endormir, son grand-père lui conta l’histoire du village.

« A la naissance du monde, les secrets de la vie avaient été cachés dans un des sommets les plus hauts de la Terre pour ne pas que les hommes puissent les trouver. Cet endroit était tellement élevé dans le ciel qu’on l’appela Le Mont Haut. Pour en protéger l’accès, une maison fut construite dans la vallée. Elle était habitée par un grand sage. Il veillait à ce que personne ne s’aventure dans la montagne. Beaucoup de voyageurs étaient venus de loin pour avoir la chance de percer les secrets de la vie mais tous échouèrent. Certains rentrèrent chez eux tandis que d’autres restèrent dans la vallée. C’est ainsi que se construit le village. Un jour, un homme plus rusé que les autres trouva le moyen de berner le sage et de grimper jusqu’au sommet. Alors qu’il redescendait, fier de son exploit, le sage le retrouva avant qu’il ait pu rejoindre le village et lui jeta une malédiction. L’homme ne pourrait jamais plus partir de la montagne. Il serait condamné pour l’éternité à protéger le sommet. L’homme, furieux, jura que chaque personne qui s’aventurerait au delà du premier col serait sacrifié à la montagne. Depuis ce jour, un énorme nuage cache le sommet et les rares hommes qui partent à l’ascension du Mont Haut n’en reviennent jamais. »  

Comme à chaque fois qu’il lui racontait une histoire, Stella, pelotonnée dans son lit, l’écoutait avec attention.

_ Dis papi, tu crois qu’elle est vraie cette histoire ?

_ Oui, je le pense. 

_ Alors ca veut dire qu’il y a un méchant monsieur qui vit dans la montagne ?

Son grand-père hocha la tête.

_ Est-ce que c’est un monsieur qui prend les petits enfants pas sages ?

_ Seulement ceux qui s’aventurent dans la montagne.

Stella réfléchit un moment.

_ Comment tu peux en être sûr ?

_ Parce que je l’ai rencontré.

Stella écarquilla les yeux, étonnée que son grand-père puisse connaitre un tel personnage.

_ T’es allé dans la montagne ?

Arturo sourit.

_ Oui. Avant de venir vivre au village, j’étais un explorateur. J’ai parcouru le monde pour trouver les secrets de la vie.

Stella très impressionnée, regardait son grand-père bouche bée.

_  Aller ! Il faut dormir maintenant. Demain, il y a école.

Le lendemain fut pour Stella un moment très difficile. Elle n'avait pas l'habitude de rester assise et, contrairement à ses camarades, elle ne savait ni lire, ni écrire. Ce qui à son âge provoquait les moqueries des autres élèves.

Alors que le maître lui avait demandé de venir écrire son prénom au tableau, elle en avait été incapable. La classe entière avait rigolé en la montrant du doigt. Le maitre les avait fait taire et avait rassuré Stella. Elle était une petite fille très intelligente et elle apprendrait vite.

 C’était vrai, elle apprit beaucoup de choses ce jour-là. La première, c’est que les enfants peuvent être très méchants. Elle découvrit la deuxième à la fin de la journée, quand tous les enfants sortirent de l’école. Ils étaient attendus par des dames qui les couvraient de baisers. Intriguée, elle rejoignit son grand-père  et attendit d’être rentrée à la ferme pour lui poser sa question.

_ Papi Arturo, je voulais te demander quelque chose.

_ Oui Stella, je t'écoute.

_ Quand je suis sortie de l'école, des dames attendaient les enfants. Elles leur donnaient des tas de baisers. C'est qui ces dames?

Arturo eut un pincement au cœur. Il n'avait jamais révélé à sa petite fille l'origine de sa naissance. Comme elle avait grandi dans la ferme à l'écart du village, elle n'avait jamais posé de questions sur autre chose que la vie à la ferme et Arturo s'était bien gardé de lui parler du monde extérieur.

_ Ce sont leurs mamans.

_ C'est quoi une maman?

Arturo prit une grande inspiration. Il était temps de lui révéler la vérité.

_ Tu sais quand la jument Carotte a donné naissance à son poulain Petit Pois.

_ Oui. Je m'en rappelle.

_ La jument, c'est la maman de Petit Pois. Une maman c'est quelqu'un qui te met au monde. C’est pareil pour les humains.

Stella sembla réfléchir intensément.

_ Ce n'est pas possible papi!

_ Pourquoi ma chérie?

_ Moi je n’ai pas de maman et pourtant je suis là !

Arturo fit assoir sa petite fille à ses côtés et il lui raconta l'histoire de sa naissance.

_ Alors j'ai eu une maman?

_ Oui, et un papa aussi.

_ Papi? J'ai une autre question ? C'est où l'âme des gens morts?

_ Comment ça?

_ Tu m'as dis, quand le vieux chien Moustic est mort, que son âme vivait ailleurs et que c'est pareil pour nous. C'est  où qu’elles vont les âmes?

_ Quand quelqu'un meurt, son corps va dans la terre, son âme dans les étoiles et son amour dans le cœur de tous les gens qui l'ont aimé.

Cette nuit là, la petite Stella ne trouva pas le sommeil car elle repensait aux paroles de son grand père. Elle aussi avait des parents quelque part dans les étoiles et elle avait très envie de les rencontrer. Au petit matin, elle avait pris sa décision et elle l'annonça à Arturo.

_ Papi ! J'ai bien réfléchi. Je veux que tu m’emmènes toucher les étoiles ! J’ai envie de faire la connaissance de mon papa et de ma maman.

_ Stella, ma chérie, c'est impossible de toucher les étoiles. Elles sont trop hautes dans le ciel !

Mais Stella en petite fille opiniâtre, s’obstina.

_ Je suis sûre qu’il y a un moyen! Je vais y arriver! Tu vas voir !

Les jours suivant, Stella continua à aller à l'école et fit de gros progrès. La vie reprenait doucement son cours. Enfin, en apparence seulement, car Arturo sentait bien que quelque chose avait changé chez sa petite fille. Elle n’avait plus qu’une idée en tête ; toucher les étoiles ! A chaque coucher de soleil, Stella grimpait dans des arbres toujours plus hauts pour essayer de toucher les étoiles à leur levée. Elle avait beau tendre le bras de tout son long, elle n’y arrivait pas mais au grand malheur d’Arturo, elle ne se décourageait pas. Impuissant, il la regardait partir à chaque crépuscule vers la forêt.

A ces quinze ans, Stella était montée aux sommets des plus hauts sapins de la vallée.

Un soir, après avoir de nouveau échoué, elle s’assit sur le rebord de sa fenêtre et réfléchit à une nouvelle idée. C’est au petit matin, lorsque le soleil s’étira, qu’elle décida de partir à l'ascension de la montagne en amont du village.

Elle savait que de vieilles légendes habitaient la montagne. Beaucoup d'entre elles parlaient d’horribles monstres ou de malédictions terribles mais toutes les histoires avait un point commun, personne n’en revenait jamais. Cependant, comme c’était un des plus hauts sommets du monde, s'il y avait un endroit où Stella pouvait aller toucher les étoiles, c'était bien là-haut

.

Plusieurs jours durant, elle hésita. Elle était partagée entre son envie de réaliser son rêve de rencontrer ses parents et celui d’inquiéter Arturo en s’aventurant dans la montagne.  

Finalement, Stella décida de partir à l’ascension du sommet. Pour que son grand-père ne se doute de rien, un matin au réveil, elle fit semblant d’être malade pour rester au lit. Le temps qu’Arturo passa aux travaux de la ferme, Stella prépara son paquetage.

Elle prit dans un sac du pain, du fromage et du jambon cru pour au moins trois jours. Elle emporta aussi des couvertures chaudes pour passer ses nuits dehors, le temps de grimper jusqu’au sommet.

Une fois le tout bien emballé, avant de prendre la direction de la montagne, elle déposa une lettre sur son oreiller à l’attention de son grand-père.

Arturo, comme à son habitude, passa sa matinée à prendre soin des animaux. Vers midi, il monta voir Stella pour voir si elle se sentait mieux.

En entrant dans la chambre vide, il vit immédiatement le morceau de papier posé sur le lit. Il le lu : « Mon papi bien aimé, tu m’as élevé comme ta fille et je t’aime comme un père mais j’ai besoin de savoir d’où je viens. Je suis partie pour le Mont Haut. Ne te fais pas de soucis, je serai de retour dans deux ou trois jours. Souhaite-moi bonne chance. Je t’aime. Stella. »

Arturo sentit son cœur s’effriter par la peur. Stella courait un grand péril.  

Le vieil homme prépara lui aussi un sac pour partir à la recherche de sa petite fille. Puis il s'arma de toutes ses forces et commença l’ascension.

Alors que son grand-père était partit à sa recherche, Stella fit une mauvaise rencontre. Un homme l’attendait sur le sentier qu’elle était en train de remonter. Même si elle avait voulu, elle n’aurait pas pu lui donner d’âge tant son visage semblait figé dans le temps.

Vêtu de vêtements immaculés, l’homme d’un regard froid observait Stella. Il prit la parole avec sa voix de pierre.

_ Sais-tu qui je suis ?

Stella ne pouvait détacher son regard de cet homme qui semblait sortir de nulle part avec des cheveux blancs si longs qu’ils lui descendaient dans le milieu du dos.

_ Non. Répondit Stella avec une petite voix.

_ Je suis Blanc, le gardien du Mont Haut. Je viens te mettre en garde. Si tu ne redescends pas dans la vallée et que tu franchis le premier col, tu ne pourras plus jamais repartir. Le Mont Haut protège les secrets de la vie.

Stella se rappela l’histoire que lui avait contée son grand-père.

_ Je ne suis pas ici pour percer les secrets de la vie. La malédiction ne me concerne pas. Je veux seulement toucher les étoiles et rencontrer l’âme de mes parents.

Blanc eut un sourire froid.

_ Cela ne change rien. Si tu continues ton ascension, tu seras condamnée à donner ta vie à la montagne.

Stella craignait le vieil homme mais son obsession était la plus forte.

_ Vous ne me faites pas peur ! Dit-elle d’une voix sûre et forte.

Blanc claqua dans ses doigts et une horde de loups apparut encerclant Stella.

_ Et eux ? Tu les crains ?

Stella compta au moins douze loups. Pour l’instant, ils étaient calmes mais ils semblaient obéir au doigt et à l’œil du gardien de la montagne.

_ Si tu choisis de continuer et de redescendre après, ils te rattraperont et te tueront. Ils connaissent ton odeur maintenant.

Avant qu’elle n’ait pu répondre quoi que ce soit, Blanc claqua à nouveau ses doigts et les loups repartirent aussi vite qu’ils étaient arrivés.

Le gardien du Mont Haut se retourna et disparut.

Stella comprenait mieux toutes les légendes qui entouraient la montagne, mais au fond d’elle-même, elle restait persuadée que comme elle ne venait pas percer les secrets de la vie, la montagne la laissera repartir.   

A peine une heure après, Arturo dut s'arrêter un moment. De grosses gouttes de sueur perlaient sur son front et son souffle était court. Fatigué comme il l'était, il se serait bien reposé quelques minutes de plus. Mais de savoir sa petite fille, seule, quelque part dans cette montagne, lui donna le courage nécessaire pour se remettre en route. Il marcha tête baissée pour ne pas voir le chemin qui lui restait à faire. A tel point qu'il en oublia que la nuit commençait à tomber. Il fut surpris au revers d'une courbe, quand l'obscurité s'installa.

Il ne discernait plus le sommet, mais il décida de continuer à suivre le sentier toute la nuit pour rattraper Stella. Il avait tellement peur qu’elle fasse une mauvaise rencontre. Arturo ne le savait pas mais le sort de sa petite fille était déjà scellé par le mont.

Plus haut dans la montagne, sa petite fille avait trouvé refuge à l'entrée d'une grotte. Elle essayait de s’endormir mais elle repensait sans cesse au gardien de la montagne et à sa mise en garde. Avant de fermer les yeux, elle contempla le ciel étoilé. Demain, elle pourrait enfin les toucher.  

Au bout de plusieurs heures, Arturo ressentit de plus en plus la fatigue. Il s'arrêta et regarda autour de lui. La lune noire rendait la montagne encore plus opaque. Il pouvait à peine discerner le chemin devant lui. Il se sentait perdu et, pour la première fois depuis très longtemps, il eut envie de pleurer. Il ne voulait pas perdre sa petite fille. Elle était sa seule famille.

Découragé, il prit son visage entres ses mains de désespoir.

C'est le moment que choisit une meute de loups pour l'encercler. Il releva la tête quand il entendit des grognements. Malgré l’obscurité, il vit des yeux rouges avancer vers lui puis il discerna des formes dans la nuit noire. Ils étaient une dizaine, le pelage gris et blanc, montrant les crocs  avec un air menaçant.

Arturo se releva. Malgré son grand âge, les travaux de la ferme avait permis à son corps de garder toute sa force.

Et alors qu'il aurait pu se croire perdu, Arturo rassembla tout son courage pour affronter les loups. Il ne pouvait pas s’enfuir, il savait que les loups le rattraperaient.

Arturo regarda autour de lui à la recherche d’une arme pour se défendre. Il saisit quelques pierres qui jonchaient le sol à côté de lui et les jeta sur les bêtes pour les faire fuir. Immédiatement, les loups grognèrent plus fort en s’avançant vers Arturo. Il se défendait bien mais les loups étaient nombreux et plus forts.

Arturo sentait qu'il perdait la bataille, déjà deux loups s'étaient approchés de lui, jusqu'à presque le mordre, mais il les avait repoussés au dernier moment.

Tout à coup, sans qu'il comprenne pourquoi, les loups se calmèrent et s'arrêtèrent de lui tourner autour. Ils avaient cessé de montrer leurs crocs, comme s’ils avaient obéit à un ordre.

C’est alors qu’il le vit s’avancer vers lui. Un homme de grande taille dont la longue chevelure blanche se confondait dans ses habits immaculés. Son visage qui semblait figé dans la pierre n’était animé que par le bleu transparent de ses yeux.

Arturo sentit son sang se glacer. Il connaissait cet homme.

_ Mes loups t’ont reconnu. Que fais-tu ici Arturo? Je t’avais pourtant mis en garde de ne jamais remonter ici.   

_ Je suis venu chercher ma petite fille.

_ Tu sais pourtant ce qui arrive aux imprudents qui s'aventurent jusqu'ici?

Arturo connaissait la réponse.

_ Ils ne reviennent pas.

_ C'est exact. Toutes les personnes qui franchissent le premier col ne peuvent revenir dans la vallée. Tu es à la limite, tu peux encore faire demi-tour. Quand à ta petite fille, je l'ai mise en garde elle aussi, mais elle ne m’a pas pris au sérieux. Elle a continué vers le sommet. Son sort est scellé, elle ne reviendra jamais dans la vallée.

_ Non, vous ne pouvez pas faire ça. Ce n'est qu'une enfant. Elle ne s’est pas rendu compte.

_ Elle est plus adulte qu’enfant.

Arturo savait que Blanc avait raison.

_ C'est vrai, c'est une jeune femme et justement, elle a toute la vie devant elle. Laissez-la vivre. Si elle est montée jusqu'ici, c'est seulement parce qu'elle s'est mise en tête de toucher les étoiles. Elle ne pensait pas à mal.

_ C'est ce qu'elle m'a dit. Je l’ai prévenue, si elle franchit le sommet, elle tendra son bras vers le ciel, elle touchera les étoiles et connaitra les secrets du monde. Et comme tous les hommes qui l'ont fait avant elle, elle les rejoindra. Toucher les étoiles n'est pas sans conséquence. Chaque personne qui décide de franchir la limite fait le sacrifice de sa vie.

_ Et si elle décide de faire demi-tour? Demanda Arturo, car il ne voulait pas perdre espoir.

Blanc eut un sourire sans chaleur.

_ Tu connais déjà la réponse.

Il claqua ses doigts et la meute de loup se mit soudainement à grogner.

_ Je vous en prie! Laissez la revenir au village.

_ Je ne peux pas. Une fois la limite franchie, on ne peut pas revenir en arrière. Le sommet du monde renferme les secrets de la vie. Si les hommes veulent les percer, c'est au prix de la leur. S’entêta Blanc.

_ Stella a des motivations différentes. Si ma petite fille veut toucher les étoiles, c'est parce que je lui ai dit que les âmes de ses parents vivaient parmi elles. Ses parents sont morts avant qu'elle n'ait pu les connaître. C'est bien normal pour un enfant de vouloir savoir d'où il vient. Je vous promets qu'elle n'a aucune mauvaise intention. Laissez la rentrer ! Je vous en prie.

_ Je voudrais bien vous accorder cette faveur mais je ne peux pas. Cette montagne est sacrée, elle va exiger un sacrifice. Il ne peut en être autrement.   

_ Laissez-moi lui demander de descendre et je monterai au sommet à sa place. Elle n’a encore rien vu des secrets que cache la montagne, n’est ce pas ?

Blanc s'accorda quelques instants de réflexion.

_ C’est exact. Reconnu Blanc.

Arturo implora Blanc.

_ Epargnez ma petite fille et laissez-moi faire le sacrifice de ma vie contre la sienne.

Pendant une minute qui sembla durer une éternité, Blanc et Arturo se dévisagèrent

 _ Je veux bien vous accorder cette faveur.

Blanc chassa les loups et il demanda à Arturo de le suivre. Ils marchèrent longtemps. Sans un mot. Et au bout de quelques heures, ils avaient enfin rattrapé Stella. Ils l’a trouvèrent endormie à l’entrée d’une grotte.

_ Je vous laisse avec elle. Quand elle sera éveillée dites lui de redescendre et surtout qu'elle ne fasse pas demi tour, sinon elle mourra elle aussi. Quand ce sera fait, continuez à marcher vers le sommet, je viendrai vous retrouver.

Puis Blanc disparut. Arturo resta longtemps à regarder dormir sa petite fille. Elle avait tellement changé au cours de ces années. Hier, il s'était vu confier un nouveau né et aujourd'hui c'est une belle jeune femme qu'il s'apprêtait à quitter. Malgré la tristesse du moment, Arturo ressentit de la fierté pour sa petite fille. Le jour commençait à éclairer le ciel. La douce clarté réveilla Stella qui fut très étonnée de voir son grand-père qui la regardait dormir.

_ Grand père? Mais que fais-tu ici?

_ Stella. Ma fille. Ma toute petite fille. Je suis venu te chercher, il faut que tu redescendes et que tu rentres au village. Je te demande de me promettre de ne plus essayer de toucher les étoiles. Tu vas te perdre à  passer ta vie à courir après le souvenir de tes parents. Il faut que tu commences à vivre pour toi ma fille. Je veux que tu me promettes de ne plus jamais remonter ici.

_ Mais grand père, et toi...

_ Ne m'interromps pas. Tu vas partir maintenant. Je sais que tu as rencontré Blanc et qu'il t’a mise en garde mais que tu ne l'as pas écouté. Tout ce qu’il t’a dit est vrai. La montagne exige le sacrifice de tous ceux qui franchissent le premier col.

Stella voulu parler, mais son grand père l'en empêcha.

_ Ne dit rien. Blanc a accepté que tu redescendes la montagne si je continue vers le sommet. Je suis un vieil homme maintenant. Regarde mes cheveux blancs et mes rides. Mon cœur aussi, si tu pouvais le voir, est fatigué de battre. Ma vie a commencé le jour où je t’ai recueillie et le plus beau cadeau que tu puisses me faire est de vivre heureuse. Stella, je t'aime ma fille.

Stella avait les yeux baignés de larmes. Elle ne voulait pas quitter son grand-père.

_ Pars maintenant. Ne sois pas triste, petite Stella. Tu me fais un cadeau du ciel en me permettant de toucher les étoiles à ta place. J’ai passé une grande partie de ma vie à les chercher et je vais enfin les connaitre.

Ils s'embrassèrent longuement sachant qu'ils ne se reverraient jamais plus. Stella redescendit la montagne, pleurant en silence.

Arturo, le cœur lourd, s'avança vers le sommet comme Blanc lui avait dit.

Il marcha toute la matinée.

L'homme l'attendait derrière un arbre.

_ C'est encore loin? Demanda Arturo pour cacher son trouble.

_ Une demi journée de marche.

Ils marchèrent dans le silence le plus total. Arturo pensait à Stella.

Ils arrivèrent au sommet en fin de journée alors que le soleil commencer à décliner. Arturo assista au plus beau des spectacles. Les couleurs explosaient dans le ciel, donnant naissance à une palette infini de nuances. Le sommet protégé par les nuages semblait être au-dessus du monde. La tristesse d'Arturo s'envola comme par enchantement face à la beauté du couchant. Puis une à une, les étoiles commencèrent à apparaitre.

_ C'est maintenant, le prévient Blanc. Vous pouvez tendre le bras. Mais avant, il vous faut faire un souhait.

_ Un souhait?

_ Oui un souhait. La plupart des gens souhaite que la vie dans les étoiles soit meilleure.

Arturo réfléchit.

_ Je désire que Stella puisse toucher les étoiles sans avoir à monter ici. Je veux qu'elle puisse toucher les étoiles sans avoir à donner sa vie pour ça!

Blanc ne fut qu'à moitié surpris par le souhait du vieil homme, mais il fut bien obliger de le lui accorder.

Blanc tendit la main vers le ciel. La température qui ne tombait jamais bien bas dans ce monde qui ne connaissait pas l'hiver, dégringola. A tel point que quand Arturo respirait, une fumée blanche sortait de ses narines. Arturo grelottait alors que Blanc n'avait pas l'air de sentir de différence. Il restait là, le bras en l'air, les yeux fermés, toujours concentré sur ce qu'il faisait.

Arturo vit une petite boule blanche tomber du ciel, puis une autre, Il tendit la main pour en recueillir une dans sa paume. Elle était froide et au contact de la chaleur de sa main, elle fondu rapidement. Mais il avait eu le temps de voir le dessin parfait d'une étoile.

_ C'est magnifique! Ce sont de vraies étoiles?

_ Oui, elles sont faites des âmes qui peuplent le ciel. Elles tomberont chaque année à la même époque quand la température deviendra glaciale. Vous pouvez partir tranquille maintenant.

Arturo tendit la main vers le ciel et sentit une force tranquille l'attirer. Il se sentait éperdument bien. Une fois dans les étoiles, lui aussi pu voir le monde. Il discerna Stella qui regardait ses drôles de flocons qui lui tombaient dessus.

Arturo lui parla depuis le ciel.

_ Voilà tes étoiles, ma Stella. Il y a un peu de tous les gens que tu as aimé dans ces flocons. Je vais te laisser maintenant. Si tu as besoin de moi, parle moi dans tes rêves, je serai là pour écouter. Je suis bien là-haut.

Les flocons tombèrent plusieurs jours durant, à tel point que la vallée et la montagne en furent recouvertes. Les villageois s'adaptèrent très vite au froid. Ils installèrent des cheminées dans leurs maisons, tricotèrent des gants pour toucher l'étendue blanche que formaient les flocons. Certains même, pour se déplacer plus vite, attachèrent de petites planches sous leurs pieds et se mirent à glisser au lieu de marcher.

Chaque année, à la même époque, l'amour des âmes descend du ciel pour se répandre au milieu des vivants. Et c'est ainsi que naquit la neige.

Comme la neige arrivait juste après l'automne et s'effaçait dès que le printemps pointait le bout de son nez, cette nouvelle saison fut baptisée l'hiver.

Le seul fait étrange, c'est que quelle que soit la saison, le sommet de la montagne restait enneigé. Comme si Blanc, le gardien, protégeait les secrets de la vie en rendant la montagne impraticable.

Les villageois n’appelèrent plus leur montagne le Mont Haut mais le Mont Blanc car il restait immaculé toute l’année.

Stella repartie vivre dans la ferme d’Arturo et elle y vécut heureuse. Chaque année, quand la neige commençait à tomber du ciel, elle sentait autour d’elle tout l’amour de son grand-père et de ses parents.

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