Extrait - Le gazon des fous -

Cathy Galliègue

Ailleurs, je pourrais sauter nue sur le rythme étourdissant des tam-tam, je pourrais me peindre le visage, faire des trous dans mon corps, fumer des choses qui vous ouvrent des portes interdites et même parler avec la mort. Je ne serais pas folle. 
Je suis ici. Ici, ça ne se fait pas.
Il faut que Guillaume comprenne qu'ici, ça ne se fait pas. 
Il n'est pas venu chez moi par hasard, il savait que je m'en sortais mal avec les compromis, et puis lui, il a le temps. 
Moi, je bouffe celui que je n'ai pas. « Quand on dort, on perd son temps » me disait toujours mon père. On peut dire que j'ai flingué mon capital pour le reste de mon existence, en quelques mois. 
Dans notre monde, les gens comme moi, on les enferme. On les abrutit, on les musèle, on les écarte du monde jusqu'à les faire ressembler à ce qu'ils sont vraiment. Des ombres, des âmes en peine de vie. 
Aucun vieux shaman ne viendra me déposer une couverture sur le dos, ne me chantera avec la bouche à peine entr'ouverte sur ses dents pourries un truc lancinant qui repousse la peur, personne n'attendra que je redescende doucement de mon bad trip. 
Je suis seule dans un endroit qui n'existe pas et je dois en trouver la sortie.
De ce fol envol, je m'écrase au sol et j'emporte avec moi les vivants. Je dois tuer un mort pour que la chute s'arrête. Où j'ai foutu la télécommande ?

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