Faites vos jeux...

Corinne Pelletier

J’attends tranquillement sur le quai, la rame de métro qui va me mener au sud de Paris, le temps d’un week-end entre amies. L’attente ne sera pas longue. La rame s’immobilise, les portes s’ouvrent, je monte et m’installe sur un strapontin en skaï bleu des plus laids. Le signal retentit, fermeture des portes, on est partis. Toute absorbée par la musique qui émane de mon casque, je n’entends rien de ce qui se passe autour de moi, seul mon regard se promène parmi les usagers, quand celui-ci est soudain attiré par les derbys roses chromés d’une femme. Mais qui peut donc porter ce genre de chaussures ? Je m’amuse à parcourir du regard la silhouette pour en avoir le cœur net. Socquettes blanches, un jean droit à revers de couleur bleu, un pull fin à encolure ronde de couleur taupe agrémenté d’un motif en étoile clouté qui dissimule un tee-shirt manches longues ivoire. Aucun bijou au cou, ni aux oreilles. Juste quelques mèches rousses d’un carré plongeant 60’s encadrant le visage ovale et pale d’une femme d’une quarantaine d’années.

Sur ses genoux, un sac à main de cuir rouge. Elle parle avec sa mère, du moins je le pense tant les points de similitude sont nombreux. Au gré de leur discussion, elle soulève légèrement le rabat de son sac, y plonge discrètement sa main gauche, farfouille, la ressort et la porte à sa bouche. Au bout de ses minces doigts, pend un crocodile rouge, qui s’il le pouvait,  verserait une larme pour ne pas finir broyé. Plus tard, même mode opératoire. Une fraise, cette fois, puis deux. Tagada, tagada, tsoin, tsoin, la vie est beau dans le métro. Elle en offre une à sa mère, qui l’accepte bien volontiers, avant de descendre à la prochaine station laissant sa fille seule. Un geste de la main en guise d’au revoir. Le signal retentit, fermeture des portes, on est repartis.

La solitude est vite chassée par la reprise du rituel, qui laisse de nouveau à ses lèvres un goût sucré de fraise. Se peut-il que son assortiment de douceurs soit totalement assorti à la couleur de son sac ? Je suis à une station de le savoir. Les paris sont ouverts :
« Faites vos jeux »
« Rouge » dis-je en mon for intérieur.
La main farfouille - « Les jeux sont faits » - attrape, relâche sa proie, farfouille à nouveau, l’agrippe fermement cette fois. « Rien ne va plus ».
Freinage brutal de la rame à l’entrée en gare. Coupure d’électricité ! « Noir, impair et manque » l’occasion de le savoir par faute d’une coupure d’électricité !  La lumière revient. La rame repart. Je vois rouge, la femme mastique. Arrivée à destination. Les portes s’ouvrent. Je descends. Sur le quai mon amie m’attend.

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