Femme se coiffant, fantasme du valet
wonderland
Elle se tient assise, encore dans sa robe de chambre ; majestueuse, inabordable, inaccessible. Elle cache avec son bras le visage que je connais par coeur, la forme des pommettes que je dessine en secret, les contours de ses lèvres que j'ose embrasser en rêve. J'entends à peine sa voix, elle semble fredonner un air romantique, mélancolique. Je me surprends parfois à penser que nos étreintes fictives puissent devenir une réalité naissante et délicate. Je l'observe, je l'épie, vulgaire voyeur que je deviens, je ne songe qu'à la rejoindre, l'enlacer, la chérir, l'honorer. J'imagine ses courbes sous ces couches de tissus, fragiles ; j'imagine mes mains se poser sur sa taille menue, j'imagine ma bouche courir sur son corps nu. Mes pensées me font honte, et il me vient soudain l'idée qu'on pourrait les entendre, violer l'intimité que je me suis créée. Il faudrait que je la quitte, mais je ne peux m'y résoudre, l'aura qu'elle dégage m'emporte plus loin que n'importe quel arôme. Les onguents dont elle se parfume m'ensorcèlent. Je suis pris au piège, possédé par une femme qui ne me connaît pas. Et si elle se levait ? Et si elle me voyait ? Je serai renvoyé, sans préavis, sans recommandation. Et si j'entrais ? Impossible. Je suis figé derrière cette porte, prisonnier de mes songes érotiques qui m'empêchent de l'abandonner. Le silence est tel qu'on entend l'aiguille trotter dans son cadran, et bientôt brisé par le tintement d'une cloche qui annoncera neuf heures.
A tout moment, la femme de chambre risque d'arriver, et de me voir, stupéfaite et indignée, espionner son envoutante patronne. Même cette peur ne parvient pas à me détourner d'elle. Les drapés de soie rose ondulent sur sa poitrine et laissent entrevoir un instant un morceau de chair rose, mes joues rosissent de nouveau. Les mouvements réguliers de la brosse cessent soudain, c'est une folle inquiétude qui me prend. Une chaleur étouffante m'entoure, les gouttes perlent sur mon front, je redoute qu'elle ne vienne vers moi. Mes jambes doucement, sans que je leur ai demandé, se mettent à reculer, et mes gestes maladroits me font tout d'un coup chuter. N'ayant plus le temps d'y réfléchir, libéré de ce songe éveillé, je m'empresse de courir, de rejoindre la salle commune, bruyante de tous les piaillements des femmes de ménage. J'embrasse l'espoir qu'elle me laisse l'apprivoiser et l'aimer.
C'est magnifiquement écrit et très délicat. Un érotisme évanescent et juvénile. J'ai beaucoup aimé.
· Il y a environ 11 ans ·elisabetha
Merci beaucoup, c'est très agréable d'avoir l'avis des autres sur une production, ça l'est encore plus quand cet avis est positif !
· Il y a environ 11 ans ·wonderland