Five roses for V.

Thierry Noyelle

Il fait noir entre le corps et soi depuis qu’elle n’est plus là. J’écris. J’écris pour rendre méconnaissable ce qui ne l’est pas encore. (Je t’offre une rose, au fard remontant sur un soupir du vent.) Son absence. Une ombre qui s’oublie dans  sa première livraison. J’écris. Je sais le jeu des mots anciens, les ondines au fond des bassins. Ces sœurs d’eau ont leurs mystères. Je ne suis pas le gardien de mes phrases. Comment départager le point du jour et le retrait des mots dans la bouche ? Les mots sont des prières que je dépose au fond des puits. Oublier le goût de la pluie et conserver dans le corps l’écart du déluge.

 

(Je t’offre une rose, dont le fruit rouge est un turban de sang.) Elle portait un joli décolleté et de grands yeux dorés. Elle m’avait cueilli à la sortie des écoles. Moi, petit instituteur qui avait ses enfants en classe. Elle est ainsi devenue la maîtresse du « maître ». Nous nous retrouvions en catimini dans l’école. Nous tirions les rideaux et la lueur des bougies faisait danser nos ombres folles sur les déclinaisons et les conjugaisons. Il existe un ciel où s’inverse la théorie de la lumière : j’avais touché son corps au milieu du jour. Quatre pétales de rose, c’est le goût des choses que j’avais retrouvées sur ses lèvres bien-aimées. Et j’imprimais sa beauté sur le drap d’un lit défait. De toutes les façons qu’ont les oiseaux de s’appeler dans les airs, je l’aimais. De toutes les façons qu’a le soleil de se grimer dans la poussière, je l’aimais. Elle avait pour moi le port d’une reine et le train des amantes. En hiver, nous avions patiné sur un grand papier d’argent au milieu des enfants. J’aimais me cacher dans le collier de ses bras, ses lèvres contre mes lèvres chassaient le froid. (Je t’offre une rose, étincelle ailée de nos amours ardentes.)

Mais, il faut croire que la fleur d’oranger se pâme au mois de mai et que la rose n’embrasse qu’un été. Elle voulut me quitter. Mon âme, mon âme dans une boîte à thé !! Son doux visage me hante et navigue entre mes tempes. Je connais les landes océanes et les coraux qui s’y fanent et j’ai perdu son regard. Je connais les encres de Chine et les amours qu’elles dessinent et j’ai perdu son sourire. Me voilà comme un guerrier sacrifié dans l’épais secret du blé. Moi qui ai touché l’ardent coquelicot de sa bouche. Je suis un monstre fait de diapason et de papillons recollés, un diplomate au cœur brisé. Une bête à double fond, dont la narration a cessé de se mouvoir dans son territoire orbiculaire. (Je t’offre une rose, offrande amarante aux gemmes odorantes.)

Je t’attends. L’amour me retient dans ses dentelles. Je t’attends. L’amour m’entretient dans ses ruelles. Je t’attends. L’amour me tient dans un buisson d’abeilles.

J’écris. Ecrire, c’est porter le double. Au travers de ce qui s’écrit, il est possible de traduire ce qui nous sacrifie. Restitution d’un territoire doublement effacé. Déplacé dans un lot d’écriture. Mais, les mots me quittent, rappelant ce que le deuil enduré peut soustraire du commerce des corps. Comme si  les lois du corps pouvaient se déduire de la lésion des blancs qui le divisent. C’est l’écriture remise à la garde des limites.

 

(Je t’offre une rose, tache de garance où l’amour prit naissance.) Voltigeant dans les airs. Interpellant tes pairs. Rejoindras-tu ton amour ? Gardée en sa plus haute tour. Indiquez-moi où se trouve mon ange. Nue sous un quartier d’orange. Incroyable amour.  Espérée de toujours.

Je suis riche de mes seuls jours défaits. Parler est un octroyer blanc.

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