Folie

leeman

seulement moi.

Jamais je ne saurai être aussi grand que les gens qui m'ont bercé. Ces personnes dont les mots ont perduré à travers les cacophonies du temps. Jamais on ne se souviendra de moi, hormis moi-même en relisant mes pensées torturées. Le feu qui brûle en moi n'est pas le même que le feu d'un autre, si fougueux. Il brûle mais me détruit ; il est une hargne pire que la masse lourde des jours infinis. Vertige, les secondes passent, et peignent la lenteur et l'évidence de notre déréliction. Les couleurs poignardent mon regard lorsque les voix explosent en moi ; j'ai vécu la symphonie des sens. Rien n'est beau, à part la fin, qui n'a de cesse de se présenter à moi dans mes rêves. C'est bienveillante qu'elle apparaît, pourvu qu'elle puisse détrôner pour toujours mes délicieuses douleurs. Le seul sourire qui se dessine sur mon visage est symétrique à celui du bonheur ; et il est véritable. C'est ma peine que j'évoque là ; mon semblant de peine. Je ne sais plus quoi penser, tant les sentiments fusent en vague et viennent fracasser ma conscience. L'eau de mon âme est trouble ; fade comme une lumière du soir. Elle recouvre ma profonde nature ; dissipe mes plus sincères tourments. C'est comme l'enfer qui se tapît sous les plus grandes beautés. C'est comme l'image d'un monde dont les couleurs apparaissent vivantes. Mais il n'est hélas question que d'une apparence, d'un triste voile qui recouvre la vérité. Le puits de mon for intérieur est fait par couches superposées ; c'est en haut qu'on voit les belles choses, en bas qu'on rencontre le feu le plus sombre. Car sous ces lumières naïves réside la vraie nature d'un sujet raté ; l'espoir a mûri, devenu grande folie, il est le fleuve que je chéris le plus. J'épouse ma misère, de plein gré, avec, cette fois, le plus grand des sourires. Rien ne m'inonde plus de bonheur que d'être épris par les regrets. Soit, l'effroi se peint de lui-même, à la chute de l'Astre, dans les cieux captifs du monde. Captivante, c'est cette obscurité qui m'enchante inlassablement ; c'est en elle que je ressens grandement le goût de la vie. Lorsque je crois peindre mes peurs et vaincre mes silences, je me noie dans les eaux perfides de la sérénité. Et quand vient l'heure de supprimer la joie suprême que nous vénérons tous, je m'évade des choses pour connaître la véritable obscurité. Il me faut maintenant abréger mes souffrances, car le jour se lève, et il me faut m'échapper de toutes ces atroces lueurs. Et quand bien même j'aurais pu souhaiter changer de vie, rien ne pourra me rendre plus heureux que d'être un homme de l'ombre. C'est en elle que je m'efface, et que j'existe en silence ; que personne ne me remarque ; je peux ainsi narrer les angoisses que me provoque l'infinitude de la vie. Je ne serai pas aussi grand que ces hommes qui me passionnent ; puisqu'il n'est question que de moi dans les quelques mots que je pourrais transmettre. Je ne serai jamais grand, parce que je n'ai rien pour être grand. La seule grandeur qui me paraît belle, et que je désire à jamais faire vivre, c'est celle de la folie qui sans cesse me ronge. Elle est omniprésente en moi, dans mes sens comme dans mon sang ; dans mes sentiments comme dans mes pleurs. La folie m'habite, et porte maintenant mon nom. La folie me régit, elle est ma plus pure identité. Il n'y a plus de sujet ; non plus d'individu. Il n'y a que moi pris au centuple, coincé dans le cercle du vertige entre mort et vie, entre lumières et ténèbres. Comme une censure qui me prive des beautés simples, je m'enferme auprès des détresses inaudibles. Dans ces mots qui nous font peur, dans ces voix qui nous transpercent, nous sommes pris par la peur, et notre souffle accroît, notre regard tourbillonne, notre front s'humidifie. Les choses s'emparent de nous, et nos sens sont dérangés ; nous sommes perdus. L'obscurité m'appartient, surtout lorsqu'elle s'accapare de moi ; je lui voue ma liberté. Ce n'est que peu d'espoir qui traverse mes lignes ; ce n'est que peu de vie qui transparaît dans mes mots. Mais rien ne peut m'éblouir plus que de vivre dans les ombres et les terreurs ; et rien ne peut me réjouir plus que de mettre à mort le symbole même qui manifeste la vie. Ma folie annonce le purgatoire de la lumière, la destruction des merveilles du monde, car, au fond, je suis un être déraisonné. 

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