fuite en enfer

Sophie Lecherbonnier

Se terrer, rester caché, parce qu’ils sont partout. Derrière chaque mur, dissimulés dans des voitures, en attente au café ou dans la rue. 

Je ne sors plus. Cloîtré au dernier étage de ce studio dégoté en secret. Une seule porte sur le palier, un seul accès. Chaque jour, chaque nuit, je guette. En un regard, j’ai tout en mémoire. La voiture rouge garée en bas, le kiosque à journaux, une femme, un vieillard et son caniche boiteux, s’éloigne. Puis il y a l’homme en imperméable sombre, visage baissé. Je sais qu’il n’est pas seul.

Le souvenir de cette fameuse nuit me hante encore. Je me revois, poursuivi, haletant, courant à toutes jambes. Les battements sourd de mon cœur résonnent à mes oreilles ou bien est-ce la cascade effrénée de leurs pas derrière moi ?

Cette fois là, j’ai survécu. Mais le péril était trop grand, après ça, je ne suis plus sorti. J’ai fait livrer ma nourriture. Je glissais l’argent sous la porte et le coursier déposait les sacs sur le paillasson. C’était rodé et ça fonctionnait.

Trop de semaines s’étaient écoulées, j’étais à cours d’argent. Les poubelles s’accumulaient. Je vivais dans les immondices. L’odeur avait alerté des gens. Ils étaient venus frapper à ma porte, et toujours le même refrain : « Y a quelqu’un ? » ils tendaient l’oreille pour percevoir quelque chose. Je restais appuyé contre la porte, la sueur au front, le visage tressautant de tics nerveux. Je n’avais jamais ouvert ; trop dangereux !

Je me réveille en sursaut. Les veilles incessantes de ces semaines sans sommeil m’embrument encore le cerveau, mais mon corps est en alerte maximale. J’entends des voitures s’arrêter devant le bâtiment. L’étage élevé de l’appartement ne me permet pas de voir ce qui se passe sur mon trottoir. Mais je sais qu’il y a plusieurs voitures au nombre de portes qui claquent. Je colle mon visage au carreau, mais je ne distingue rien. C’est aujourd’hui, je le sens. Je suis le condamné à mort, qui de sa cellule, entend les pas réguliers des bourreaux qui s’approchent. Je sens l’impuissance qui m’étreint devant l’implacable course des minutes qui me mène irrévocablement vers une mort préméditée. L’angoisse m’étreint, je transpire, mes mains sont moites. Je voudrais sortir de ce corps, m’immatérialiser, disparaître dans l’air, juste comme ça, d’un coup de baguette magique. Je me sens prisonnier de cette complexion dense que je ne peux dissimuler. Je regarde autour de moi, mais comment fuir ? Je suis séquestré entre ces quatre murs que j’ai choisis. Je me suis piégé ! Cet endroit n’offre aucune évasion possible. Dernier étage, une seule porte, un seul accès, une fenêtre trop petite.

J’entends des pas précipités dans l’escalier. Une voix hurle dans ma tête « Mais mon dieu, combien sont-ils ? »

Ils arrivent sur le seuil. Des coups violents sont assénés contre la porte. Je ne suis plus que terreur. Mon cœur s’arrête de battre, saisi par la voix brutale qui s’élève dans le silence matinal :

« POLICE OUVREZ ! »

Police ! Le subterfuge est si grossier que j’en aurais presque envie de rire ! Ils sont là, derrière ce panneau de bois qui m’a servi de rempart pendant des mois, il me paraît si fragile à présent.

Les coups redoublent, je ne réponds pas. Mes jambes ne me portent plus. Je glisse le long du mur, face à la porte. Je m’affaisse sur le sol, la tête dans mes mains, je me bouche les oreilles. Je ne veux plus entendre, je ne veux pas voir, je ne veux pas contempler le visage de ma mort. Je pensais avoir déjà contacté le summum de la peur. Je vois que non.

La porte vient d’éclater sous les coups de masse. Ils s’approchent de moi, je le sens. Je garde les yeux fermés, les mains toujours collées sur mes oreilles. Puis une voix de femme :

« Monsieur ROMAIN…»

Ils connaissent mon nom ! J’ai peur, j’ai tellement peur, j’urine sur mon pantalon raidi par les mois de malpropreté. Je reste prostré. Quelqu’un s’approche, se penche, s’accroupi. J’entends :

« Monsieur ROMAIN, je suis Julie, vous vous souvenez de moi ? Ca fait six mois qu’on vous cherche, vous nous avez fait très peur vous savez. Sa main sur mon bras :

« Venez avec moi ».

Je ne bouge pas, je ne peux pas. Les bras solides des faux infirmiers qui l’accompagnent me soulèvent. « Délire Paranoïaque » qu’ils disent. Ils vont me faire du mal, et puis me tuer. Je le sais, je l’ai toujours su…

Dans sa tête : La voix hargneuse et venimeuse de sa mère : « méfie-toi de tout le monde, j’te dis !!! Ils sont tous horribles et méchants, ne fais confiance à personne, parce qu’ils te feront toujours du mal. Beaucoup de mal, j’le sais !!! »

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