Grandes Manoeuvres
Robert Arnaud Gauvain
Grandes manoeuvres
Paris est bien la ville la plus décevante que je connaisse. Ceux qui clameraient que cette cité est pleine de charme, de vies et de surprises, ne feraient qu’apporter de l’eau trouble à mon moulin railleur: Paris est décevante parce que toute cette charmante vitalité étonnante, que célèbrent ses chantres, ne mène qu’à un ensemble urbain trop bruyant le jour, très banal la nuit. En dépit de vos dires, le diurne parisien ne vaut pas mieux que le nocturne, le jour est plein de laideurs, la nuit pleine de mochetés, le tout baigne dans son jus pollué, puant, agressif et sale. Paris ne répond pas à mes questions... et au risque de passer pour un plouc fini, je préfère ma banlieue. Ma banlieue ne laisse rien présager de bon, n’offre pas de façades miroitantes. De ce fait, elle ne déçoit jamais et peut réserver parfois de sympathiques petites découvertes. Si on prête foi aux élucubrations des défenseurs de la capitale, elle regorge de plaisirs, d’amusements et de sensations. Mais où donc ?
Oui, oui les monuments, les musées, tout ça d’accord, mais quid de la vraie vie dans ce gris dédale de rues vilaines et bruyantes, peuplées de cadres exécutifs, de touristes perdus, de toutes sortes d’ imbéciles malheureux… et surtout d’aimables parisiens si sympathiques ?
Le Paris Haussmannien historique et distingué peut émouvoir, je l’admets, mais pour moi il ne représente qu’un Paris engoncé, plein de IInd Empire et de IIIème République… Il sent les Prussiens, la Commune, l’ Affaire Dreyfus et plus que tout, il pue la Belle-Epoque et la fête insouciante. Le murmure de la catastrophe imminente qui s’ approche étant couvert par le vacarme des déjeuners sur l’herbe, du french cancan et des élégantes en ombelles et crinolines. Dans mon esprit retord, partant des dames, les routes du Paris de cette période aboutissent toutes à leur chemin.
Mais, bon, l’homme est plein de contradictions, car je me trouve justement cet après-midi à Paris, mû par l’oisiveté des derniers jours de vacances, Septembre s’ apprête à faire son lit, encore chaud du soleil estival, tous les raisins ne sont pas rentrés mais tous les aoûtiens, bientôt. La population usine et carbure de nouveau, se pressant pour dépenser le surplus d'énergie emmagasinée pendant son séjour sur les plages ou les sommets azurés, culpabilisant d‘ avoir osé prendre quelques jours de vacances alors que l’ urgence du redressement moral et économique du pays devrait les dissuader de ces petits acquis sociaux égoïstes. Dans cette productivité qui force le respect des imbéciles, il me plaît de ne pas encore brûler ces précieux neurones et calories entassés en moi. C’est jubilatoire de voir les autres travailler d’arrache-pied pendant que l’on erre sans but et sans heure, en gardant présent à l’esprit que les instants de plaisirs que l’on prend avec les espèces du contribuable ont débuté plus tôt que les siens et se termineront plus tard. C’est peut-être tout ce qui reste comme maigre satisfaction à ceux qui sont privés d’emploi, en tout cas, ça devrait. Moi, je n’ai pas ce problème, je suis juste un fainéant qui attend avec passivité et résignation que sonne le glas de la glande, ce qui va prochainement arriver. Je ne sais à quelle sauce je dévorerai ma paresse cette année mais je sais qu’elle ne sera ni relevée ni épicée, pour cela on peut compter sur moi. Cette incertitude ne m’angoisse pas, cela est presque stimulant de garder le suspense.
Tout le secret du bonheur est de se contenter de peu.
A l’intérieur de ce grand magasin, personne pour me renseigner, tant mieux. Je ne suis pas pressé, j’ai tout mon temps et je flâne entre les rayons dilatés par les commandes de rentrée. A ma droite une étudiante-vendeuse-je paye-mes études, assez jolie mais habillée de fonction, cherche à attraper mon regard, je l’esquive mécaniquement, habitué à une pratique de découragement passive mise au point depuis des décennies. Cette capacité à se fondre dans la masse, à se faire oublier de l’ enquiquinant vendeur, pétitionnaire gauchiste-animalier, clochard aviné, j’en passe et des meilleures, me permet fort souvent d’ éviter de genre de désagrément, ces contacts humains superflus qui parasitent mes réflexions, celles-ci volant nettement plus haut que ces agressions destinées à savoir si je désire quelque chose en particulier, si je suis contre la vivisection ou si j’ai pas une petite pièce monseigneur. Ou alors il faut que l’importun soit une très belle importune, et là bien sûr, je suis d’un seul coup très intéressé par ce blouson rose vif de bon goût en toutes circonstances, très révolté contre les abandons de clébs -au mois d’ Août en Espagne- et très touché par la misé… Non finalement, une clocharde belle ça n’ existe pas, alors dégage pouilleuse. Sorti de ces cas particuliers, en général je répugne à discuter de tout et de rien parce que ce sont surtout des discussions de rien du tout. Qui me tapent sur les nerfs. La caissière, la boulangère ou la charcutière qui croit être commercialement commerçante en me polluant l’ intelligence avec ses considérations scientifiques sur l’ anticyclone des Açores, elle ne connaît pas le risque qu’elle court d’avoir sa sale tête bovine à la une du vingt-heures, le présentateur gendre-idéal se fendant du commentaire affligé, « une honnête boulangère assassinée à coup de pain de quatre livres par un client irascible ».
Remarque: Comme précédemment, une tolérance sera appliquée pour une belle babilleuse mais pas plus de trois minutes non plus, faut pas déconner.
Il est de bon ton de faire l’apologie des petits disquaires, des petits libraires, des petites mains, mais leur coquecigrues me repoussent vers ces grandes surfaces impersonnelles et impopulaires, paradoxalement populeuses, propres à satisfaire mon désir de ne pas palabrer inutilement, me fondant en leurs entrailles avec une constante inconsistance proche d’un semblant de volonté. Et pour résumer de façon moins littéraire, plus de choses et parfois pour moins cher. Les prétentieux ne prétendant trouver l’objet de leur désir que dans des lieux étroits sont des idiots qui se croient trop malins, ce qui fait ressortir leur idiotie comme la fleur née du fumier. Deux alternatives existent:
Soit ils refusent d’admettre que l’ouvrage est vendu en gros, persistant dans leur aveuglement conscient, parce que cela signifierait pour eux le début de la fin de l’appartenance à une sorte d’élite de la culture de supermarché. Savoir que ce joyau est en fait accessible au commun des prolétaires les dégoûteraient, alors ils font semblant.
Soit ils jouent de chance, le bijou étant absent de l’espace robotique, par manque de stock, voire trop de demandes - ce serait le comble car preuve d’un grand succès auprès des masses obscurantistes- et ils font son acquisition, chez le petit marchand, clamant haut et fort que seul ce dernier a pu assouvir leur désir.
Revenons à la journée présente. Après une heure d’hésitations et de revirements, je choisis un livre au titre peu évocateur. J’essaierai de ne pas l’oublier sur la banquette arrière de ma voiture plus de trois mois.
Cherchant à combler ce vide existentiel qui ronge à petit feu ma pauvreté d’ esprit en possédant toujours plus, c’est tout naturellement que je paye, sors, et me dirige vers un autre type d’échoppe.
Car un homme nu, c’est beau mais ça attrape vite froid. Il est malheureusement obligatoire de briser le mythe du bon sauvage vivant dans le plus simple appareil en communiant avec le milieu environnant. Contraint de suppléer à ce lourd manque philosophique par un léger bout de tissu, je m’approche d’un beau pantalon dans une laide boutique. Le vêtement conviendrait parfaitement à mes musculeuses longues jambes, mon fessier évocateur et mon pelvis vigoureux.
Hélas, le bouge est déplorable. A l’intérieur de cette boîte de nuit de province au nom américanisé avec une faute d’orthographe (c’est peut-être fait exprès?), trône un gros barbu à casquette et lunettes noires, chemise ouverte sur une poitrine forestière repoussante, ornée d’une massive chaîne en or obligatoirement vulgaire: c’est forcément le patron. Dans les coulisses de ce triste théâtre, deux vendeuses coiffées et maquillées comme un soir de fin de semaine au Macumba de Ris-Orangis, cintrées dans leur consternant fuseau et leurs ridicules Santiags du Sentier essayent d’attraper l'œil du client. La moins moche exhibe un opulent décolleté et une vulgarité naturelle qui me font imaginer l’espace d’un instant la possibilité d’une baise sauvage dans la cabine d’essayage, d’autant plus que la musique syncopée et frénétique s’échappant des enceintes semble tout droit sortie d’un film à caractère pornographique des boules. Le jeu en vaut-il la chandelle?
J’examine à nouveau l’objet de mon désir - je parle du pantalon - attirant du coup l’attention de la reine de beauté qui se rapproche franchement de moi, impossible de ne pas la voir ... La bataille, si bataille il y a, sera meurtrière.
La reculade ou le conflit, ce sera le conflit. Dans ce genre d’ affrontement, la rapidité d'exécution est mère d'efficacité. La fougueuse fourgueuse passe à l’ attaque, elle déploie ses charmes (enfin tout est relatif, hein) en quinconce sur cette morne plaine, me toise d’une œillade qui se voudrait assassine, sonne la charge et enfonce mes lignes du redoutable jepeuvouzaider?
A partir de là, tout s’enchaîne très vite. Repoussé à l’ arrière du champ de bataille, cabine, elle ne m’y rejoint pas, enfilage, sortie, moue indécise de ma part, la fille ( quoique…?) reprend l’ offensive par le flanc, me fait l’article, mais comment trouver sympa un jean qui m’a été si sommairement présenté ? Moi, dans la vie, je ne me lie pas facilement et donner mon avis sur une relation si récente, cela m’est difficile. Le poilu, débordant mon arrière-garde, lance une attaque éclair à grandes frappes chirurgicales convaincantes dont il n’est point besoin de vous rapporter la subtilité. Pour épargner mes troupes en débandade, je me rends aux arguments de poids du duo, capitule en rase campagne et paye les dommages de guerre avec ma carte de crédit. Évoluant en terrain conquis, le guérillero de la fripe, victorieux mais magnanime, me lâche en guise d’adieu un prix d’ami sur les chemises, mais je suis déjà parti.
Sur le trottoir, je reprends mes esprits, confus mais content, puisque malgré la défaite, je suis tranquille pour un moment, je n’ achète pas de pantalon tous les jours. Mère, tout est perdu, fors l’ honneur et mon froc. Me jurant à moi-même ( c’est toujours moins grave d’ être parjure à soi-même ) d’ analyser cette déconvenue militaire pour améliorer ma stratégie...
Ma journée parisienne s’étire mollement, je regarde les banlieusards se hâter de réintégrer leur foyer pour jouir de quelques heures avant le sommeil prétendu réparateur qui à son terme, réveillera l’assujetti social pour un nouveau jour sans joie en attendant le week-end, ou, pour les plus optimistes, les prochaines vacances.
Les embouteillages du périphérique ne gâteront pas ma bonne humeur surtout quand je pense que certains se traînent ça tous les jours, et prétendent ensuite vous instruire sur la qualité de la vie... Arrivé chez moi, il me faut remplir l’oisiveté jusqu’au soir.
Même si l’ennui est une tentation légitime, ne jamais oublier que le travail est un droit égoïste qui déborde sur tous les autres et notamment sur le plus essentiel à la vie: celui de se poser calmement, mollement, ne rien faire d’autre que regarder passer le temps, sans culpabilité ni remords. Souffler un peu, reprendre des forces en vue des guerres à venir.
Parce que, pour sûr, pas d’erreur là-dessus, la vie est un combat.
Pour le bas des pages tronqué, j'essaie de générer des interlignes supplémentaires jusqu'à ce que les mots manquants passent à la page suivante. J'ai essayé pour moi et visiblement, ça marche. Après il convient de demander à un pote sur la plate-forme de confirmer qu'il voie bien la totalité du texte. Il est vrai que cela soit frustrant pour nous tous. A+
· Il y a presque 14 ans ·bibine-poivron
Quelle écriture ! C'est énergique, bestial, ultra-imagé, sarcastique. Bref, digne d'un pro. Chapeau Robert-Arnaud. Le prénom aussi c'est quelque chose... D'inoubliable.
· Il y a presque 14 ans ·bibine-poivron
Une touche de sarcasme, j'imagine un dandy déambulant dans le Paris qui n'a pas vraiment changé (de nos jours) de ce 19 siècle désabusé...
· Il y a presque 14 ans ·Jeanne S.
Quand on utilise la touche Lire, il ne manque rien, je pense. Très plaisant, j'aime
· Il y a presque 14 ans ·pointedenis
J'aime vraiment beaucoup. Un style plaisant, un parlé vrai un brin provocateur, du temps à revendre en mots pour cette âme livrée à elle même un brin aussi langue de pute...J'aime beaucoup ce personnage misanthrope. Coup de coeur pour faire partager ma découverte, au plaisir d'échanger de nouveau.
· Il y a presque 14 ans ·leo
Excellent documentaire sur le petit commerce. Si l'on pouvait se ballader à poil dans les rues de Paris, y'en a plus d'un qui ferait faillite, même diplômé des hautes études commerciales.
· Il y a presque 14 ans ·pouetpouet06