Grappes de silences.
ellis
Dans le passé des silences pendaient en grappes aux coins de mes fenêtres. C'était des silences déguisés en rôtis du dimanche, en cocottes en papier, en films de fille et soirées arrosées. Des silences propres sur eux, sourires grands et chansons dans le vent. Des silences-train-train-train et un bébé avant de la fin de l'année quand on finit la bouteille. Silences-sourires qui se mordent la langue. Silences feutrés avec des copines aux chandelles, silences prisonniers au fond des amours qui n'en sont déjà plus.
Dans le passé, mon ventre était vide et je portais ma croix. J'étais jeune et le poids c'était le poids. Fallait sentir ça, le poids que ça pèse, un enfant qu'on ne porte pas. Ca te suit partout c'est ça qui est fou. Tu as beau faire semblant de ne pas t'inquiéter, jouer la fille qui a le temps, jouer la belle insouciante, tout le temps ça revient. « eh ben toi, alors, c'est quand que vous mettez ça en route ? » Ca quoi ? Ca, la suite logique ? Ca, la suite convenue ? Ca, l'impérieuse exigence de ton horloge interne ? Ca, le petit pour le nid ? Ca, le truc qui manque à ta vie ? Ca, quoi ?
Alors, sur un petit bout de papier plié en huit, couchés vivaces questions et désirs, frustrations et peurs, écho terrible du vide à l'intérieur, plié en huit pour qu'on puisse mettre un pied de chaise dessus, et l'oublier dans un coin de la pièce le dimanche midi, devant le rôti.
Dans le passé des silences pendaient en grappes aux coins de mes fenêtres. Je faisais mine de ne pas les voir, mais je savais qu'ils étaient là et ça me faisait comme du verre qui se brise en dedans, ces silences sourires pour répondre aux bruyants et injustes bavardages. Je repense à eux, maintenant, je les regarde avec un peu de regret, et je voudrais leur demander un bête et pudique pardon. Parce que j'étais jeune et que le poids c'était le poids. Et que celle que je suis aujourd'hui voudrait les décrocher, ces grappes de silences, pour les jeter dans la sauce du rôti le dimanche midi, au nez de la belle-mère qui siffle un crachat de trop sur le temps qui passe et les petits qui viennent pas.
Et puis je leur dirais à eux tous à table, c'est vrai, c'est vrai, si vous saviez, si vous vous entendiez, c'est fou le poids que ça pèse, un enfant qu'on ne porte pas. Et puis, comme je suis une bonne fille, y en a bien un qui reprendra du rôti ?
Peinture : Frida Kahlo hôpital Henry Ford-1932
Le beau et l'intelligence derrière l'humain des autres...
· Il y a presque 8 ans ·Très toi. Comme tjs.
Merci pr celui-là.
Et bonne année également. Je te souhaite de toucher et attraper au minimum ce à quoi tu aspires...
wic
Merci à toi. Beaucoup.
· Il y a presque 8 ans ·ellis
Terrible et superbe !
· Il y a presque 8 ans ·Ana Lisa Sorano
terrible ou superbe je ne pense pas, mais merci, merci beaucoup
· Il y a presque 8 ans ·ellis
Les gens ne se rendent pas compte à quel point la maladresse, souvent involontaire ?? peut atteindre une femme qui a des soucis de cet ordre ... Tu l' exprimes fort bien cette douleur, merci Ellis
· Il y a presque 8 ans ·marielesmots
les gens se regardent beaucoup eux-mêmes, on ne peut pas trop reprocher la bêtise, le manque d'un vrai regard... on est un peu déçus, blessés, et puis on s'en accommode, les gens ce sont les gens... merci à toi d'être passée
· Il y a presque 8 ans ·ellis
Terrible votre texte ellis, terrible et émouvant !
· Il y a presque 8 ans ·Des phrases fortes comme : " c'est fou le poids que ça pèse, un enfant qu'on ne porte pas "
Et les piques de la belle-mère ! La dernière phrase également, quelle fin !
Grappes de silence : un témoignage magnifique et très bien écrit.
Louve
merci beaucoup Louve.
· Il y a presque 8 ans ·Ah, la belle-mère, un personnage de roman celle-là, en même temps ! ;) merci merci en tout cas
ellis