(2) HELENE

nyckie-alause

Hélène et Georges

Lundi.

Quand j'ai ouvert les yeux, le réveil n'avait pas encore sonné. La chambre était sombre, les rideaux tirés, une luminosité pâle s'immisçait par la porte entrebâillée.

J'ai eu l'impression d'une présence assortie d'une odeur inhabituelle, pas désagréable mais inhabituelle. Etrangère. J'ai reniflé un moment comme un chien sur une trace, autour de moi, les draps, les oreillers, la couette. C'était léger, je dirais presque fugace, porté par un courant d'air, un mélange cannelle/lavandin/cade/citron-citronnelle, avec une vapeur chaleureuse indéfinissable. Le lit ne donnait pas l'impression d'avoir été défait. Georges tire la couette et retape le coussin quand il quitte la chambre. Est-ce lui qui aurait changé de parfum? Je ne le crois pas capable d'une telle initiative, personnelle. Dans le panier de linge sale, j'ai respiré sa chemise qui ne dégageait qu'une légère odeur de sa sueur et de son déodorant. 

J'ai ouvert les fenêtres avant d'aller me faire un thé, vert et fort… dans la cuisine où flotte la même odeur, légère ; tellement légère que je me demande s'il ne s'agit pas de la réminiscence d'un rêve. Le soleil se décide enfin à percer les nuages pour éclairer la rue d'où monte des cris d'enfants en bonne santé. Je me penche à la fenêtre pour les voir défiler, toute une classe avec leur maître. J'aime me charger de ces émotions joyeuses avant de partir travailler. Je suis infirmière au quatrième étage, le secteur des enfants malades, en soins intensifs. Et palliatifs. Quand l'un ou l'autre de ces petits du quatrième éclate de rire, l'éclat semble plus un grincement ou un cri qu'une explosion de joie. Et ma soirée défile entre branchements, injections et consolations. Je passe sous silence l'état des parents, la colère, la solitude, le malheur, l'abattement, le désespoir…

Aussi, quand pour se rendre à la piscine, les élèves de l'école élémentaires passent en riant dans ma rue le lundi, je m'imprègne de leur joie et de leurs cris, de leurs joues rebondies et de leurs dents étincelantes, de leurs cheveux…

J'ai fermé la fenêtre et l'odeur est revenue. Je me suis retournée pour regarder derrière moi, jusqu'au fond du couloir, sombre. Je n'y ai vu personne. Je suis sortie pour quelques courses et à mon retour, j'ai retrouvée la même impression d'étrangeté. Quand la sonnerie de mon portable a retenti, j'ai hésité à répondre. C'était Georges et je ne lui ai parlé de rien. J'ai juste précisé que je m'en irai tôt pour ma séance de yoga avant mon service. Ce cours de yoga, nous nous y retrouvons nombreuses du CHU, de tous les services. Nous nous reconnaissons mais ne parlons jamais du boulot, juste un petit geste de connivence. 

L'animateur du cours de yoga se nomme Paul. Il commence toujours la session en disant « je suis pôôôl » avec un étrange accent, en traînant sur le [ô], ce qui donne à ce prénom banal des allures exotiques. Ceci est son seul travers. Un kimono impeccable. Des mains longues aux ongles transparents et brillant. Les muscles de ses avant-bras et de ses cuisses engendrent des effets moirés sur l'étoffe fluide du vêtement. Des cheveux ras aux reflets roux, une carnation claire, des lèvres ourlées… Et sa voix !  Une vibration harmonieuse et basse qui est capable de me mener jusqu'au sommeil.  Disons me plonger dans une léthargie douce et légère. 

Au milieu de la nuit, quand enfin je me couche, si le sommeil ne vient pas, j'imagine sa voix pour me guider dans l'oubli. Depuis quelque temps j'ai de plus en plus de difficultés à m'endormir. J'ai bien essayé de le dire à Georges. Sa seule réponse « Moi aussi ! En ce moment le boulot est difficile ! ». Il a dû croire que je lui parlais de ses nuits…

J'ai préparé mon sac puis, prête à sortir, je me suis ravisée. Dans la pénombre de la salle de bain, je suis restée longtemps sous la douche, jusqu'à ce l'eau tiédisse. J'ai poussé des petits cris.

Avant de fermer la porte, j'ai encore essayé de trouver l'origine de l'odeur. Sans succès. J'ai fermé à double tour. pour être sûre que personne n'entre en mon absence.

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