(4) HELENE, le mercredi
nyckie-alause
Mercredi.
Je ne sais pas ce qui m'est passé par la tête. Georges est arrivé tôt. Il avait l'air joyeux et détendu. Au lieu de me gratifier d'un horrible baiser-bouche-sèche sur le front — geste que de sa part je trouve odieux et condescendant — il a posé un baiser léger sur ma bouche en me serrant contre lui avec délicatesse. Pour disparaître l'instant suivant dans la salle de bain : « J'ai joué au tennis avec Charles aujourd'hui… Je lui ai mis la pâtée !!! ». Il a réouvert la porte un instant, sorti la tête et rajouté « Je vais reprendre une douche. Je trouve que je sens encore la sueur. J'ai réservé au “Miam“ pour dîner, ça te va ? »
Il y a mis le ton, mais ce n'est pas vraiment une question. Dans ce genre de situation, habituellement, je réagis façon chardon. Mais ce soir, décidément, je ne sais pas ce qui me passe par la tête. Je ne réponds que par acquiescements successifs et je sors de l'armoire la robe bleue que depuis longtemps je n'ai pas eu l'occasion de porter. Je suis « Zen et Positive » ; les séances de yoga de ces dernières semaines ont donné des résultats inespérés ; disons que c'est grâce à Paul, l'homme au kimono blanc…, que je ne me reconnais plus.
J'ai tourné un peu devant le miroir de la salle de bain — quand il l'a enfin libérée — et je me suis souri. Je n'ai pas pris un gramme, la robe me donne une allure gaie et légère. Une touche de maquillage, un soupçon de blush, un rehaut de rouge sur les lèvres… Un nouveau sourire pour vérifier mes dents. Parfaites. Mes narines frémissent quand, caché derrière l'odeur de verveine du gel-douche, réapparait la même nuance de parfum inconnu, les mêmes effluves légèrement suaves et tout à fait incongrus repérés la veille. Les mêmes questions, les mêmes doutes. Je plonge mon nez dans le col de sa chemise sale, dans le drap de bain, aussi dans les chaussettes. Ce parfum est là, sans y être, comme un souvenir, ancien, une persistance, un étranger fantomatique qui passe dans mon dos. Quand je me tourne pour saisir son image je n'en perçois qu'une lueur résiduelle. Ce sentiment d'étrangeté s'évapore quand Georges m'appelle « Dépêche-toi sinon nous serons en retard et nous risquons de perdre notre place ». Quoique. J'ai la sensation que la phrase s'adresse à une autre ; sa voix a une résonance différente ; il n'a pas dit « Hélène ». Je jette un dernier regard, avant d'éteindre la lumière, par dessus mon épaule, dans le vide.
Nous avons marché côte à côte jusqu'au restaurant. Si nous nous sommes parlé, je ne sais plus de quoi, si nous avons parlé. Il a ouvert la porte de l'établissement et s'est effacé pour me laisser entrer, rajoutant à mon passage une légère courbette — le grand jeu ? La sensation de ce parfum qui me poursuit a encore une fois traversé l'espace. J'ai tourné la tête, pour voir Georges me sourire, innocent… Puis nous avons dîné. Il donnait l'impression d'être à l'écoute de ce que j'essayais de lui expliquer : l'étrangeté, l'odeur, la sensation d'une présence…
Il a posé sa main sur la mienne, comme une caresse en me disant « Tu es belle ! » ou quelque chose du même goût. Sa main sur la mienne ! J'ai ressenti à son contact comme une souffrance sourde, une décharge électrique derrière mon sternum, qui dure, dure. J'avais peut-être trop bu ? La fatigue de cette semaine de travail ? Sur le chemin du retour, il m'a proposé de m'appuyer sur son bras.
— Non, ça va bien, je n'ai pas tant bu !
Nous sommes rentrés du même pas, comme à nouveau accordés. Quand j'ai pénétré dans l'appartement, j'ai retrouvé mes épines de chardon et ma routine, j'ai quitté comme à regret la robe bleue et je me suis couchée. A la lisière du sommeil, le parfum est réapparu, dans une inspiration profonde avant de sombrer.
Est-ce que je l'ai rêvé ou cela s'est-il réellement produit , mais nous avons fait l'amour. Sa peau et son odeur, ses muscles, le contact de ses mains, tout a été différent, la façon même dont cela a commencé. J'ai préféré garder la lampe éteinte — l'image du professeur de yoga m'a traversé l'esprit, en s'attardant.
Au matin, dans ma cuisine, Georges était là. Dans ma cuisine, je n'ai vu qu'un étranger. Je lui ai demandé de partir. D'aller retrouver qui il veut. De sortir de ma vie.
Joli texte !
· Il y a presque 10 ans ·petitepepite
Merci. J'espère que le dernier chapitre "sur le pont" te plaira aussi. A bientôt
· Il y a plus de 9 ans ·nyckie-alause
Les hommes devraient tous s'appeler Paul. Dans le dernier paragraphe, il me semble avoir vu un 'et' en trop...
· Il y a presque 10 ans ·effect
Tu as raison et j'y remédie immédiatement. Merci
· Il y a presque 10 ans ·nyckie-alause
Voyons voyons ... Je vais lire la fin A+ Kissous
· Il y a presque 10 ans ·vividecateri