Hello Jane !

veroniquethery

  J'ai décidé d'apprendre une nouvelle langue. A l'école, j'ai appris l'anglais et l'allemand. J'en ai gardé des souvenirs assez pénibles. Dès les premières heures de cours, le prof d'anglais m'a fait remarquer assez sèchement que Brian n'était pas une brioche ! Comment l'aurais-je su ? D'une, ce gars-là, Brian, je n'en avais jamais entendu parler et, sans doute, n'allais-je jamais le rencontrer. Alors, qu'il ait été une quiche ou une brioche, je m'en tapais un peu. Quant à la prononciation de son prénom, en quoi était-ce fondamental ? Pourquoi ce prénom et pas un autre ? En 4ème, en allemand, rebelote ! La même obsession professorale, sauf que le modèle masculin se prénommait Peter ! Enfin, comme c'est le même en anglais qu'en allemand, soudainement, mes camarades avaient dû se sentir bilingues.

  Moi, je me sentais surtout frustrée ! Tout ce chahut pour maîtriser l'accent. A quoi bon ? Quand Jane Birkin s'exprimait dans un français plus qu'approximatif, je voyais mon papa s'exciter comme un taureau devant le matador. C'était si mignon sa façon de prononcer les mots. Il s'en fichait de son accent. Tout ce qui l'intéressait, c'était son joli visage et sa poitrine de gamine pré-pubère. Et vu, qu'elle avait un succès terrible partout où elle passait, j'en ai déduit que l'accent n'avait pas grande importance. D'autant qu'elle aurait eu bien tort de ne pas parler le français sous prétexte que son accent était pourri, puisque notre beau pays en regorge. Près de 28 différents dans l'hexagone. Alors, elle avait eu bien de la chance, Jane, de ne pas croiser un de mes professeurs, qui l'aurait remise à sa place en lui disant qu'Albert était un camembert.

  Vous allez me dire que je me cherche des excuses à mon ignorance. Oui, très certainement. Brian et Peter n'ont été que des prétextes. Il me suffisait de me répéter, comme un mantra, que j'étais réellement nulle et le tour était joué ! Je n'avais plus aucun effort à faire. Alea jacta est !

  Or, récemment, j'ai appris qu'un jeune Américain de 17 ans parlait couramment 20 langues. La première, il l'a apprise à 8 ans : le français. Pas à l'école, mais en regardant des dessins animés. Quant aux autres, il dit avoir commencé en mémorisant les textes de chansons. C'est impressionnant. Pourtant, il n'est pas le champion des polyglottes. J'ai lu qu'au XVIIIème siècle, le cardinal Giuseppe Mezzofanti était considéré par Lord Byron comme un traducteur universel, qui aurait dû être engagé par Dieu dans la Tour de Babel ! Il en aurait parlé couramment 60, aurait été capable de faire des traductions en 117 autres et 72 dialectes. Le chinois aurait été particulièrement complexe, puisqu'il lui aurait fallu 4 mois pour le maîtriser. Comment expliquer un tel don, alors que moi, j'ai tant de mal à baragouiner trois phrases en anglais, quand un touriste me demande son chemin ? La honte m'a soudain submergée. Et, j'ai décidé d'y remédier.

  Faisant fi de mon orgueil et de mes préjugés, j'ai donc acheté un petit guide des « 1000 mots indispensables » pour parvenir à m'exprimer dans la langue de Jane Austen. J'ai ouvert le sésame pour découvrir les 10 phrases présentées comme essentielles :

« My name's Jane. What's yours ? » Là, déjà, je n'en revenais pas ! Jane ! Pas Brian, ce fichu salopard qui préfère bouffer des brioches plutôt que de bons croissants français ! Non, Jane ! Comme l'auteur dont je raffole dans la version française. Jane ! Comme la chanteuse aux seins plats, qui fait fantasmer les papas et décomplexe les petites filles de ne pas avoir encore assez de matière pour remplir un soutien-gorge. Jane ! Comme la jolie compagne de Tarzan. Voilà, soudain, j'étais plongée dans la forêt africaine ! J'entendais les grands singes se tambouriner fièrement leur poitrine, les lions rugir dans la savane, les tam-tams des pygmées retentir au loin ! C'est ça, apprendre une langue étrangère. C'est sauter dans l'inconnu, voyager dans le temps et l'espace. Je poursuis ma leçon !

« Pleased to meet you. » Évidemment que je suis ravie de rencontrer Jane ! Pensez donc ! Elle va peut-être me présenter Darcy, qui m'a tant fait rêver, adolescente.

« How do you do ? » Oui, évidemment, c'est un peu nulle comme entrée en matière. Ça paraît poli, mais en fait, non ! Demander à quelqu'un qu'on n'a jamais vu « comment allez-vous ? » Waouh ! Les auteurs du manuel sont sans doute fortiches en anglais, mais les règles de bienséance, ils ne doivent pas connaître. D'ailleurs, la traduction littérale est « comment faites-vous ? ». Ben oui, l'expression date du Moyen-Age et fait référence explicitement à la consistance de vos selles. Vous me voyez demander à Jane comment… Non ! Je préfère poursuivre la leçon en espérant qu'elle ne s'offusque pas de cette curiosité malsaine et qu'elle la mette sur le dos de ma pauvreté lexicale.

« I love being here. » Oui, enfin... Là, encore, les auteurs n'ont pas trop réfléchi. Imaginez que je croise Jane dans les WC. Alors, là, c'est le bouquet. Dans ce lieu malodorant, où on ne reste que le temps strictement nécessaire, je m'extasierai comme si je me trouvais au Ritz ! Sûr qu'elle me prendrait pour une dingue ! Et jugez à quel point la question précédente insisterait sur ma curiosité mal placée. Moi, si un jour, quelqu'un me demande, quand je sors des toilettes publiques, comment étaient mes fèces tout en s'exclamant sur la beauté du lieu, je prends, derechef, la poudre d'escampette.

« Would you like me to show you arround ? » ! La traduction me laisse sur le cul ! « Voulez-vous que je vous fasse visiter le coin ? » ! En fait, c'est une obsession ! Soit l'auteur souffre de la prostate, soit il est urophile ! POURQUOI feriez-vous visiter le petit coin !? Voilà, je te présente l'urinoir sur la droite, le lavabo à gauche. Et… N'importe quoi !

 J'ai tellement honte que je me jette sur la dernière  : « I had a great time ». Oui, oui, c'est certain que j'ai passé un bon moment. Maintenant grâce à ce guide pour scato, Jane me prend pour une folle à lier ! Merci l'anglais, hein, franchement ! Merci vraiment !

  Je ne serai jamais bilingue, ça c'est sûr ! Et, polyglotte encore moins. Ou alors à la manière d'Henri Dès ! Allez, bye !


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