HENRY

Lulla Bell

J'avais tout juste onze ans quand j'ai pris conscience que j'aimais Henry.

Je le côtoyais depuis mon enfance. Il faisait partie de la famille par des liens si éloignés qui n'en faisaient peut-être même pas mon cousin. Je le voyais pratiquement à chaque vacances, il avait 9 ans de plus que moi, il était mon seul confident. On s'écrivait de longues lettres, on parlait des heures lorsqu'on se voyait, on nous surnommait les inséparables. Je me découvrais à travers lui, j'avais les questions, il détenait toutes les réponses ; moi à l'écoute, prête à tout apprendre, tout avaler, tout boire, tout gober de lui, de ses paroles ; moi suspendue à ses lèvres et noyée dans ses yeux de myope derrière ses lunettes. Des yeux qui me mangeaient toute crue.

Henry a été toute ma vie jusqu'à mes 22 ans, année où j'ai appris qu'il vivait avec une femme depuis de nombreux mois déjà, année où j'ai avoué à tout le monde que je l'aimais .

Mes parents s'en souviennent encore certainement. De toutes façons, cet amour se voyait sur moi comme le nez au milieu de la figure, et c'est peu dire vu mon nez ...

Tout s'est effondré quand j'ai compris qu'il ne ferait pas sa vie avec moi, que nous ne vieillirions pas ensemble, que nous ne partagerions jamais nos nuits et nos petits matins, que je ne sentirais jamais ses mains sur mon corps pour le faire frémir et s'arc-bouter ; que je n'aurais pas d'enfant avec lui.

C'était énorme comme souffrance de se dire que je n'étais pas la seule à partager ses pensées et son cœur -si seulement j'y étais juste un petit peu dans son cœur- que je n'avais plus ma place.

C'était énorme aussi de réaliser que j'avais 22 ans, lui la trentaine passée et que depuis douze ans je ne m'étais jamais rendue compte qu'il était un homme bien avant que je sois jeune fille, que je n'étais encore qu'une enfant alors qu'il était déjà majeur ;  j'étais une fillette qui se prenait pour une femme, tout bêtement parce que la passion me dévorait avant d'avoir l'âge et le physique de consommer l'amour. J'ai aimé trop tôt, ou peut-être Henry m'a-t-il aimée trop tard, s'il m'a aimée ?

 

Romantique et  fleur bleue, j'espérais un premier baiser en parcourant les champs de blés ; j'attendais une déclaration, sa déclaration en glissant sur le lit de la Dordogne dans la barque construite par son père. Cette rivière-là, c'était ma ''rivière Espérance''.

Alors, comme rien ne se passait comme je l'attendais, j'ai réagi en adolescente, sur un coup de tête.

Aujourd'hui, je ne regrette rien de ce que j'ai fait.

j'aurais juste dû trouver le courage de lui parler de ce que je ressentais pour lui et des espoirs fous que je nourrissais. Mais comment parler d'amour à un homme ?

Pour lui, j'ai arrêté de manger.

Pour lui, j'ai quitté ma maison avec un baluchon et 396 francs en poche.

Pour lui, j'ai pris le train direction Paris, sans savoir comment arriver à son appartement parce que mon but était de le rejoindre.

Pour lui, je me suis retrouvée sur un quai de gare immense, à 21 heures,perdue, désemparée de ne pas le trouver là à m'attendre.

Pour lui, j'ai écrit des centaines de lignes, des centaines de lettres dans lesquelles je lui expliquais ma vie insupportable, où j'essayais de lui faire comprendre que plus rien n'avait de sens en son absence. 

Pour lui, j'ai fermé les yeux sur les autres,  j'ai accepté d'apprendre un métier imposé parce qu'il exerçait le même à Paris.

Je lui ai donné toute mon adolescence, tous mes rêves, tous mes instants mais il ne m'avait rien demandé.

Il ne m'a rien volé.

Je lui ai tout donné parce que pour moi c'était naturel d'offrir ainsi ma part de vie à l'homme qui allait me prendre un jour dans ses bras, m'embrasser, me dire je t'aime, m'inviter à vivre chez lui, me faire l'amour et des enfants.

Je ne peux rien lui reprocher car il m'a transportée pendant toute mon adolescence.

Il m'a aidée à me sentir plus légère, à mieux supporter les épreuves. Il a été auprès de moi tenant parfaitement le rôle d'un grand frère ; moi,  je croyais assurément tenir la main d'un grand amour.

 

Plus tard, on s'est revus lors d'un repas en famille, j'avais dans les 26 ans, je faisais des spectacles et côtoyais plein de gens enrichissants. J'étais heureuse, belle, rayonnante. On a très peu parlé. Normal, j'avais changé et lui aussi ; on s'est un peu reconnus mais pas vraiment retrouvés. De ce rendez-vous imprévu, je ne me souviens que de quelques paroles murmurées : « tu es belle, dommage que je ne sois plus célibataire. »

Il a mis le point final à notre histoire de fort belle manière je trouve.

C'est une jolie fin non ?

  • C'est tellement beau et en même temps une souffrance, un amour d'adolescent qu'on garde secret, pour soi-même sans oser parler, dommage, tu n'étais plus célibataire, c'était écrit comme ça !

    · Il y a presque 8 ans ·
    Dsc07355

    Claudine Lehot

    • Et oui Claudine, c'était un amour né trop tôt.... c'est la vie

      · Il y a presque 8 ans ·
      Moi rouge

      Lulla Bell

  • L'adolescence est un moment où tous les sentiments sont exacerbés.... :-) une belle vie s'ouvre devant elle qui a su "rebondir"... et finalement la nostalgie n'étreint elle pas seulement celle que l'on croit :-))

    · Il y a presque 8 ans ·
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    Maud Garnier

    • C'est vrai l'adolescence est un passage parfois difficile de doutes, de sentiments inconnus...

      · Il y a presque 8 ans ·
      Moi rouge

      Lulla Bell

  • Tendre et nostalgique ! Heureusement l'héroïne s'en est bien sortie !

    · Il y a presque 8 ans ·
    Image

    Ana Lisa Sorano

    • Oui, Ana Lisa, malgré quelques écorchures, elle a su avancer !

      · Il y a presque 8 ans ·
      Moi rouge

      Lulla Bell

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