Histoire d'eau

polluxlesiak

Une thalasso ! Le rêve de toutes... un cauchemar pour certaines. Mais avec happy-end !


Histoire d'eau.




Lointaine réminiscence, ou vaine nostalgie de l'ère où toutes les créatures terrestres étaient encore aquatiques ? Je ne m'avancerai pas vers ces explications hypothétiques, mais la réalité est bien là : l'homme (et surtout, la femme) ressent aujourd'hui une irrésistible attraction pour cette forme de vacances dont la futilité est rachetée par une justification (souvent usurpée mais) curative : la thalasso.

Je n'ai pas fait exception en me réjouissant bruyamment et publiquement lors de la découverte du cadeau que me firent, il y a six mois déjà, mes amies à l'occasion de mes trente ans, date fatidique si l'en est et en tous cas de nature à exiger une initiative exceptionnelle de leur part et orientée obligatoirement (ont-elles pensé réalistement, quoique dans un esprit prétendument altruiste) vers le souci de mon bien-être : trente ans pour une femme, c'est le début de la fin de la jeunesse, et cela mérite, en tout état de cause, une aide psychologique, même déguisée, qui s'est en l'occurrence matérialisée sous la forme d'un bon pour d'une semaine de thalasso "tous soins" à Annecy.

– Thalasso, ça veut dire mer, non ? Ils font des thalasso à l a montagne ? n'ai-je pu m'empêcher

d'ironiser en découvrant la brochure.

Mes amies ont ri, certaines plus jaune que d'autres. Il faut toujours que je me mette dans des situations critiques faute de tourner ma langue suffisamment de fois dans ma bouche.

– C'est un centre tout nouveau, tu verras, tu vas adorer !

– Et puis une semaine loin des collègues, ça va tellement te détendre !

– Moi je l'ai fait, bon, aux Seychelles d'accord, mais je te jure, tu reviendras détendue ! Tu ne te

reconnaîtras pas !

Tiens, celle-ci a réussi à me renvoyer la balle sans en avoir l'air – un bon point pour toi, ma cocotte ; il faut savoir reconnaître tous les talents cachés, si inutiles soient-ils parfois.


Et voilà comment je me retrouve à l'hôtel LuxurySpa, à Annecy, sous un crachin inattendu en ce mois de mai mais qui semble s'amuser à me promettre une semaine, à défaut d' allures seychellaises, en tous cas placée sous le signe de l'humidité.

Je trouve sur le lit de ma chambre tout le costume du parfait curiste : un peignoir en éponge blanc cassé (en réalité, qui dût être blanc, mais que les machines industrielles de l'hôtel se sont appliquées à casser avec le temps), une serviette assortie et une paire de tongs à semelle type chaussure d'usine avec lesquelles je ne risque pas d'attirer un quelconque regard si jamais me venait l'envie de sécher les séances de soins pour aller évaluer le potentiel charme de la population masculine alentour...

"Sécher" les séances de piscine, j'aurais même pu dire "flotter", ça marche aussi ! elle était bien bonne, dommage que je sois seule; personne ne profitera de mon humour involontaire aujourd'hui – je suis en train de me demander si je ne préférerais pas être affalée sur mon canapé, un pot de Ben&Jerry's à la main, devant la saison 4 de Desperate Housewives.

Mais un coup d'œil à ma montre m'arrache à mes réflexions; je dois être à la réception dans dix minutes ! Au moins, je ne me sens pas trop dépaysée : je suis en retard en vacances aussi – mots que je n'aurais pas pensé à accoler avant aujourd'hui. Comme quoi...

La "réception", ça aurait pu évoquer un petit pot d'accueil, un verre de cocktail (sans alcool, d'accord, il n'est encore que dix heures, et je dois garder en tête que j'entame une semaine a priori destinée à me remettre en forme; moi je ne sais pas en forme de quoi je sortirai d'ici si je ne parviens pas à m'échapper avant la fin pour aller boire un petit verre de rosé en terrasse...), des canapés à grignoter ou à défaut dans lesquels se lover en écoutant le responsable nous expliquer le fonctionnement du centre... Il faut que j'arrête de rêver : la réception est en l'occurrence celle de l'hôtel, où une réceptionniste, donc, (à ne pas confondre avec un pique-assiette semi-professionnel) qui ne semble pas faire de pub pour son employeur tant elle a les yeux cernés me tend ma convocation avec un laconique:

– Vous êtes attendue à dix heures dix chez le Docteur F.

puis se tourne vers le couple qui me suit, tous deux solidairement en tenue réglementaire, qui, je le constate, va aussi mal aux femmes qu'aux hommes - même si Madame a tenté de l'égayer en gardant son sac à main au bras - et qui semblent errer depuis des heures dans les couloirs si j'en juge à leur mine déconfite.

– No, there's no breakfast here; you must go outside, leur répond l'employée d'un ton excédé et

peu compatissant pour nos Anglais qui se regardent, abattus, en semblant se demander s'ils vont devoir remonter se changer pour espérer trouver un café au-dehors ou si, bravant le ridicule mais obéissant à la faim, ils vont opter pour une sortie en peignoir dans les rues de la ville.

Pour ma part, je décide de voir le bon côté des choses ; après tout, je suis en vacances, et dans quelques minutes quelqu'un va s'occuper de moi. J'imagine un Docteur F. sympathique, ouvert et bienveillant, aux charmantes tempes grisonnantes mais professionnel, se contentant de me faire comprendre d'un simple regard appuyé que j'ai beau avoir trente ans, s'il n'était pas marié et père de quatre enfants, il aurait pu avoir envie de me faire découvrir les richesses insoupçonnées de la montagne environnante et de ses forêts tranquilles.

– Suivante!

La voix autoritaire de la secrétaire du Docteur F. me tire de mes fantasmes et je rassemble les pans de mon peignoir trop grand, mal ceinturé par une énorme chenille en éponge, avant de pénétrer dans son bureau.

Cruelle constatation : cette voix n'appartient pas à la secrétaire, mais au Docteur lui-même ; cette femme doit nourrir depuis des années la déception et l'amertume de ne pas avoir réalisé son rêve de chirurgien cardiaque ou de Médecin du Monde ministrable, et cela se lit sur son visage. Lèvres pincées et ride du lion creusée entre les sourcils, j'ai presque envie de lui offrir ma place afin qu'elle profite de la détente que me promet le programme.

Ce ne serait pas un mauvais plan ! Je ferais d'une pierre deux coups : je lui redonne le goût de la vie, et moi, je me libère des contraintes et des horaires, je quitte cet hôtel en douce, je vais m'offrir un repas luxueux dans un restaurant hors de prix, et je passe le reste de la semaine à alterner shopping et journées sous ma couette ... Pourquoi ne m'a-t-on pas offert une semaine comme celle-là ? - sans doute parce que ça n'existe pas ; aucun tour-operator – quelle hypocrisie (et quel manque à gagner !) - n'osera jamais proposer des semaines "paresse" sans craindre autant de scandale que s'il organisait des week-ends de tourisme sexuel ...

J'en suis là de mes divagations quand elle m'interpelle, m'ôtant du même coup toute envie de lui faire plaisir de toutes façons :

– Vous fumez ? Votre teint est très brouillé.

Oui je fume, mais elle me croira si elle veut, j'avais justement décidé de ralentir ma consommation il y a encore trois heures en arrivant ici, peut-être même d'en profiter pour m'arrêter. Mais si elle commence comme ça je sens que ça va être difficile.

D'ailleurs, dès la sortie de son bureau, je repère une porte vitrée donnant sur une terrasse, et je m'en grille une petite pour me calmer (no comment svp, je ne suis pas d'humeur, sur mes bonnes résolutions aussi flasques que mon épiderme qui m'ont autorisée à glisser en douce un paquet dans la poche de mon peignoir... ). J'ai la peau encrassée, des débuts de vergetures et un manque sévère de tonus abdo-fessier. Le verdict est tombé en même temps que mes dernières illusions sur mon potentiel séduction. Merci Docteur.

Je suis quand même une fille positive. Cela fait des années que je me le répète, convaincue par mes soeurs et mes beaux-frères qui tentent ainsi me remonter le moral dans mes phases célibataires dépressives – ce qui représente tout de même plusieurs fois plusieurs mois.

C'est tout à fait vrai, et c'est ce que je me répète en me dirigeant vers la cabine de massages ayurvédiques (ne pas oublier le mot pour le compte-rendu de retour au bureau).

...

Je suis dehors une demi-heure plus tard, dans l'état de l'amateur de sieste que l'on a réveillé juste au moment de l'endormissement : bouche pâteuse et idées brouillées. Je me suis endormie dès que je me suis retrouvée en position allongée, et ce malgré la position inconfortable que m'avait fait prendre la masseuse : sur le ventre, seins écrasés contre un matelas trop raide pour être digne de ce nom, et le visage posé sur un cercle en mousse évidé en son centre afin de me permettre, tout de même, de respirer (ô invention divine) et qui m'a contrainte avant ma fuite dans le sommeil à me contenter de contempler le carrelage bleu ciel de la pièce et ses débordements de joints faits à la hâte.

Je m'affale sur une des chaises alignées dans le couloir. Moi, fatiguée après une demi-journée de soins ? Je me refuse à y croire et en tout état de cause à devoir l'avouer à quiconque, ni tout de suite ni plus tard.

Je jette un oeil sur mon programme, déjà en état de pré-décomposition à cause de l'humidité ambiante : il est prévu maintenant un "soin tonique". Bien ! Voilà qui va me redonner un peu de vigueur. Je me dirige vers le lieu correspondant en essayant de suivre le plan reproduit sur mon document – et en me disant qu'il faudra vraiment que j'essaie de leur vendre une de mes imprimantes avant de partir ! Oh, cocotte, t'es en vacances là – me souffle ma boss inconsciemment à l'oreille (alors même que c'est elle qui me pousse à longueur d'années à essayer de placer ses machines, selon sa formule, en tous temps et en tous lieux)

Si je commence à entendre des voix ...

Petit jeu de pistes dans les couloirs qui a le mérite de m'amuser : je ne suis pas la seule à essayer de déchiffrer les instructions, et je m'avoue que si j'arrive trop tard pour le soin, ce n'est pas si grave que ça ; cela me détend agréablement et je peux à loisir observer mes compagnons d'infortune, plus stressés que dans les couloirs du métro ou au bord de la conclusion dramatique d'une crise conjugale qu'ils étaient précisément venus ici essayer de calmer.

Mais le sort ne me fait pas de cadeau : moi, l'accro au GPS, je tombe sans l'avoir voulu - c'est le moins que l'on puisse dire - sur la salle "tonus" après quelques minutes seulement.

Un homme en blouse bleu ciel (étrange couleur qui évoquerait plus le nourrisson démuni que le soignant rassurant) et au physique de physionomiste de boîte de nuit me fait signe d'aller me placer face au mur dans une longue cabine de douche carrelée du sol au plafond. Lui reste derrière moi et je me concentre sur le carreau cassé qui me fait face afin d'éviter de penser à l'état pitoyable de mes fesses, que je lui présente involontairement dans leur cruelle réalité et qu'il peut à loisir contempler et, je n'ai aucun doute à ce sujet, juger de la façon la plus machiste qui soit.

Un jet violent en pleines lombaires me projette contre le mur.

– Tenez la barre, Madame !

me lance, d'un ton que je soupçonne ironique, le cerbère maintenant armé d'un Kärcher médicalisé.

Il n'aurait pas été stupide de sa part de me prévenir avant de commencer son arrosage; je suppose que les employés ici sont briefés à l'embauche : on ne parle pas aux femmes dans le cadre des soins – soit. Mais une précision technique a peu de chances de prêter à confusion et de leur faire risquer le procès pour harcèlement sexuel.

Je repère donc, noyée sous la douche violente qui m'inonde maintenant, la barre fixée devant moi et m'y accroche tel le capitaine d'un navire aux prises avec une tempête tropicale.

Pas de chance, le jet produit sur moi un effet à la fois dramatique et comique : je me mets à hurler involontairement de rire dès qu'il atteint mes hanches. J'ai toujours été chatouilleuse, mais je n'avais pas encore, et pour cause, eu l'occasion de tester le potentiel d'un jet haute pression. Je le saurai : à éviter !

Dès que Monsieur Propre vise le haut de mon corps, je me tortille en priant pour qu'il change de direction... les fesses, en l'occurrence, représentent un salvateur moment de répit – comme quoi une bonne couche de graisse peut faire un isolant parfaitement adapté en certaines circonstances ...

Le supplice prend fin assez rapidement; mon tortionnaire aurait-il pris mes hurlements pour des protestations ? Quoiqu'il en soit je m'échappe sans oser lui jeter un regard (que j'imagine soit railleur, soit méprisant, soit les deux – à moins qu'il ne soit parfaitement inexpressif, ce qui serait quelque part tout aussi vexant au final), les joues dégoulinantes de larmes – et je bénis l'atmosphère humide environnante de m'éviter d'avoir à les cacher.

C'est l'heure du déjeuner ! Je m'installe avec un soupir de soulagement à une table en bordure de la baie vitrée. Il fait beau maintenant; le centre domine une partie de la ville, dans laquelle je devine une vie trépidante, des femmes en plein shopping, des ados faisant la queue pour une séance de ciné, des copines partageant une glace, des célibataires profitant du soleil en terrasse... et moi ? Je remarque alors que la baie vitrée ne s'ouvre pas; no trespassing – d'ici, on ne sort pas. Pas avant d'en avoir terminé, en tous cas. Cette impression ridicule me fait malgré tout froid dans le dos et je suis soulagée de voir un jeune serveur fort avenant (ô mon éclaircie de la journée !) m'apporter un plat coloré dans une immense assiette. Bleu ciel, l'assiette. Évidemment. Et je ne sais pas si c'est le contenu ou le contenant qui me déçoit le plus. Le carpaccio de fruits du soleil aux lamelles de bufflonne me rappelle mes tomates-mozza de la cantine, en moins abondant. Le filet atlantique en coulis végétal, c'est du cabillaud sauce épinards. Et le méli-mélo fraîcheur, je le connais, j'en ai des boîtes plein mes placards.

Pas de café bien sûr : c'est un séjour "santé" ! Et ma santé psychologique, alors ? Je commence à ressentir les symptômes de l'hypocaféinémie ; dix ans d'addiction ne disparaissent pas sans traces. Je quitte la salle à manger le ventre vide ou presque et les nerfs en pelote. Et me grille une cigarette rageuse sur la terrasse de ce matin, à laquelle je sens que je commence à m'attacher comme Tom Hanks à son ballon de volley dans Seul au Monde.

Je résiste à la sieste avec une énergie que je m'étonne de me trouver encore (et peut-être dûe à un sursaut d'amour-propre, à moins que ce ne soit à une curiosité naturelle qui me pousse à aller jusqu'au bout dans cette expérience que je commence à considérer comme un remake édulcoré de Koh-Lanta). L'après midi s'annonce agrémentée d'un "enveloppement algues et boue"; je ne peux m'empêcher de sourire à l'idée que certains paient volontairement et en toute conscience pour ce type de prestation. Et que si la boue se trouve facilement en montagne, les algues pourront toujours excuser leur éventuelle odeur par le fait qu'elles ont dû faire une longue route pour arriver jusqu'ici.

C'est donc sereine et décidée à tenter l'expérience que je m'abandonne aux soins d'une employée au sourire forcé – je l'imagine le soir, se démaquillant devant son miroir et retirant d'un même geste rouge à lèvres et mimique labiale – qui ne pousse heureusement pas la conscience professionnelle jusqu'à engager la conversation, ce dont je lui sais gré dans la mesure où je ne surestime pas mon potentiel d'adaptation à la situation – me laisser envelopper, d'accord, mais commenter la météo en même temps, non merci.

Je frémis lorsque, nue comme un ver et tentant vainement d'adopter une posture naturelle (en général, dans ces cas-là, je ne suis pas assise sur une chaise mais allongée sur un lit), elle revient poussant un chariot roulant ressemblant à une desserte de grand restaurant, celle qui annonce généralement les délices du plateau du fromager ou de la farandole des desserts; la similitude s'arrête là. La femme soulève un grand couvercle en inox et s'échappe alors du récipient l'odeur chaude et écoeurante de la préparation qui m'est destinée. J'ai la confirmation qu'il s'agit bien de boue et d'algues; je distingue des filaments verdâtres flottant dans une sauce brune qui pourrait évoquer un bortsch polonais s'il ne dégageait ce fumet ne laissant aucun doute possible : cela ne se mange pas.

Et pourtant, cela se tartine ! Me voilà, telle la tranche de pain du matin sous le Nutella, patiemment recouverte à la spatule, des pieds à la tête, de boue aux algues. J'ai une envie immédiate : prendre une douche. Mais je dois renoncer : le principe du soin impose que je laisse agir cette infâme préparation sur ma peau au moins trente minutes; et la femme me dissuade aussitôt de toute tentative d'élimination du produit en m'enveloppant intégralement de cellophane, m'enfermant, bras le long du corps et jambes serrées, en position de momie, puis m'aidant à m'allonger dans un crissement plastifié avant de me lancer :

– Je reviens dans trente minutes. Ne bougez pas !

Je connais alors un grand moment de solitude comme on en a peu l'occasion dans une vie.

Il n'y a rien autour de moi. Rien que quatre murs bleu ciel et un plafond sans couleur. Pas une affiche susceptible d'accrocher mon regard, pas une filet de musique – dans ma situation, je me serais même contentée d'Herbert Léonard ou d'Annie Cordy. Plus un bruit; la porte doit être capitonnée. Ou alors, ils sont tous partis; ils m'ont oubliée, et laissée seule et emprisonnée dans le cellophane.

Quant à ne pas bouger, je n'ai aucun espoir de désobéir. J'imagine ce que doit ressentir un lapin de labo de chez L'Oréal quand on l'attache sur une table pour lui maquiller les yeux. Impuissance totale et fuite impossible.

Ceci dit, j'ai de la chance par rapport au lapin : je connais des chansons. Et me voilà en train de fredonner de mémoire le dernier album de Lynda Lemay, que je connais par cœur. Les chanteurs à texte sont un bienfait pour les insomniaques ou les emprisonnés : imaginez-vous passer trente minutes avec les dernières chansons de Vanessa Paradis ... tout son répertoire n'y parviendrait pas.

Mais Lynda elle-même rend les armes devant le dernier supplice que l'on m'a réservé, sans bien sûr (on ne gâche pas les surprises !) m'en avertir : cela commence par des picotements, se développe en grattouillements et finit par exploser en une démangeaison généralisée qui me fait me tortiller sur ma table comme un nouveau-né langé à l'ancienne ou un papillon faisant mille efforts pour se dégager de son cocon. Au secours, ça gratte ! Je tente une percée de l'index (j'ai bien fait d'arrêter de me ronger les ongles) à travers le cellophane; peine perdue : il y en a plusieurs couches et je parviens tout juste à déformer mon emballage. Je transpire, je ne vais pas tarder à vraiment appeler au secours, au risque de passer pour une folle – et en espérant de tout mon cœur qu'ils ne soient réellement pas tous partis !

L'apparition de ma Mona Lisa intérimaire me sauve au dernier moment. Elle m'aide à me relever, et les minutes qui suivent sont un peu bonheur : plus elle me déballe, plus je respire; plus elle me libère, plus je revis; et la douche qu'elle m'autorise à prendre aussitôt après se révèle quasi orgasmique... J'élimine de ma peau toute trace de vert ou de marron avec une jouissance qui me fait oublier que j'étais dépressive au point de me jeter par terre du haut de ma table quelques minutes auparavant. Merci Dieux de l'eau chaude et de la plomberie ! Je renais !

Je reprends mes esprits en me rhabillant. Je ne reconnais pas ma peau : j'ai l'impression d'avoir mué – et, à bien y réfléchir, j'ai presque vécu un simulacre de mue reptilienne .. Je suis décapée, polie, récurée. J'ai même l'impression que mes grains de beauté ont disparu ! Ce qui restait de mon bronzage d'hiver, durement acquis, puis entretenu, à coups de séances d'UV hors de prix, a été éliminé en même temps. Ce n'est plus un gommage, c'est un ravalement. Un peu radical comme traitement.

Il faut souffrir pour être belle ? Soit. Mais se retrouver juste avant les premiers week-ends sur les quais de Paris-Plage blanche comme une endive, c'est la triple assurance du coup de soleil, du regard qui ne s'arrête même pas des célibataires de passage, et des sourires en coin des copines ... Au moins mes bienfaitrices ne verront pas en moi une potentielle concurrente à mon retour – je n'irai pas jusqu'à penser qu'elles l'ont fait exprès. Quoique ?

Le stress me rend médisante ! Il faut que j'aille me calmer. Je zappe, en toute absence de mauvaise conscience, les abdo-fessiers, et décide aussi de faire la pédiluve buissonnière – mes pieds vont bien, merci, et je n'ai plus aucune envie de mariner dans un court-bouillon, de me faire masser, palper-rouler ou affuser, aussi bon pour ma santé tout cela soit-il. Même un passage en solitaire à la piscine ne me fait pas envie; je crois que je commence à prendre en grippe tout ce qui touche à l'eau et aux salles de bains. Je suis à deux doigts de décider d'arrêter de me laver pendant une semaine, en représailles.

Il n'est pas tard, à peine seize heures; mais je décide que ma journée d'obligations est finie.

Ma petite terrasse me tend les bras ! Je la retrouve avec émotion; pour un peu j'aurais envie de raconter au yucca anémique qui y trône la journée que je viens de passer. Je m'approche du pot de plastique et commence à mi-voix :

– Tu ne vas pas me croire ...

– Vous avez du feu ?

Je me retourne, le rouge aux joues; c'est mon petit serveur de ce midi; il n'a pas dû m'entendre – enfin je l'espère !

– Vous parlez souvent aux plantes vertes ?

Je bredouille une excuse qui finit par me faire rire autant que lui. Il est en pause pour une heure, avant d'attaquer la préparation des repas du soir.


Une heure est passée, et je ne m'en suis pas rendu compte.

Il est retourné travailler. Mais ce soir après son service, il m'emmène manger une énorme glace puis danser toute la nuit; il ne travaille pas demain. Et moi, demain, aucune thalasso ne me fera lever de mon lit.

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