Histoire d'une mite

Laure Cassus

Un texte léger, poudré, ailé


C'était une petite mite naissante toute petite et blanche, elle se baladait dans les airs le matin en supervisant les aller et venues des pulls mohair qui se trouvaient dans l'habitation. Parmi ces pulls moelleux, l'un se distinguait par une couleur indigo et un maillage serré qui devait contenir un peu de soie d'origine russe, la mite avait déjà vérifié sur l'étiquette qu'il s'agissait d'un pull fait main fabriqué en France. C'était son eldorado à elle. Parvenir à se taper un pull français teint à la main et vendu plusieurs centaines d'euros à une touriste naïve croyant cumuler la bonne action au pacte esthétique de valorisation d'elle-même. C'était sans compter sur la petite mite blanche spécialisée dans la défection de blue dreams au nom de la continuité de l'espèce. In the name of...


Hum, il fait chaud ici, se dit la mite depuis le haut du cintre. On dirait que ce placard n'a pas été ouvert depuis des lustres, pourvu que je puisse en sortir un jour. Parlant de jour, elle repéra un filet de lumière en provenance d'un gond de porte. Parfait, je pourrai m'éclipser sans toucher mes ailes poudrées, poudrées non de pollen comme certaines gazelles des plaines libres, mais poudrées contitutionnellement et tenant toutes seules par l'opération du saint esprit.


Dans l'obscurité de la penderie, c'est à l'odeur que la mite progressait sur le cintre . Elle s'approcha d'un premier vêtement dégageant un parfum de feuille jaune. C'était un tissu de coton basse catégorie, cueilli trop vert par des machines usées et cela se ressentait jusque dans la fibre qui s'était payée la honte de sa vie, de finir ainsi sans même produire une boule au rayonnement blanc. Les mains mécaniques s'étaient contentées d'une touffe verte jaune à moitié pas développée et qui serait teinte ensuite à la va-vite. Ce sentiment de non finitude donnait une odeur âpre de frustration et franchement la mite n'avait pas envie de s'y arrêter. Heureusement un peu plus loin se présenta un vêtement de laine visiblement venue de loin, de terres ventées et asséchées, ayant contraint les pelages à se faire épais et fournis, emmêlés et dreadlockés. Bref c'était un kilt en faux tartan écossais mais de qualité supérieure. Les bovidés originellement propriétaires de cette toison n'étaient pas du genre à se rouler dans la tourbe. Epais et lourds, ils avaient promené leur laine grasse par tous les temps et fantasmé sur des tas d'évasions de leur lopin de caillasses noires et steppe anisée. Ce tissu serait coriace, il était tissé serré et déjà la laine d'Ecosse lui balançait une malédiction chatelaine dans les dents, qu'elle n'avait pas bien développées d'ailleurs.

On verra plus tard pensa la mite, passons à ce synthétique. Là il lui fallut quelques substances stupéfiantes pour se sentir en phase avec le parfum électronique qui envoyait des basses  vibratoires contre les parois de son étagère. L'effet métal et trans était exceptionnel, elle se laissa enivrer par la dimension surnaturelle du chandail polyamide à la fois raide et indestructible, un rave pull parfait pour cette seconde partie de soirée.

Le lendemain matin, l'armoire était de retour dans sa réalité, la mite fit un brin de toilette en déposant quelques œufs sur le pull en pétrole qui avait trahi toute la profession depuis 10 ans. En vain bien sûr, aucune mite ne naîtrait désormais sur ce terroir hydrocarburé, à moins de devenir mutantes.

Forte de sa culpabilité de lendemain de cuite, la mite fit une pause et regarda l'horizon, qui se tenait verticalement entre les portes. Elle prit une grande inspiration et se mit en quête d'un bon plat bien salé nourrissant et sans prétention. Elle sauta donc vers l'étagère inférieure et se tapa une chaussette trouée en grosse laine de mouton, couleur carbonara puis s'y coucha en ronflant de petits sifflements aigus de mite exténuée.

L'après-midi elle se remit sur patte et se souvint qu'elle était un papillon de nuit, oui, pas un parasite mais bien un noble papillon de taille réduite et qui affectionnait les étoffes de luxe. C'était un droit d'être comme ça, c'était un honneur d'avoir une mite dans son armoire. Elle avait quelques idées de composition pour les futures armoiries de sa lignée d'ailleurs si elle arrivait à conquérir le tricot de cette putain de chèvre angora qui avait abouti à ce fameux pull mohair indigo.

Bon sang mais comment s'y prendre pour atteindre ce pull bleu ? Qu'était devenue la grande nunuche qui portait ce château sur son dos comme une tortue ses écailles ? Et sans aucune conscience de la valeur de son bien ! Ne te laisse pas ronger par la jalousie, ma mite, peut-être si tu agis bien pour ton environnement un jour tu recevras un gilet tout tricoté d'alpaga en récompense de ton dévouement à la patrie.... Ha ce vague à l'âme.... Bon où en étais-je ? Le pull angora bien sûr.

La mite partit en exploration et traversa le passage lumineux. Dehors il faisait sec, ce n'était pas très facile de voler dans ces conditions d'aseptie. Elle finit par apercevoir le trésor, négligemment pendu sur un haut de chaise.
C'est vraiment pas la classe ici, se dit la mite.
Et elle attérit.

Suite au prochain épisode (Fondation 2)/



A la vue des mailles de point mousse, la mite se réjouit en son for intérieur car l'atterrissage allait être facilité. Les ailes dressées et les pattes en avant, elle prépara son point de contact, tel un lander génération Pathfinder. La mollesse des vaguelettes de laine bleue lui permirent d'estimer qu'en  à  6 à 7 mailles maximum, elle atteindrait l'arrêt. C'est ce qui arriva. Une fois sur son séant, bien contente que le site ne soit pas habité, elle fit quelques prélèvements qualitatifs qu'elle analyserait plus tard.

 

Pour l'instant elle voulait savourer le moment présent, ce bleu indigo à perte de vue, cette brillance particulière de la soie enlacée par le mohair, c'était d'une beauté à couper le souffle. Elle pensa à son compagnon, son dernier disons, qui s'était envolé dans un mouchoir kleenex après avoir tant galéré sur une banquette arrière de voiture avec  enfants. Que du H et M à cet âge, obligé de taper dans les miettes de pain coincées sous la couture du siège. C'était le bon temps, ils avaient bien zoné tous les deux mais la roue avait tourné et désormais elle était veuve. Du moins le crut-elle.

 

Dans les contreforts du col l'attendait une surprise. Une mite de plus petite taille, passablement agressive et autoritaire, un mâle. Dès qu'il la vit en mode jakusi dans les mailles voluptueueses, son sang ne fit qu'un tour ! Une visiteuse ! Comment faire ? L'amadouer, l'esclavagiser, la sermonner ? Avant tout garder la tête froide, Il était hors de question de partager le territoire, encore moins de subvenir à ses besoins et en dernier lieu d'entendre ses jérémiades sur son parcours de vie complétement mytho comme c'était le cas de pratiquement toutes ces séductrices hystériques. C'est bon, je sais, je la tue, c'est simple net et précis. Il s'échauffa un peu et lui sauta dessus bien entendu par derrière. La mite sentant un petit truc lui trafiquer le dos, ouvrit ses ailes brusquement et assomma de ce fait la mite de petite taille qui représentait somme toute dignement la gent masculine de ce territoire indigène.

Oh pardon mon petit, vous ai-je fait mal dit la mite condescendante. Oui plutôt, que faites-vous là sur mes terres, êtes-vous pleine ? On était assez direct chez les mites. Vous voulez dire fertile mon ami, précisa la mite initiale. L'un ou l'autre aucune importance vous dégagez avec vos chiures et vos chiards et le plus vite possible.

Ce petit mâle célibataire n'aurait jamais dû effectuer un tel point de précision  sur le délai qu'il avait déjà intégré visiblement. Car pour une femelle, le temps étant sa spécialité et le comptage son hobby, elle joua donc la montre et commença le match.

Dégager de vos ailes fortes et vigoureuse ? comment…  vous voulez dire : déjà ? Et elle battit d'une paupière.  C'est à vous toutes ces superbes étendues bleutées ? Quel travail, quel talent, je suis tellement surprise de vous rencontrer enfin (fallait y aller fort, il n'avait pas l'aire très dégourdi), je suis tellement troublée à l'idée de découvrir votre environnement. Avez-vous des mouches en esclavage ?

Légérement sensible et passablement décontenancé, le mâle mentit car il n'avait plus le temps de faire autrement. Bien sûr, je fais travailler une douzaine de moucherons, qui sont actuellement en pause dominicale, si vous voulez visiter mes parcelles demain, je vous ferai découvrir l'histoire de ce domaine.

Oh, il est à vous ? dit l'ingénue. Non mais j'en suis l'intendant et le chef spirituel depuis longtemps.

Combien de temps exactement ?

Le mâle se sentit flancher, le temps c'était vraiment pas une valeur mathématique pour lui.

Mais depuis toujours en vérité, répondit-il.

Alors je suis votre hôte monseigneur. Elle savait y faire la veuve.

J'en suis très honoré, si vous voulez bien me suivre, dit-il.

Leur histoire commença fort bien et dura fort longtemps, à l'échelle d'une vie de mite c'est-à-dire,  euh… mais non… le temps n'a  plus d'importance mon amour. Bien sûr mon amour répondit la mite (qui pensait tout le contraire et avait déjà rempli deux agendas de trucs qu'il n'avait pas fait pour leur ménage et leur expansion future).

Ils roucoulèrent entre les mailles et finirent par en oublier de s'alimenter. Puis arriva le jour où le pull retourna sur les épaules de la grande gigue.

 

… /…

  • …" c'était un honneur d'avoir une mite dans son armoire." Génial!

    · Il y a environ 8 ans ·
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    Frankie Perussault

    • merci, c'est une mite assez sure de son fait :) c'est ça ;;;

      · Il y a environ 8 ans ·
      Laure cassus 012

      Laure Cassus

  • Attention lêcqueteur je n'ai jamais demandé à ce que le texte comporte ne serait-ce qu'un poil de perversité, c elle la coquine !

    · Il y a environ 8 ans ·
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    Christophe Paris

  • Oh c génial très chouette ce texte je le lis au troquet et tt le monde se demande pourquoi ke je ris ! Voilà un bel axe tjs avec de l'engagement politique qd même c parfait effectivement il lui faut une suite ! J'aaaaaaaddddddooooorrrrreeeee

    · Il y a environ 8 ans ·
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    Christophe Paris

    • ok ça mitone :)
      cool que ça te plaise autant !
      bon j'essaie la suite mais j ai pas toute ma tête aujourd'hui... bises

      · Il y a environ 8 ans ·
      Laure cassus 012

      Laure Cassus

    • Ayai t'as retrouvé le reste de ta tête ?

      · Il y a environ 8 ans ·
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      Christophe Paris

    • ayé j'ai complété d'un passage :) j'attends ton avis :))

      · Il y a environ 8 ans ·
      Laure cassus 012

      Laure Cassus

  • Epatant !!

    · Il y a environ 8 ans ·
    Avatar

    nyckie-alause

    • merci !! j'ai bien rigolé en l'écrivant :)

      · Il y a environ 8 ans ·
      Laure cassus 012

      Laure Cassus

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