Homminisme
petisaintleu
Il est un scandale qui tient du tabou que je tiens aujourd'hui à sortir du silence. Dans la jungle urbaine, - j'en suis le témoin quotidien - les requins qui autrefois hantaient les bas-fonds des transports urbains, faisant du métro un lieu de chasse commun, sont devenus les proies des carnassiers. Ils n'attendent point le nombre des années pour se jeter sur des âmes bien nées. Il faut croire que le climat a varié. À moins que ce ne soit un changement de tropisme lié à des dérèglements hormonaux qui tendrait à inverser les rôles.
Ce matin, j'étais tranquillement installé dans une rame de la ligne 13. Je profitais des effluves estivaux de mon voisin, le nez collé sous une aisselle quand un fauve s'introduit Mairie de Saint-Ouen. N'allez pas croire qu'il est d'emblée reconnaissable dans la faune métropolitaine qui se serre comme des sardines, les yeux vitreux, fatiguée de respirer en apnée. Il existe toutefois des signes qui ne trompent pas. Au détour d'une jupe, un string léopard peut laisser supposer qu'un prédateur se tapit sous un air vicié.
Un petit jeunot bien propre et cravaté, que je supputais se rendre à son étude de notaire, me lança un regard paniqué. Je compris à ses signes de détresses qu'il l'avait repéré et qu'il ne devait pas en être à sa première saillie. Je l'entendis maugréer des supplications, appelant sa maman. Rien n'y fit. Quand l'heure du repas est arrivée, rien ne peut arrêter la bête féroce qui a senti sa proie. Le silence se fit dans le wagon. On aurait pu entendre le déplacement des fourmis processionnaires si nous nous étions trouvés au fin fond de la forêt amazonienne. J'étais moi-même tétanisé quand je vis le félin tendre deux doigts coupe-faim. Vous me direz que c'est un peu raide qu'il agisse en toute impunité mais il en est ainsi. Chacun se tut, feignant un soudaine fatigue pour clore ses paupières ou pour coller son nez à son téléphone, comme si le sms à envoyer tenait de la survie.
À peine masqué par les troncs et les jambes qui forment comme des racines bien ancrées dans le sol, je le vis se délecter de son jouet qui gémissait telle une poupée mécanique. Je dois vous l'avouer. J'ai honte de n'être pas intervenu. Pas plus tard que ce week-end, je jurais mes grands dieux que je serais le premier à agir si d'aventure j'étais confronté à ce genre de situation. Le preux chevalier s'est dégonflé. Il n'a pas eu assez de testostérone pour mettre le holà et n'a été que le piètre spectateur de cette mise à mort dans cette arène où les spectateurs hurlent leur indifférence dans un mutisme assassin.
Une vieille dame eut pitié des hoquets du jeune homme. Elle lui tendit un mouchoir pour qu'il essuie ses larmes, honteux d'avoir fait preuve d'aussi peu de virilité. C'est la seule trace d'humanité qui traversa l'esprit de la centaine de banlieusards qui avaient hâte d'aller s'enfermer dans leur tour d'ivoire, se créant un monde aseptisé, rassurés par le ronron des ventilateurs asexués de leur ordinateur.
Arrivé à Saint-Lazare, le métro dégueula sa bile. Un papa vint s'asseoir à côté de l'innocente victime, prenant son bambin sur ses genoux pour le rassurer et lui passer une main dans les cheveux avec toute l'affection d'une attitude maternelle.
Avant que le train ne redémarre, j'eus le temps d'apercevoir le cougar. D'un calme olympien, il sortit de son sac à main un tube de rouge à lèvres, sans doute pour reprendre le masque du cadre irréprochable qui sied à notre monde d'apparences.
Très très drôle et fort bien écrit !
· Il y a plus de 8 ans ·veroniquethery
Point de vue intéressant ! ;)
· Il y a plus de 8 ans ·carouille
J'attends le commentaire de Zab. ;-)
· Il y a plus de 8 ans ·petisaintleu
;-) t'as mis ton armure ? ? ;)
· Il y a plus de 8 ans ·carouille
Ecrire, c'est prendre des risques.
· Il y a plus de 8 ans ·petisaintleu
Oui, toujours.
· Il y a plus de 8 ans ·carouille
J'avoue que j'ai pas compris. Tu m'expliques?
· Il y a plus de 8 ans ·lyselotte
Il aurait été trop simple de dénoncer le harcèlement dont sont victimes les femmes dans les transports. J'ai donc changé de perspective et inversé les rôles.
· Il y a plus de 8 ans ·petisaintleu
Pinaise, des fois, chuis lourde. Merci Petitsain pour ton explication. C'est très bien écrit, comme d'hab' dirais-je si cela n'avait pas un petit côté...bin comme d'hab' quoi !
· Il y a plus de 8 ans ·lyselotte
C'est pas toi que j'ai croisé à Mairie de Saint-Ouen ? ;-)
· Il y a plus de 8 ans ·petisaintleu
Nan, je mets jamais les pieds dans les mairies. Y a trop de maires.
· Il y a plus de 8 ans ·lyselotte
Faut pas croire mais dans ‘’Histoires naturelles ‘’ y a aussi des tentatives d’hominisme volontaire. J’ai même vu des prédateurs qui finissaient en cage après avoir déversé leur rage. En tout cas, fais gaffe où tu poses le pied et où tu mets ta main. Un accident est si vite arrivé.
· Il y a plus de 8 ans ·erge