Honoré de Vidocq
petisaintleu
Vidocq, j'ai toujours trouvé que ça sonnait comme une marque de baume décongestionnant pour les bronches. Question physique, mon mètre étalon s'appelait Vautrin, mis en images sous les traits patibulaires d'un Michel Simon, d'un Lino Ventura ou d'un Gérard Depardieu.
Il n'en était rien. Nous faisions face à un bel homme à l'allure policée et rien de martial à première vue. Le regard, lui, impressionnait. Je compris concrètement l'expression être déshabillé du regard.
Avant l'entretien, Henri nous déguisa de pied en cap pour répondre aux critères vestimentaires de l'époque. J'attendais La Compagnie créole pour m'accompagner au bal masqué. Autant dire que je me sentais engoncé et ridicule dans mon costume de Rastignac avant l'heure, piètre copie de Georges Brummell, le pionnier du dandysme. Le trois-pièces, je le supportais. La difficulté venait de la chemise à jabot, dans laquelle je ne me trouvais pas comme un coq en pâte, à cause du col scandaleusement amidonné. Le burlesque portait sur les accessoires, dignes d'un vieux beau : montre à chaînette d'or, canne à pommeau sculpté et gants de chevreau. En nous rendant chez l'ancien indicateur de la police de Paris, je frôlais les murs de peur qu'un regard mal interprété ne se termine en duel.
En arrivant, je compris que mon aïeul était, à défaut de graviter dans les ors de la Restauration, un homme respecté. Les deux gratte-papiers, après s'être donné du coude, se replongèrent dans leurs travaux d'écriture, avec une curiosité trahie par leur regard de travers.
Mon imaginaire se transposa en l'étude de Maître Derville, l'avoué du colonel Chabert. Plus que le côté désuet et totalement désordonné, des empilements de dossiers qui encombraient les armoires, les bureaux et le sol, je découvris des odeurs que notre monde aseptisé délaissa avec la démocratisation des bains, l'abandon des encriers et les meubles en formica qui n'ont nul besoin d'être encaustiqués.
Arthur s'inventait des allures très éloignées de l'ouvrier textile, les pouces enfoncés dans les poches de son gilet, l'air arrogant. Il repensait sans doute à ses petits camarades, détronchés par une balle perdue. Il toisait les employés du regard, accompagnant sa suffisance de claquements de langue qui m'agaçaient.
Nous ne tardâmes pas à être introduits. L'homme accueillit avec effusion notre général par un « Salut Citoyen » tonitruant, référence à leurs primes années. Nous fûmes présentés. Je susurrai un salut avec une intonation digne d'un chenapan, surpris les doigts dans un pot de confiture. Je fus certain que les deux mots prononcés l'informèrent dans l'instant de ma bizarrerie par son regard qui me liquéfia. Certes, il n'était pas ubiquitaire. Grâce à un sixième sens, que je ne rechigne pas à désigner de télépathe, il allait nous être d'un grand secours.
Sans perdre de temps, il alla droit au but :
« Alors mon ami, que me vaut ta soudaine visite ? Mes hommes me disent que ton comportement de ces derniers jours ne te ressemble pas.
Oui, n'en sois pas étonné. Je tiens toujours mes camarades sous mon regard bienveillant. Et n'oublie pas que ton passé fera toujours de toi un suspect au regard de la royauté rétablie. Tu as pu recouvrir tes insignes d'officiers. C'est déjà ça. Sache que des éminences grises te sont bienveillantes et elles n'ont pas oublié ta droiture de caractère.
Revenons-en aux faits. Viens-tu au sujet de ta belle de Cadix aux yeux de velours ? Dans ce cas, quelle est donc cette nouvelle garde rapprochée qu'aucune de mes fiches ne peut renseigner ? »
En se tournant vers moi, il ajouta :
« Monsieur, quel est ce parfum inconnu sur la place de Paris ? Mon ami, le capitaine de la Garde Nationale César Birotteau, inventeur de la Double pâte des sultanes et de l'Eau carminative, digne successeur de Monsieur Bichon, ne m'aurait pas signalé sa nouvelle découverte ? Ou seriez-vous un émissaire du Grand Pacha, ce qui expliquerait ces fragrances inconnues ? Dans ce cas, vous lui transmettrez mes salutations. Nous nous connaissons. En d'autres temps, nous avons fait affaire. »
Et de terminer en m'assommant d'un :
« Je pense que vos lectures sur ma biographie vous ont déjà informé alors qu'elles restent encore un secret pour mes contemporains. »
J'étais chez Pinder, sans Richard. Pour mes lecteurs qui ne se passionnent qu'avec modération pour Balzac, quelques précisons s'imposent. Si l'action du roman éponyme du parfumeur de l'illustre écrivain se déroule entre 1818 et 1823, le personnage est totalement fictif. Il fut principalement inspiré par les précurseurs des produits de beauté qui se nommaient, entre autres, Bully, Lubin ou Laugier. L'ouvrage parut en 1837. Un devancier d'Harry Houdini l'initia-t-il, lors d'une mission secrète, aux secrets des mentalistes ?
Je déglutis. Pourquoi se voiler la face ? Je faisais face à un génie de l'omniscience. Peu importe ses secrets, il savait. Qu'avais-je à craindre ? Il connaissait tout sans posséder, du moins je l'espérais, la capacité de voyager à travers le temps et l'espace. Je jouai mon va-tout :
« En quoi Azucena intervient-elle dans notre entreprise ? »
Il se cala tranquillement dans son fauteuil, posa les pieds sur son bureau, s'alluma avec nonchalance un cigare avant de poursuivre :
« Elle n'intervient pas, pas directement tout au moins. Un des grands mystères de l'univers que, voyez-vous Monsieur, je serais bien incapable de comprendre et de mettre à jour, est l'esprit. Si nous connaissons les étapes de la déchéance physique de notre enveloppe charnelle, une fois enterrée, qu'advient-il de notre intelligence ? Reste-t-elle accrochée au corps où prend-elle ses distances pour s'envoler dans l'éther ?
Au même titre, pour des raisons qui restent inconnues aux scientifiques, qu'un fils peut ressembler comme un frère à son père, des atomes de notre âme peuvent-ils se transmettre aux générations futures ? Dans ce cas, tout comme une tare se diffuse de la mère à l'enfant, se pourrait-il que l'amour, la haine et tous les sentiments humains puissent se transmettent à notre descendance ?
C'est mon hypothèse de départ. Le deuxième point ne procède en rien de l'ésotérisme. Hormis à supposer que le génie de Napoléon recèle du mystère. L'empire s'est étendu sur toute la façade ouest de notre continent, des Pays-Bas à l'Espagne. Son administration se rua sur tous les documents. Les ennemis intérieurs ne manquaient pas et un service fut créé pour disséquer toute la paperasse bureaucratique. Nous souhaitions connaître tout sur tout le monde. Croyez-moi, – dit-il en m'adressant une œillade – il existera peut-être un jour une machine qui améliorera la pascaline. Elle nous permettra de traiter les informations à une vitesse incroyable et la transportera bien plus rapidement que nos sémaphores. J'envie ceux qui prendront alors ma place. L'heure du contrôle absolu sur l'ensemble de l'humanité sonnera. »
Je perçus un voile noir sur sa pupille. Je frissonnai. Il enchaîna :
« À L'époque des rois Francs sévissait la faide, ce que les Corses nomment vendetta. N'oublions pas que les Saliens, dont est issu Clovis, trouvent leur origine au nord de l'Escaut, la Hollande actuelle. Bien que la religion catholique, et plus encore le protestantisme, y mirent un terme, il est probable que la pratique persista, au moins dans les mémoires, pour se raviver quand les situations mettaient en danger le noyau familial. »
J'oubliai que je ne lui avais pas raconté mes incursions dans la cour de ferme, pas plus qu'au Spitzberg, aux Sentinelles ou à Chatham. Pourtant, je l'interrogeai :
« En quoi les ancêtres des Mérovingiens ont-ils un rapport avec notre histoire ?
— Ce n'est qu'une intuition. Je pense que l'origine du mal est bien plus profonde que ce que vous pensez. Je vous invite, ce n'est qu'un conseil de votre humble serviteur, de calmer un peu vos ardeurs de découvertes de nouveaux territoires. Laissez cela à Bougainville et aux navigateurs. Cherchez votre vérité dans le passé. Mettez un terme à votre exode pour remonter à la source de l'ire. Il vous faut la tarir. »
Il mit fin à l'entretien. La course contre les mauvais ne connaît pas de répit et il avait encore fort à faire. Il nous invita à le retrouver pour vingt heures au Procope, déjà en ce temps une institution gastronomique depuis cent-cinquante ans, et qui officie toujours de nos jours.
Il se montra charmant et prévenant. Qui sait ? Si ce fils de boulanger n'avait pas commencé sa carrière par de menus larcins puis, plus tard, été condamné au bagne pour faux en écriture, quel poste aurait-il pu occuper ? Allez savoir … Je ne lis pas dans le marc de café.
Un mentaliste avant l'heure ! Tout dans le regard qui démêle le vrai du faux.
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
Un Vidocq brossé avec brio et plus qu'honorable ! Bravo maestro !
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
Au fait, un petit clin d'oeil m'a fait sourire !!! on se comprend :)
· Il y a presque 10 ans ·marielesmots
Recueillerai-je l'opprobre générale si je confesse que j'ai perdu le fil de cette histoire dans l'Histoire ?
· Il y a presque 10 ans ·akhesa
Je n'aurais qu'un mot ! magistral !!!
· Il y a presque 10 ans ·marielesmots
J'adoooore !!!! Brillant, fin, très bien écrit. Et quelle chance a ton narrateur de côtoyer (allusion à ton précédent texte) les personnages balzaciens !
· Il y a presque 10 ans ·veroniquethery