I Le passager dans la tourmente

Patrice Merelle

Poitiers, année 2013, dans la solitude des villes endormies, narration d'un passager dans la tourmente des brumes électriques...


I Le passager dans la tourmente


Une nuit sans sommeil, tandis que j’errais désespérément autour du Porteau, dans les hauteurs du promontoire de granit, je cherchais l’émerveillement de la nature pour inspiration. Dans le labyrinthe des ruelles de la ville basse, les lumières dansaient et m’interpellaient. Le trajet que j’empruntais pour rejoindre la vieille ville n’était pas de tout repos. Je serpentais les deux cents marches pour rejoindre les vieilles cours du côté du boulevard Grand Cerf. Et tandis que la nuit s’amenuisait tranquillement pour laisser place à l’aube nouvelle, je me rendis compte de l’architecture des places, des maisons ornées de Saints, de statues et autres embellissements. Je continuais ainsi mon chemin, entre les pontons en bois surplombant le Clain, le regard vers le ciel.


Je contemplais les modernes tours de Buxerolles et de Saint-Eloi. Comme dressés sous la lune froide et lumineuse, les châteaux d’eau offraient aux noctambules, leurs yeux flamboyants de rouge - un avertissement aux aéroplanes perdus d’un autre temps. Je me mis à rêver de Berlioz, de Saint-Exupéry ou encore de Charles Lindbergh, je me prenais pour « l’aigle solitaire ».


Je me voyais déjà (non pas en haut de l’affiche), survolant ma ville encore endormie, plongeant sur d’infimes proies invisibles entre les murs et les façades des maisons. Je survolais la place Duguesclin, je rêvais de conquête, j’étais devenu preux chevalier luttant contre les envahisseurs. Un peu plus loin, l’école élémentaire Paul Bert – qui se souvient encore de cet illustre personnage ? Qui fut le plus jeune professeur de France en physiologie) – je me rappelais qu’au lycée Saint-Rémi à Amiens, le débat fut houleux à son sujet quand à savoir si Paul Bert était oui ou non raciste en s’opposant aux droits des indigènes Algériens de l’époque, l’affaire se déroulait aux alentours de 1880, si ma mémoire ne me faisait pas défaut.


La rue René Descartes s’offrait à moi, mon vol plané était laborieux, malgré la largeur de la rue en question. Puis soudain, un chien aboya, je me senti happer par l’attraction terrestre et chuter vers mon point de départ. Retrouvant mes esprits, je me rendis compte que j’avais laissé vagabonder comme à l’accoutumée mon imagination.


Au loin, sonnait le bourdon de Notre-Dame, cinq heures dominaient dans la nuit noire à peine éclairée par la lune voilée de nuages cotonneux menaçants. Un sentiment d’oppression m’écrasait la poitrine jusqu’à en perdre haleine, d’un dernier souffle qui commandait ma propre peur sur le silence reptilien de la ville, je continuais par décision de m’élancer dans mon errance nocturne.


Les dernières étoiles du soir se mariaient à présent avec leurs sœurs et frères, formant un ballet féérique teinté par les brumes électriques des lampadaires. La cité jouait silencieusement avec ma paralysie temporaire, des lumières illuminaient les maisons et les bâtiments hauts perchés, fenêtre après fenêtre. Poitiers se réveillait, quartier après quartier, le panorama s’enflammait d’une lumière froide et d’un halo voilé par la brume des premières lueurs de l’aube. Et sur les flots scintillants de l’océan de granit, les premières automobiles rugissaient comme des fauves insoumis.


La zone industrielle de son appétence, allait dévorer des milliers d’être humain à leur tâche quotidienne qui leur était destinée. Les zombies des cités en ruines bâtiraient des pneumatiques pour Michelin, afin de permettre à d’autres morts-vivants de rouler dans la journée. Pendant que d’autres créatures livides s’empressaient de remplir les frigidaires de la société Banabel –importateur de banane sur Poitiers- au dessus de la zone assombrie des entrepôts, le temps menaçant amoncelait les longues ombres grises et noires qui striaient les champs d’un futur bleu de l’azur journalier.


Il y avait une beauté familière et animalière, sans bonheur, là où la lune m’avait gratifiée d’une impression belle et tardive sur l’énorme aspect du promontoire. Peu après, une pluie fine et légère entamait le tissu de mon jean, j’étais sorti sans protection, sans parapluie, un peu comme un naïf d’un tableau de Lucien Le Guern, lors de la libération de Paris. Un flot de gens anima les ruelles, devisant du mauvais temps pour certains. Les ruelles me rappelaient les torrents des montagnes, déversant leur première crue de citadins à la recherche du premier autobus roulant dans la cité.


Le temps n’existait plus depuis longtemps que déjà mes pas m’amenèrent au parc Blossac. C’était un endroit encore désert, avec ses chemins tracés aux cordeaux, de larges étendues d’herbes, fraîchement coupées, se proposaient à ma contemplation, une gloriette entièrement reconstruite trônait d’un air majestueux pour les jours de fête. De part et d’autres, des sentiers pyramidaux permettaient de baguenauder en toute quiétude entre le petit espace des chèvres naines et des kiosques de voitures pour enfants.


De l’autre côté, en contrebas, je scrutais les anciens friches militaires parsemés de leurs quartiers délaissés depuis quelque temps, il y demeurait tout de même quelques activités de l’homme pour surveiller les dépôts, les machines et les engins de morts qui ne sévissaient plus ni ici, ni ailleurs. Au-delà, la cité des trois-quartiers s’édifiaient de lumières théâtrales couvert par la lumière du Sud.

  • On ne parle bien de ce qu'on connait, alors j'ai laissé tes pas me guider dans le dédale des rues...

    · Il y a environ 11 ans ·
    Yoda 24 04 09 002 92

    yoda

  • Un beau témoignage et une grande connaissance des lieux! je visualise car je ne m'y suis rendue qu'une seule fois

    · Il y a environ 11 ans ·
    Yoda 24 04 09 002 92

    yoda

    • Je n'ai pas eu de mal aussi, c'est quand même là que je demeure dans l'ensemble depuis 6 ans... ;-)

      · Il y a environ 11 ans ·
      Yin   yang   2016

      Patrice Merelle

  • Et les chèvres naines de Blossac ;) Plusieurs commentaires mais c'est que j'aime j'aime ! Poitiers, ville magnifique dans son architecture historique, Ville étouffante dans l'étroitesse de ses ruelles.

    · Il y a environ 11 ans ·
    10882294 10205687022244868 3677013657221205201 n

    Alice Gauguin

    • Oui j'adore ces ruelles étroites, elles donnent un cachet à la ville de magie, je te conseille de lire les ébauches de mon roman : "Le manoir de Solferino" on y retrouve des descriptions de Poitiers dans un chapitre (notamment la rue des escaliers de la gare et de la rue Ranc)...

      · Il y a environ 11 ans ·
      Yin   yang   2016

      Patrice Merelle

  • Et puis Notre Dame, le quartier que je suis en train de délaisser pour déménagement. Mais j'y retourne vendredi et penserai à ton texte.

    · Il y a environ 11 ans ·
    10882294 10205687022244868 3677013657221205201 n

    Alice Gauguin

    • Nous aurons le loisir qui sait de nous y rencontrer, si tu vois un grand bonhomme vers les coups de midi en centre ville, un parapluie en guise de canne et un chapeau Stetson, et bien c'est moi, souvent vers la place des Cordeliers...

      · Il y a environ 11 ans ·
      Yin   yang   2016

      Patrice Merelle

  • Hop, coup de coeur !

    · Il y a environ 11 ans ·
    10882294 10205687022244868 3677013657221205201 n

    Alice Gauguin

  • Mais c'est magnifique! Facile pour moi, qui vient de quitter mes deux années à Poitiers, je me chemine très facilement dans mon texte puisque je visualise... Blossac, Grand Cerf (mon ancienne adresse). J'aime lire du talent, et ma ville !!!

    · Il y a environ 11 ans ·
    10882294 10205687022244868 3677013657221205201 n

    Alice Gauguin

    • Ce n'est qu'un premier épisode diurne de ma cité...

      · Il y a environ 11 ans ·
      Yin   yang   2016

      Patrice Merelle

  • Poétique , belle écriture très inspirée . merci

    · Il y a environ 11 ans ·
    Catherine lavandier

    Laurène J.Carol

  • Poétique , belle écriture très inspirée . merci

    · Il y a environ 11 ans ·
    Catherine lavandier

    Laurène J.Carol

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