Ici, Madame n'existe pas !
mglow
Madame Alexandre Berheim, née Henriette Adler, femme du marchand de tableau.
- « Où est madame ? » cria une voix derrière la porte.
Henriette venait d’entendre la voix grave hurler dans le couloir, derrière elle. Elle ne reconnaissait pas la personne qui se cachait derrière celle-ci. Elle resta immobile et pensive assise dans son fauteuil préféré.
« Madame Alexandre Berheim »… C’est comme ça que le monde l’appelait depuis qu’elle était devenue la femme du marchand de tableau. Avant, personne ne la regardait vraiment. Elle se baladait dans les rues sans destination précise et observait la société qui se réveillait autour d’elle. Elle aimait rester assise à contempler les paysages, les gens, les animaux… Elle se sentait elle, elle se sentait respirer comme ça. C’est peut-être pour ça qu’elle l’a épousé au fond : pour jouir de ses œuvres avant le public. Pour goûter au plaisir de voir dans un tableau une scène figée à jamais.
Elle ne savait pas ce qui avait changé dans sa personne depuis qu’elle était mariée. En tout cas, le monde la regardait autrement comme si son corps ou son âme était devenu autre. Lorsqu’on l’abordait dans la rue, elle avait l’espoir que la conversation qui allait en découler lui apporterait quelque chose… Qu’elle pourrait parler de ses envies, de ses besoins et peut-être même se faire une amie…Mais chaque fois, les mots tournaient autour du même sujet : son mari, le marchand de tableau.
Elle était devenue « quelqu’un »… Enfin, c’est ce qu’elle entendait dire derrière son dos.
Elle aimait son mari à sa manière : c’était quelqu’un de bien, de touchant et d’extrêmement attentionné envers elle. Il avait cette facilité à communiquer avec les Hommes. Il savait capturer l’instant, le beau, et le partager dans ses tableaux… Il était sans doute ce qu’elle n’arrivait pas à être. Elle l’appréciait. Elle était tombée amoureuse de ses œuvres.
- « Oui, elle est attendu pour la vente des tableaux de monsieur ! Trouvez-la, vite ! » expliqua la même voix.
C’était donc ça la raison de cet appel… Il était temps pour elle d’accomplir son devoir : Etre une femme mariée, dévouée et attentive aux besoins de son mari. Quelle femme ne rêvait pas d’être à sa place ? Pourquoi compliquait-elle les choses avec toutes ces questions qui pourrissent son cerveau ? Peut-être avait-elle choppé un virus encore inconnu…
*
Elle était chez elle dans cette pièce. C’était le seul endroit de la maison où elle pouvait réellement exister. Autour d’elle, rien n’était vraiment à sa place : un livre par terre, une chaise derrière une autre, des tableaux qui penchent contre les murs,…
L’atmosphère qui régnait dans cette pièce était le miroir de son âme : elle n’aimait pas prévoir, elle n’aimait pas l’ordre. Le véritable plaisir se trouvant dans chaque chose, il était pour elle primordiale de ne jamais figer un objet mais plutôt de le manipuler, de le déplacer pour pouvoir lire son histoire.
Elle resterait là, perdue dans ses pensées, tant qu’on ne la trouverait pas.