Il est à moûé

clarime-de-brou

Cela devait être une journée ordinaire et à vrai dire, pour moi, elle l'était. Je m'apprêtais à chroniquer mon chien écrasé de la semaine et ce dernier prenait des traits inattendus de femme frêle aux cheveux longs, encore jeune mais fatiguée avec l'air désorienté.

Elle serait aujourd'hui au centre de mon attention. Déjà, elle monte les escaliers dans u"n tailleur à carreaux mal coupé. Je devine qu'il a été de toutes les grandes occasions : du mariage de tonton Michel à l'enterrement de la cousine Irma. Il n'a visiblement pas été remis depuis la naissance du petit dernier et elle y est à l'étroit!

Elle tient fébrilement par la main, une fillette de 7 ans, qui lui ressemble trait pour trait. Par un photographe venu couvrir le fait divers, j'apprends que c'est la seule de la fratrie que la justice lui a laissée.

A son teint livide et à ses cernes violets, je devine que cette mère ne dort plus depuis que c'est arrivé. Peut-être est-elle rongée par le remord ou par le doute : elle semble au bord des larmes. (Ça y est, je tiens mon personnage et sa situation dramatique !)

Arrivée  un peu en avance, elle tremble devant le grand bâtiment. Enfin, elle entre dans le couloir où  elle attend son tour en triturant ses doigts.

Son avocat, un homme de taille moyenne, barbu et corpulent, doté d'un fort accent belge lui a été commis d'office. Il a dû lui conseiller d'éviter de se ronger les ongles, ce qui semble toujours suspect.

C'est à elle et dès lors, tout va très vite, elle tente de contrôler son émotion et aux questions plates de l'homme en robe noire, elle répond :

« La faute à son père,  tout est sa faute. »

C'est la seule phrase qu'elle a pu dire à l'assistante sociale envoyée à son domicile par la cellule de signalement. Cela n'a pas joué en sa faveur et sur son rapport au procureur, la travailleuse sociale a parlé de « déni ».

« M. le juge, cette mère attentive n'a visiblement pas mesuré les conséquences ni le préjudice » appuie l'avocat.    

« Je ne lui ai pas fait mal, non, je le jure. » confirme-t-elle.

Et elle a l'air sincère quand elle précise :

« Ben non, je me doute bien que vous n'allez pas croire à des tâches de naissance. De cette forme ce serait surprenant tout de même ! En plus c'est de l'anglais et j'ai accouché de tous ici, en Picardie, alors ce serait bizarre… D'ailleurs c'est bien simple, elles ont disparues alors ben ça peut pas être ça, je suis bien d'accord avec vous votre... honneur. »

Lors de son tour de garde, le père ayant constaté des marques, a tout de suite signalé : « J'ai pas cherché à savoir, j'allais pas laisser passer ça ! ».

«" Mum" votre… altesse, c'est "maman en anglais". "I love you mum "sur le biceps, pas d' quoi en faire tout un plat.

Il a deux ans et demi, pourquoi ? Vous croyez que j'aurai dû attendre ? Mais ça j'y ai bien pensé mais à 16 ans, le petit aurait peut-être pas été d'accord, j'me disais.

Un définitif ? Ça je l'aurais pas fait ! Du moins pas avant son anniversaire, non mais vous avez idée du prix que c'est ?!

Narcisse quoi votre… seigneurie ? Ben un garçon ça aime sa môman, toujours non ? Ben ça devrait parce qu'après tout ce qu'on fait pour eux !

Oui tout est parti ! Ben non c'est pas de l'encre, j' suis pas inconsciente ! Qu'est-ce qui me dit que le p'tit va pas prendre Espagnol en première langue? S'il tient de son père, il a jamais pu aligner deux mots d'anglais c'ui-là !»

L'avocat parle d'une simple lubie.

Le juge soulève cette question : « le dernier enfant seulement ? »

« Il faut me comprendre » ajoute-t-elle « c'est le p'tit qui m'répète tous les jours : "mon papa à moûa" et son père qui me serine avec ça "son fils ceci, son fils cela ". J'ai juste voulu lui dire : "il  est à toué", lui faire passer le message ! Une blague votre …majesté ?

Et puis, il m'en restait plus qu'un carré. »

Le juge à bout de patience sachant les affaires qui l'attendent, l'intime d'être plus claire et la plus très jeune femme s'effondre en pleurs. J'entends en même temps que les personnes dans la salle, entre deux sanglots, qu'il s'agit de… dessins faits …à la betterave.

Pourquoi  ne pas l'avoir dit plus tôt insiste l'homme au maillet, les yeux écarquillés.

Soudain je ne vois plus qu'une petite fille rougie de honte, sous le regard de sa mère assise dans la salle  qui murmure  que «  c'est qu'on joue pas avec la nourriture …mon père ! »

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