Il était une demi-fois

eymeric

C'est l'histoire d'une boîte à muse-ique ...

     «  Il était une fois », j'ai toujours rêvé de commencer une histoire par « il était une fois ». Sauf qu'il n'est jamais une fois. Parce que soit tu n'es jamais la première fois, tu es la deuxième, auquel cas on devrait dire « il était pour la deuxième fois ». Le hic c'est qu'on ne le fait pas, on ment. Or je me répète mais on n'est jamais la première fois, tu n'es jamais le « il était une fois » d'une paire de chaussures, d'autres l'ont eue avant. Tu n'es jamais « le il était une fois d'une fille », d'autres l'ont eue avant. Tu n'es jamais « le il était une fois d'un but », d'autres l'ont mis ou atteint avant. Tu n'es jamais le « il était une fois d'un plat », d'autres l'ont goûté avant. Tu n'es jamais le « il était une fois d'une vie », d'autres l'ont vécue avant.           
En fait, tu es souvent rien et c'est en cela que nous sommes souvent plus proches du « il n'a jamais été une fois ». Parce que souvent par peur d'être la deuxième fois et bien on incombe à devenir rien du tout. Nous ne tentons rien, nous restons complaisants. Cependant on ne parle jamais des «il était une demi-fois». Vous savez, ces fois où on hésite longtemps à se lancer. Ces fois où on le fait mais pas complètement, soit par peur, soit par ignorance.               
Et bien laissez-moi vous conter ce « il était une demi-fois », cette demi-fois où il y a failli avoir une demi-histoire, cette demi-fois où mon comportement s'est rapproché d'un demi-homme, cette demi-fois où j'ai eu demi-mal.             

        Je pense que dans la vie tout est une question de dosage : de la grenadine à un bon assaisonnement en passant par un beau panier, tout est une question de dosage. Faut y mettre pile assez d'eau mais pas trop non plus, pile assez de vinaigre mais pas trop non plus et pile assez de force mais pas trop non plus. Bah les relations humaines je pense que c'est pareil. En fait les relations humaines c'est une belle et grande grenadine qu'on doit servir. Tu ne peux pas te permettre qu'elle soit trop claire, car tu cours le risque que ça devienne fade puis que tu n'aies pas assez d'énergie pour la suite. Puis surtout ça ne viendrait en aucun cas rafraîchir ta vie. Cependant, tu ne peux pas te permettre non plus que ce soit trop obscur, trop foncé. Sous peine que ça devienne beaucoup trop prononcé comme relation, au point que tu sois plongé dedans mais dans le côté sombre de celle-ci. Puis merde, si ta grenadine est trop foncée elle te donnera encore plus soif, ce n'est pas le but. Le but c'est que ça s'estompe. Donc là tu te dis «comment faire une parfaite grenadine ?». Et bien figure-toi qu'il n'y a pas de réponse, ou du moins je ne compte pas la partager. Parce qu'il y en a qui aiment les grenadines foncées et d'autres les claires. Toujours est-il que je suis sûr d'une chose : je fais les meilleures grenadines qui soient. Parce que la grenadine c'est mon dada. J'aime contempler, voir quelle forme elle prend, si je me dirige plus vers une grenadine foncée ou une claire, puis aviser avec celle-ci. Je m'adapte quelle que soit la grenadine je la consomme.    
Mais en fait il n'y a pas tant de soucis de ce côté-là, moi je le sais, mon entourage le sait, je suis le bawss du grenadine game. C'est plutôt les amatrices de grenadine qu'il faudrait prévenir. Parce que souvent elles me retirent le verre trop tôt, et là je suis vert parce qu'il ne reste que le rouge foncé de la grenadine au fond de celui-là. Et elles peuvent le voir à moitié vide parce qu'il est à moitié vide ! Je n'ai même pas eu le temps de mettre l'eau. Puis d'autres fois elles m'en demandent trop. Sauf que je suis incapable de faire déborder le verre et de gaspiller. Si je mets tant d'eau c'est que pour ce verre-là, pour cette amatrice de grenadine là, pour cette grenadine là, ça mérite tant d'eau, point. C'est que c'est adapté à la grenadine que j'ai en face de moi. Il s'agit d'une petite soif, donc d'un petit verre, donc d'une petite grenadine. On ne peut pas demander à une piscine d'accueillir les chutes du Niagara, et bien là c'est pareil.              
Bref, toujours est-il que tout est une question de dosage, pas de nos âges mais de dosage. Tu sais il revient à tout le monde d'être heureux, suffit de le vouloir. Le bonheur c'est un jeu auquel tu peux participer de 7 à 77 ans. C'est juste qu'enfant c'est plus facile parce que tu as l'insouciance qui va avec. Va te retaper une partie de la bonne paye étant adulte tu comprendras ce que je veux dire.       

     J'avais 24 ans quand j'ai joué cette demi-partie dont je veux vous parler. Les règles du jeu étaient simples à la base : il ne s'agissait que d'un truc professionnel. Pause, je ne vous parle pas d'une prostituée, laissez-moi vous expliquer.

    En fait voilà, je me baladais un jour en ville puis je suis rentré dans cette boutique. C'était une boutique de boîte à musique. J'ai dit à la vendeuse quel genre de boîte à musique je recherchais et à la base ça devait s'en tenir à ça. Puis les choses ont évoluées. Je suis revenu une fois dans cette boutique, je ne sais pas si c'était pour échanger à propos de la boîte à musique ou si c'était pour échanger avec elle. Ensuite nous nous sommes revus une deuxième fois, puis une troisième fois, puis plusieurs fois en dehors de la boutique. En fait on s'est revus jusqu'à ce que je comprenne que la boîte à musique que je recherchais c'était elle, oui c'était elle la boîte à musique. C'était elle celle qui enchantait tout le monde, celle qui attendait juste qu'on vienne tourner la manivelle afin qu'elle scintille aux yeux de tous. Parce que pour le moment la boîte à musique est fermée, peut être trop, comme si elle s'ignorait.         Je n'ai pas voulu forcer l'entrée du coup, puis à quoi bon, elle-même ne voyait pas l'entrée, elle s'ignorait encore. Elle se persuadait qu'elle était consciente de ce qu'elle était tout en le réfutant de tout son être. C'était madame 1000 réponses mais c'était aussi madame 2000 questions donc forcément ça créait un décalage. C'est comme si dès qu'à l'âge de raison un enfant réfutait le monde réel, il ne pourrait pas avancer. Elle, elle réfutait son monde, sa boîte à musique et l'effet de sa mélodie sur les gens. Elle m'a d'abord parlé de plusieurs musiciens, qu'ils n'avaient jamais accordés leurs violons, que ça sonnait toujours faux. C'était redondant dans son monde, comme si le maestro des relations lui refusait quelque chose. Sauf qu'il était là le problème, elle ne comprenait pas que c'était elle qui tenait la baguette. Elle ne comprenait pas qu'à forces de questions, de points d'interrogations, elle mettait un point final à certaines symphonies. Non pas qu'elle faisait mal les choses, non. Mais c'est comme si elle n'était qu'une demie elle. C'est comme si elle se sentait coupable d'être innocemment belle. Elle scandait qu'elle était consciente d'être la boîte à musique, mais elle ne jouait que pour ses amis en privé, le reste du temps et malgré ses dires elle s'efforçait de maintenir la boîte fermée.                 Cependant à force discussion sans jouer de flûte une seule fois, il y avait du mieux. Elle comprenait, me remerciait, et petit à petit la boîte prenait conscience de son pouvoir. Mais il y avait encore un souci : l'ouvrir. Elle me parlait d'une mélodie précise qu'elle voulait entendre de la part de celui qui ouvrirait la boite mais qu'elle peinait à trouver. Et pourtant … C'était comme se plaindre de ne pas écouter de musique en boîte de nuit. Il est évident que si tu restes dans le couloir dans un tel lieu, alors forcément tu n'entendras pas la musique que tu souhaites. Il en était de même pour cette situation. La musique qu'elle recherchait tant, je lui jouais, la musique qu'elle recherchait tant, j'en étais le musicien, la clef de la belle boite à musique, j'en étais le geôlier.  Alors par peur ou par crainte elle ne le voyait pas. Était-ce à cause des différentes clefs que j'avais pu avoir auparavant à mon trousseau ? Ou était-ce simplement par peur d'enfin ouvrir cette boite à musique ? Était-ce par peur de sortir du couloir et de rentrer pleinement dans la danse ? C'était à mon tour d'avoir des questions, à mon tour de demander qu'on ne lise plus entre les lignes, à mon tour de me livrer. Alors je l'ai fait à demi-mots, pour une demi-fois, pour espérer ne serait-ce qu'une demi-réponse. Et lorsque paradoxalement pour cette demi-fois j'ai eu l'impression de me donner en entier, tout s'est effondré en morceaux. A croire que j'avais vu un verre trop grand, une grenadine trop sombre, ou trop clair, allez savoir. A croire que j'avais cru alors que personne ne me l'avait demandé.

Voilà ma demie histoire, voilà mon il était une demi-fois, voilà comment ils vécurent demi-heureux et pas ensemble, voilà comment chacun de leurs côté ils sont passé d'une demi-fois à un il était une deuxième fois et s'en contentèrent. Voilà comment la belle boîte à musique est restée fermée et comment le geôlier à jeter sa plus belle des clefs. Voilà l'histoire de leur vie, de votre vie, de la vie et ou comment les gens gâchent leur conte à force de trop compter.

  • Très joli, tout en douceur aigre-douce ; à quand le récit de la seconde chance ?

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Mai2017 223

    fionavanessa

  • Merci beaucoup pour ces sourires en demi teintes. J'ai adoré et pas à moitié

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Ananas

    carouille

    • Merci à vous pour la lecture

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      eymeric

  • Il y a plein de choses dans celui-là, des images fortes, tendres et faussement naïves. Mais c'est comme une demi-histoire, elle effleure sans aller au fond. (impression perso) merci pour la lecture matinale en tout cas.

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    ellis

    • Merci à vous pour la lecture !

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      eymeric

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