Il sera là...

C'était une réalité, c'était hier...............

Dans quelques secondes, il sera là. Il poussera la porte, et elle verra apparaître la longue soutane noire si élimée par les années.

Instinctivement, la petite remonte le drap sur sa poitrine en boutons.

Elle savait, elle sait que c'est lui qui va entrer, qui entre. Le médecin l'aide à remonter le drap.

L'autre qui s'est glissé jusqu'au lit, doucereux, demande :

« Vous n'avez besoin de rien docteur ? »

Ce médecin que la petite ne connaît pas, sans se retourner, lui répond vertement :

« Non, merci ! »

Il n'en dira pas plus. Il a le visage fermé, sévère, c'est un barrage dressé entre le vice et l'innocence. La petite est bien jeune mais déjà si intuitive. Elle sait ce qui se passe dans la tête du docteur et ce qui s'est tramé dans celle de l'autre.

L'autre, qui sans répondre, sans insister, quitte alors la pièce, comme bredouille.

Elle est là, depuis hier, dans cette chambre inconnue, brûlante de fièvre. Elle a peur, peur de mourir. Elle a tellement mal, sa gorge est en feu et Maman n'est pas là, pour la réconforter, la soigner. Elle est en colonie de vacances et elle étouffe dans cette pièce mansardée, impersonnelle, sans à quoi se raccrocher, sans personne à qui confier ses angoisses. Elle se sent oubliée, loin de sa famille. Voilà ce qui traîne dans son petit cerveau d'enfant.

Sauf lui qui, tout à l'heure, a gravi l'escalier, pourquoi ? Non, ce mot est de trop, elle le savait avant qu'il n'entre. Elle le savait, parce que combien de fois a- t-il attrapé les gamines qui, en courant, passaient près de lui. Il les retenait quelques secondes afin de soulever leurs jupes et claquer leurs fesses. Mais, la petite, si vive, a toujours su se soustraire à ce jeu malsain.

Elle est soulagée à présent. Rabroué, il s'est enfui. Et puis, elle va guérir, on lui donnera ce qu'il faut, elle retrouvera sa famille à la fin de ce mois de juillet.

Des pas... cette porte qui s'ouvre à nouveau…Lui, c'est encore lui ! Elle est seule.

Il s'assied au bord du lit, au niveau de sa taille, doucement, il lui parle :

« Je t'ai vu remonter le drap tout à l'heure, il ne fallait pas, tu sais, je suis comme ton père… »

Son père, elle n'en a jamais eu, comment peut-elle savoir ! Ce qu'elle sait par contre, c'est qu'elle a un oncle aimant, respectueux, si complice, si aimant avec elle. Il a remplacé ce père absent dans les premières années de sa vie. Comment peut-il s'identifier…

En attendant, paralysée, elle baisse les yeux sur le drap protecteur. Mortifiée, ses lèvres sourient pourtant, mais ce n'est que de la gêne, une affreuse gêne. Elle voudrait être six pieds sous terre. Elle se sent si seule, là-haut, sous les toits, personne ne viendra…

Il parle, mais elle ne sait plus ce qu'il lui dit. Ce qu'elle retient avec soulagement, c'est qu'il se lève enfin et puis s'éclipse comme il était venu.

Il ne l'a pas touchée et c'est ce qui compte.

Tellement d'années ont passé, mais elle se souvient de cette terreur d'enfant. Une enfant qui n'en était plus tout à fait une. Une enfant à l'aube de l'adolescence. Non, elle n'a rien oublié et se dit qu'elle a eu cette grande chance- pas comme d'autres - celle d'échapper à un prédateur. Est-ce la foi qui a retenu les gestes de cet homme ? Elle ne l'a jamais su.

La petite avait douze ans, c'était sa dernière année de colonie. Des vacances organisées par la paroisse de son village.