Immobilisé par la mobilité

michael75

Récit du difficile sevrage d'un accro à Wordament ou comment la "mobilité" a immobilisé mon esprit.

Jeudi, 20h, centre associatif de soin aux addictions numériques

 Moi : « Bonjour, je m'appelle Michaël. »

Le reste du groupe (en cœur) : « Bonjour Michael ! »

Moi : « Aujourd'hui, ça fait 12 mois que je n'ai pas joué à Wordament ».

Le reste du groupe (en cœur) : « Bravo Michael ! »

L'animateur du groupe : « Michaël, souhaites-tu partager ton expérience avec nous ? »

Moi : « Tout a commencé dans un couloir de bureau. Une collègue me parle innocemment d'un jeu qui l'occupe assez souvent pendant ses soirées sur son smartphone Android, il s'agissait de « Wordament ».

Un jeu assez simple au demeurant, une grille carrée de 16 lettres apparaît, il faut « tracer » le plus de mots possibles pendant un temps limité à 2 minutes. A l'issue du délai imparti, on obtient un score en fonction de la longueur des mots et des points accordés à chaque lettre, un classement mondial est effectué parmi tous les joueurs connectés à un instant « t ». C'est alors que naît l'envie de grimper dans le classement. On rejoue, on enchaîne les parties sans réussir à s'extraire de la queue de peloton. Petit à petit, on acquiert des astuces, on enchaîne les petits mots connus par cœur sans même y réfléchir, on recherche les déclinaisons de verbes… Au bout de quelques jours, on grimpe dans la hiérarchie, on dépasse 50% des joueurs mais on reste encore loin des meilleurs que l'on commence à reconnaître par leur pseudo tant leurs exploits sont réguliers.

J'ai alors commencé à jouer à Wordament dans les transports, en marchant dans la rue, aux toilettes (oui je l'avoue), au bureau, en réunion, devant la télé, dans le lit. Bizarrement, la mobilité m'amenait toujours au même endroit.

Plus j'atteignais des scores élevés, plus mon addiction était grandissante et plus j'avais besoin de battre mon record personnel.

C'est alors que j'ai commencé à prendre conscience de ce qui m'arrivait : petit à petit, mon esprit quittait le monde présent pour s'enfoncer progressivement dans celui de Wordament. Toutes mes pensées étaient tournées vers ce jeu. Je consultais ma montre pour savoir si le créneau actuel était propice à une bonne partie, je réfléchissais à de nouvelles techniques pour optimiser mon jeu, je pensais à ces joueurs en tête de classement et enviais leur technique… Je n'étais plus là. Ni pour ma famille, ni pour mon entourage. J'avais disparu, complètement avalé par Wordament.

J'acquiesçais sans écouter les questions, j'avais le regard dans le vide, je ne construisais plus rien, mon esprit était pris au piège des mots et du chrono.

Un jour, alors que j'allais m'endormir épuisé par une partie, j'éteignai mon smartphone et constatai que ma femme dormait à côté de moi et que je ne lui avais pas parlé de la soirée. Ce fut pour moi comme un choc. Comment un jeu a-t-il pu prendre une place aussi importante dans ma vie ?

Je n'avais plus qu'un choix : déplacer l'icône de l'application vers « désinstaller ».

Le sevrage fût difficile. J'ai été tenté de réinstaller l'application, plusieurs fois même, lors de moments d'attente, pour combler le vide.

Cependant, aujourd'hui, je suis fier  de mon abstinence. Je sens que chaque jour, je suis un peu plus libre. J'en suis presque arrivé à développer une sorte d'écœurement vis-à-vis de cette application, une nausée me vient quand je vois son icône.

Aujourd'hui, je mène une autre vie, loin de cette application nocive. J'ai d'ailleurs trouvé une nouvelle source d'épanouissement, beaucoup plus saine et positive : Twitter. Je vais d'ailleurs de ce pas tweeter mon exploit afin de compter le nombre de likes et de re-tweet que je vais obtenir. Mon record a été de 75 likes pour une vidéo de lol-cat. »

 

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