INSTITuTUEUR

Mathieu Cesa

Marvin se réveilla avec des tambours dans la tête. A chaque fois, c’était pareil : il pensait que c’était la dernière. Et irréfragablement, alors qu’il croyait qu’avec l’âge il maîtrisait désormais son sujet, que les préceptes élémentaires du savoir-picoler étaient siens, il réalisait douloureusement, par les tempes et l’œsophage, qu’une fois de plus, il se trompait.

Dès que trois neurones s’acoquinèrent à souhait pour former une pensée, la première qui jaillit ressembla à « Putain de bordel de couille de bite en bois ! », car il ne connaissait que trop les épisodes à venir : expier ce mal infâme incarné par l’alcool digéré revenait inlassablement à faire et refaire le trajet lit-toilettes dans les deux sens, le ponctuer de quelques incursions aventureuses dans la cuisine ou la salle de bain, et avec l’aide du liquide ô combien miraculeux ! notre bien aimé vital H2O, allié pour la cause à la cause médicamenteuse, il savait que repos aidant, il survivrait, il s’en sortirait, comme à chaque fois.

C’est au cours d’une énième lutte contre lui-même, ou plutôt contre l’un de ses soubresauts stomacaux non adéquats et taquins - en somme il avait les gencives qui baignaient dans la gerbe -, qu’une parole, un échange, lui claqua à l’esprit comme un éclair, ou plutôt comme le fouet (en cuir de lama du Tibet) sur le cul d’une Katsuni imaginaire… Pas le temps… La porte, vite, putain ! la porte… Ouf ! Trop fort ! Une fois de plus, pas un lardon par terre, la cuvette nickel, un coup de pschitt et deux chasses d’eau : du boulot de pro.

S’essuyant d’un revers de manche la commissure droite de sa bouche putride, il tentait de redonner vie à cette « parole » brusquement remémorée. A mesure que s’effaçaient les effluves nauséabonds du dernier rejet gastrique, les contours de la fameuse sentence se faisaient plus nets. Il s’agissait d’une phrase ; ou plutôt de deux… entendues la veille, lors de la sauterie responsable de la gueule de bois du jour. Ces phrases avaient été prononcées par un homme, un homme de forte stature… et qui se dessinait à présent : cheveux grisonnants, imposant, rayonnant, grosse influence, un vieux mâle alpha pour sûr. Un personnage important ok, plus tout jeune ok, mais elle lui en avait présenté tant... 

Elle, c’était Manu, son amie journaliste, élevée dans le gratin du sérail. Bonne graine, bonne évolution et bon réseau, elle représentait pour lui - en sus d’une amie de valeur - une sorte de « pont », de billet d’entrée pour un monde auquel il n’avait pas droit sans elle. Les deux en étaient conscients, et, non contents de s’en accommoder, en tiraient parti de concert : lui en obtenant un passeport personnifié, elle en exhibant son « mec », son binôme masculin du moment, brut et nature, à l’opposé de l’ambiance de rigueur dans son cercle d'alors. Il était sa touche « sauvage et virile », les dix ans d’écart en sa défaveur achevant d’équilibrer le duo.  

La vieille bourgeoise et le jeune prolo; chacun utilisant l’autre à ses propres fins, sans propos feints. En plus, parfois, ils baisaient ensemble. Ils se connaissaient depuis maintenant quatre ans, et continuaient de se fréquenter en pointillés, sans aucun rythme, savourant tous deux la conviction intime que chaque fois qu’ils se voyaient, c’était jusqu’à la suivante.

Comme un dialogue en cours jamais terminé entre ces deux âmes sœurs. Liés d’abord essentiellement par leurs organes génitaux, ils durent constater que ledit lien devint plus psychique à mesure que Maître Temps fit son œuvre, moins lubrique.

En bonne femme étroite, elle l’avait flatté d’emblée sur sa virilité – raison suffisante aux yeux de Marvin pour ne surtout pas perdre cette âme généreuse à la parole sensée -, conçue qu’elle était de façon à ne pouvoir voir en elle la cause de ses problèmes : fille de winner, winneuse elle-même, papa avait été président de l’aéroport et de SFR, a minima et de mémory. Après avoir tutoyé ses propres sommets professionnels en dirigeant la rédaction de la première chaîne de télévision publique, elle se trouvait désormais dans un fauteuil sur mesure, moins prestigieux certes, mais plus en rapport avec sa personne. Femme de tête, elle aimait la confrontation intellectuelle, le combat des neurones, et était dotée d’un bagage culturel plus que correct, en perpétuelle évolution et donc pour le moins - et par définition - respectable. Elle s’occupait de la politique, les débats et les interviews constituant sa chasse gardée. Reconnue dans le métier et globalement appréciée : force est d’avouer que faire partie de ses intimes était un privilège dont n’avait que trop conscience Marvin.

Une faveur dont, comme lui soufflait son sixième sens, il eût été stupide de se priver. L’appartement cossu, le lit King Size, la chambre climatisée offrant une vue imprenable (comme l’occupante régulière dudit lieu soit redit en passant) et à cent quatre-vingts degrés sur l’océan Indien, les pétards de qualité, la bibliothèque fournie et les discussions exotiques promises ; tout cela suffisait en général pour motiver Marvin à prendre la route et rejoindre ainsi sa princesse ouzbèke, sa sultane afghane, son alter ego du nord, celle dont il se plaisait tant à poétiser la représentation mentale, singulière sur le plan physique qu’elle était…

De mémoire, elle avait des origines juives et russes, ou juives et maghrébines, enfin il ne savait plus trop. Déjà qu’il était par nature fâché avec les frontières, les drapeaux et les religions, ajoutons, à sa décharge, que cette fille n’était pas son style physiquement : trop mince, trop anguleuse. Et bien qu’horriblement difficile sur le plan esthétique, s’il lui fallait choisir entre deux imperfections, il optait instinctivement, indistinctement et depuis toujours pour le surplus graisseux, davantage que pour l’amoncellement osseux. C’est dire le poids de la position sociale de l’objet proposé et offert au moment du choix crucial - et souvent irréversible - au cours duquel on décide si une personne aura accès, ou non, à notre intimité.

Pitch INSTITuTUEUR

En gros, c’est l’histoire d’un type de 36 ans, cassé, désenchanté par la vie, sur tous les points ou presque : seuls ses enfants le « tiennent » depuis 4 ans et un peu le Grand Raid aussi, avec ses petites sœurs : les courses du week-end. Le reste lui pèse : son boulot (enseignant en dépression chronique mais maîtrisée depuis 10 ans), sa situation sentimentale (divorcé contre son plein gré depuis 3 ans et galérien lamentable depuis, piètre pêcheur de sardines avariées qu’il est), sa situation matérielle (plan de surendettement en cours, plus près de la fin que du début certes, mais quand même, c’est pesant), ses relations sociales (a du mal à en trouver des intéressantes).

Bref, ça va pas.

 

Et c’est vrai.

Il attend… La rencontre qui va changer – enfin - sa vie, et elle va arriver de façon aussi brutale, inattendue et – il va décider d’y croire -, que providentielle. « On » lui propose de devenir tueur à gages pour le compte d’une personnalité politique très importante. N’ayant rien à perdre (ou presque… ses enfants !), persuadé que c’est son destin – par rapport à son histoire -, il se lance.

Ira t-il au bout ? Se trouvera t-il enfin ? Et son ex-femme dans tout ça ? Et s’il était « autre chose » finalement ? Peut-il être heureux ?

A travers ses travers (sentimentaux et professionnels), ses écarts (de conduite et de moralité), et ses bonnes œuvres (famille, amis, passions), on apprend à connaître le personnage en l’accompagnant dans cette quête de lui même. Qui est-il vraiment ? Où cela le mènera t-il ?

  • Merci Lyselotte, au plaisir d'en faire découvrir d'autres pourquoi pas quand le bébé sera dans les bacs (lol ou pas).
    Pour l'anecdote je connais une Lyselotte en métropole, c'est la petite amie d'un bon ami (Sud-Ouest aussi d'ailleurs)...

    · Il y a plus de 11 ans ·
    P1140230 orig

    Mathieu Cesa

  • Bonjour Mathieu,
    sympa ce début...je ne connaissais pas non plus ce mot !! mais y en a tellement que je ne connais pas !!

    · Il y a plus de 11 ans ·
    D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

    lyselotte

  • Merci cher homonyme ;)
    Pour le mot nouveau, je l'avais appris par mon meilleur pote doit y avoir de ça 15 ans, et c'était devenu un joke entre nous... y claque bien ce mot je trouve !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    P1140230 orig

    Mathieu Cesa

  • J'aime beaucoup la plume. Et j'avoue que je ne connaissais pas "irréfragablement" !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Sdc12751

    Mathieu Jaegert

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