Intérieur, femme en bleu fouillant dans une armoire. Bribes d'enfance.
june
Texte inspiré d'une oeuvre de Félix Valloton : Intérieur, femme en bleu fouillant dans une armoire.
Elle pensa qu'il était temps. La femme en bleu fouillait dans une armoire. Elle n'était pas fébrile, mais adoptait une lenteur surprenante, presque méthodique. Elle s'était relevée, au beau milieu de la nuit. Il devait être trois heures, peut-être quatre. Elle portait cette chemise de nuit bleue nuage, large, aux manches bouffantes. Elle avait les cheveux détachés, ce qui ne lui arrivait que dans ses moments d'égarement. Que cherchait-elle ? Elle avait une idée fixe, qui faisait sens lorsqu'elle l'évoquait dans son esprit. Il s'agisait du fameux carnet à dessin. Celui de l'enfance, avec les taches de peinture et d'encre, avec les traces de doigts sur les côtés, et les petits mots naïfs par leur prétention à se croire éternels. Elle se souvenait qu'elle avait monopolisé les pages du carnet jusqu'à ses douze ans environ, jusqu'à ce que sa mère décide brutalement que sa vocation serait la danse. La femme en bleu releva la manche et soupesa son bras gras avec satisfaction : au vu de sa corpulence, il était évident que tout le mérite lui revenait, à cette ingénieuse qui était parvenue à déjouer les plans de sa génitrice ! Autour d'elle, les livres l'enveloppaient, avec cette odeur caractéristique et rassurante de poussière. Elle l'avait enfin retrouvé, cachée sous une multitude de vieilleries. Elle s'immobilisa quelques instants, les bras de chaque côté du corps. Les larmes commencèrent à se frayer un chemin sur ses joues, sans même qu'elle ne s'en aperçoive. Elle avait une relique dans les mains. Le carnet était à moitié déchiré, les couleurs étaient passées, mais qu'importait puisqu'il s'agissait d'un vestige de l'enfance. Elle ouvrit précautionneusement, feuilleta quelques pages. De puissantes réminiscences affluèrent à sa conscience, se bousculant pour faire sens. La femme en bleu s'éloigna, carnet sous le bras, et se dirigea vers une toile vide. Elle la considéra, la gorge serrée, hésita, se retourna brusquement pour vérifier que l'esprit de sa mère, morte depuis peu, ne puisse pas la guetter. Méthodiquement, elle prit un pinceau, se servit d'une vieille palette de couleurs et se plaça face à la fenêtre. Un long tressaillement parcourut tout son corps. Les larmes devenaient des perles. Elle y était. Elle peignait enfin.