Intérieur, femme en bleu fouillant dans une armoire ou Que faites-vous seule en Normandie ?

Félix, vous exagérez ! J'ai eu tort de poser en chemise, dos à vous, les cheveux défaits, ce livre à la main. J’ai  lu quatre pleins chapitres de votre Flaubert pendant ces travaux préparatoires. Et puis je suis partie aux bains. Six jours sans vous en villégiature sur la côte normande ont suffi pour que vous me jouiez depuis votre atelier un tour pendable. Par votre art, me voilà dans l’entrebâillement de vos placards, comme en train de fouiner. Fouiner quoi ? Vous savez très bien que je ne commettrais jamais pareil acte ! Chercher sur vos étagères une esquisse, quelque livre de comptes ou une lettre de modèle... Vraiment, vous me voyez contrariée. Je ne comprends goutte à vos intentions.

Pour autant, ces portes ouvertes se font l'écho du tableau dont je me suis entichée l’autre jour, au Louvre, à votre grand dam. Vous souvenez-vous ? Les Pantoufles de ce Hollandais, Van Hoogstraten. Je pressais votre bras, vous retenais près de la toile, m’émerveillais devant tant de maîtrise. Agacé, comme jaloux, vous avez ri amèrement et m’avez qualifiée de sotte. L’enfilade de portes ouvertes, la clé dans le pêne, la bougie éteinte, le balai comme les pantoufles, abandonnés, tout cela désignait l’infidélité de la maîtresse des lieux. Le peintre n’avait jamais voulu montrer que cela, la trahison féminine, si ordinaire, selon vous. Je n’avais rien vu de tel dans cette peinture et n'ai pas craint de vous bouder jusqu'au soir.

Dites-moi, d’un mot, mon ami, qu’avez-vous voulu montrer, en me brossant de dos, secrètement repliée sur moi-même dans un de vos placards entrouverts ?